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Le lieutenant-colonel Anthony Shaffer était à la tête d’une équipe du Renseignement militaire chargée de collecter des renseignements sur les cellules d’al-Qaïda et d’empêcher les actions terroristes sur le sol américain. Ce projet s’appelait "Able Danger" et avait donné des résultats probants en permettant de localiser dès 2000 certains des présumés pirates de l’air du 11/9 dont leur chef (toujours présumé) Mohammed Atta. Shaffer en parle dans son ouvrage Operation Dark Heart, un livre qui a connu un sort tout à fait particulier lors de sa sortie aux USA puisque le Departement of Defense en a racheté et détruit près de 10.000 copies au motif qu’il contenait des révélations susceptibles de porter atteinte à la "sureté nationale". La version "coupée" du livre est parue quelques mois plus tard aux USA et sort en français aux Éditions du Rocher.
Opération Dark Heart : Avec les Barbouzes du Pentagone aux Editions du Rocher, 336 pages
Visionnez cette interview de Shaffer par Fox News en octobre 2010
"S’il doit y avoir une théorie du complot, elle se situe à l’échelle individuelle"
Le lieutenant-colonel Anthony Shaffer prend le contrôle de la mission "Able Danger" en 1999. Il est celui dont l’unité découvrira en premier l’existence de Mohammed Atta et ses boys.
Quel était le but de "Able Danger"?
Able Danger était un programme conçu pour traquer Al-Qaïda et mener des actions offensives contre l’organisation terroriste. Nous avons récolté et croisé toutes les données déjà existantes et celles que l’on a trouvées par nous-mêmes sur Al-Qaïda. On a utilisé Able Danger comme un social network. On s’est dit que si on comprenait à qui tous ces gens parlaient et à quelle fréquence ils le faisaient, on pouvait en tirer un schéma, une sorte de cartographie des protagonistes de la terreur, et déterminer ainsi les connexions entre eux. Donc c’était plus le système dans son ensemble sur lequel on travaillait, et non pas tant Ben Laden en personne. Ça, c’était plutôt le travail de la CIA.
Que voulez-vous dire par “offensive action”?
Le but final d’"Able Danger" était de proposer des solutions afin d’empêcher Al-Qaïda de commettre des actions terroristes sur le sol américain.
Que s’est-il passé ?
Ces options ont été présentées au général Shelter, au Pentagone. Et tout s’est arrêté.
Arrêté ?
Oui, et on ne sait toujours pas pourquoi. Le programme a été stoppé en janvier 2001. Et jusqu’à aujourd’hui, je n’ai toujours pas eu le droit de témoigner devant le Congrès, afin d’expliquer ce qu’était "Able Danger", et sur le rôle que j’avais dans cette unité.
Que savait "Able Danger" ?
Dès 2000, on a su qu’il y avait deux ou trois cellules d’Al-Qaïda sur le territoire américain. On a donné des noms comme Al-Hazmi, Al-Mihdhar et même Mohammed Atta. Mais légalement je n’avais pas le droit de partager ces informations. Ou, plus exactement, je pouvais en parler soit seulement avec la CIA, soit seulement avec le FBI. Mais interdiction formelle d’établir des passerelles. Je briefais George Tenet deux fois par an. Il était très intéressé par notre façon de faire. Il posait plein de questions. Au point, d’ailleurs, d’essayer de nous espionner afin de découvrir nos méthodes et tout ce que nous savions.
Pourquoi selon vous ce projet a-t-il été stoppé ?
Les gens connaissent la vérité mais, d’une part, ils ont peur d’admettre qu’ils ont commis de graves erreurs et, d’autre part, ils ont peur d’être poursuivis par les familles et traînés devant un tribunal.
Voulaient-ils protéger Bush ?
Bonne question. Tout ce que je sais c’est qu’en janvier 2000, le programme prend fin. Et s’il doit y avoir une théorie du complot, elle est à situer non pas à une grande échelle, mais à l’échelle individuelle d’un petit nombre de gens qui ne veut pas être tenu pour responsable, dans cette tragédie. La preuve, dix ans plus tard on n’est toujours pas autorisé à parler de ce programme.
Karen Lajon
le JDD