. Carlo Bonini
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Les rapports entre Kissinger et les Saoudiens. Ceux entre le directeur de la commission d’enquête sur les attentats et les fidèles de George W. Bush. À l’occasion de l’anniversaire de la tragédie, un chroniqueur du New York Times lève le voile sur ceux qui ont œuvré à l’ensablement de la vérité.
Dans cet héritage désastreux qu’ont laissé à l’Amérique et au monde entier les deux mandats présidentiels républicains, il existe une blessure plus profonde que les autres, qui a à voir avec la Vérité et le Mensonge. Avec le préambule du 11 Septembre et ses conséquences. Et comme cela se produit toujours dans nos démocraties, le temps, à lui seul, n’est pas un bon remède. C’est pour cela que 8 ans après ce jour qui a changé à jamais le cours de l’Histoire, la question sur cette matinée d’horreur et de sang n’est plus « comment cela a-t-il pu arriver ? », mais une autre, cruciale : « qui est le père de la vérité sur le 11 Septembre ? » Autrement dit, qui en a vraiment tracé le parcours et les abords ?
Comme nous le savons tous, la vérité officielle sur le 11 Septembre porte la signature d’une commission d’enquête (la Commission d’enquête sur le 11/9), issue du Congrès américain et paritaire (5 républicains et autant de démocrates), qui au cours de l’été 2004, a rendu ses conclusions et ses recommandations au terme d’un travail dont les actes, disponibles sur Internet et sous la forme d’un livre, sont devenus avec le temps une œuvre diffusée mondialement. À ces conclusions qui de fait ne parvinrent pas à identifier les principales responsabilités politiques, ni dans l’administration républicaine d’alors, ni dans celle démocrate qui l’avait précédée, mais qui au contraire, mirent en avant une longue chaine de dysfonctionnements dans le sophistiqué, mais très bureaucratique appareil de sécurité et de Renseignement – ne croient plus aujourd’hui 53% des Américains, convaincus que le « gouvernement leur a caché tout ou partie de la vérité. »
Parmi les raisons de cette méfiance, l’évidente actualité de la question « qui est le père de la vérité sur le 11 Septembre ? », mais aussi les prémisses d’un excellent travail d’investigation journalistique de la part d’un fameux chroniqueur du New York Times, Philip Shenon. Un récit de 583 pages, magnifiquement documenté, aussi clair que riche en sources d’information, qui offre de premiers éléments de réponse à cette question, et qui, un an après sa publication aux USA, arrive en Italie sous le titre « Omissis, tutto quello che non hanno voluto farci sapere sull’11 settembre » (Éditions Piemme).
Shenon écrit : « J’ai commencé à travailler sur ce livre en janvier 2003, quand le New York Times m’a demandé de m’occuper de la Commission sur le 11 Septembre.Je n’étais pas sûr de vouloir faire ce travail. C’est étrange d’y repenser maintenant, mais à l’époque il n’était pas évident que la Commission suscite un quelconque intérêt dans l’opinion publique. (…)
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Aujourd’hui, je suis reconnaissant envers ceux qui m’ont fait changer d’avis et m’ont poussé à accepter. » Dans la stupeur “posthume” de Shenon, on ne trouve pas seulement l’acceptation honnête de ce climat d’anesthésie et de manipulation collective qui pendant des années, a engourdi/chloroformé l’opinion publique et les médias américains, convaincus aussi bien de la vérité sur le 11/9 avant même qu’une enquête n’ait été menée, que des « raisons » truquées de la guerre en Irak. La même stupeur se retrouve dans tous les passages de cette contre-enquête sur le travail de la Commission du 11/9, qui malgré sa trame complexe et touffue, ses protagonistes, son décor sombre (la scène se déroule entièrement dans le Washington des palais du pouvoir, coincé entre Pennsylvania Avenue et K Street, entre la Maison-Blanche, Capitole Hill et les bureaux que la Commission avait choisis comme quartier général), est un ouvrage à la portée même de ceux qui ne connaissent rien aux méandres et aux coulisses de la politique américaine.
Dans son d’analyse chirurgicale des moments cruciaux du travail de la Commission sur le 11/9, l’enquête de Shenon, respectant un ordre strictement chronologique (mai 2002 – juillet 2004), se révèle pour ce qu’elle est en réalité : une chronique du pouvoir. Avant tout, vraie et sans fioritures, car dûment documentée. Mais aussi, symbolique. Pour sa capacité à raconter comment, au lendemain du 11/9, le problème (qui n’est pas seulement américain, pour ceux qui se veulent bien se rappeler la façon dont le gouvernement italien a cherché à camoufler l’implication de nos Services secrets dans l’affaire de l’uranium nigérian, la fameuse affaire « Niger-gate »), n’était pas la recherche de la vérité. Mais plutôt la recherche d’une vérité « compatible ». Qui, à la différence de toute autre vérité, ne ferait de mal à personne. Qui coïnciderait avec les intérêts d’une administration sur le point de demander un second mandat à ses électeurs. Qui ne franchirait pas le seuil de tolérance à la douleur de la bureaucratie en charge de la sécurité intérieure (FBI) et extérieure (CIA) et des hommes qui les dirigeaient à l’époque (Robert Mueller et George Tenet). Qui garderait intact le secret inavouable du régime saoudien et de ses liens avec les pirates de l’air du 11/9. Une vérité, en somme, qui permettrait d’accompagner, sans les faire dérailler, les politiques, les stratégies, les priorités d’intervention contre la violence de l’islamisme radical baptisée par la Maison-Blanche de George W.Bush et Dick Cheney.
Prises l’une après l’autre, les révélations de Shenon acquièrent ainsi cohérence et intelligibilité.
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Pour n’en citer que quelques-unes, on comprend par exemple pour quelles raisons, au lendemain de sa nomination à la présidence de la Commission sur le 11/9, l’ex-secrétaire d’État Henry Kissinger préféra démissionner plutôt que de devoir révéler à l’Amérique, et avant elle, aux « Jersey girls » (ce groupe de veuves des attaques contre les Tours Jumelles), quels clients saoudiens (on lui demanda même, « étaient-ce les Ben Laden ? ») possédaient les actions de sa société « Kissinger Associates » et au centre de quel conflit d’intérêts potentiel il se trouvait. On comprend aussi pour quelles raisons la Commission passa sous silence les détails en mesure de raconter autre chose, quelque chose de très différent sur les pirates de l’air du 11/9, capable de démonter leur image de martyre envoyé, lettre du Coran à la main, depuis quelque lointaine grotte afghane (pas seulement les soutiens qu’ils reçurent de la part de Saoudiens résidents en Californie pendant la période de leur entrainement, mais aussi leurs visites dans les sex-shops et leurs fréquentations de call-girls). Ou encore, on imagine mieux les raisons de la terreur qui assaillit Sandy Berger, ex-conseiller de Bill Clinton pour la Sécurité nationale, au lendemain des attaques contre les Tours et le Pentagone, et qui le poussa à dérober des Archives nationales de Washington des documents couverts par le secret d’État, qui lui auraient permis de préparer une défense politique crédible de l’administration démocrate dont il avait fait partie, et de son engagement dans la lutte à Oussama Ben Laden et son organisation al-Qaida.
Naturellement, Shenon donne le nom de celui qui fit en sorte que l’enquête de la Commission sur le 11 Septembre, malgré ses pouvoirs d’investigation et sa présidence bi-partite (le républicain Tom Kean et le démocrate Lee Hamilton), finisse par ne chercher qu’une « vérité compatible ».
Et ce nom est celui de Philip Zelikow, qui en Italie n’évoque rien à personne.
Professeur à l’université de Virginie, Zelikow, en tant que directeur exécutif de la Commission, aura un rôle crucial dans le choix des témoins à rechercher et à interroger. Des faits à conserver ou à mettre aux rebus.
Jusqu’à devenir le véritable patron de cette commission, capable de diriger chaque détail de l’enquête. Ses rapports avec Karl Rove (l’homme qui inventa George W. Bush) et Condoleezza Rice, ses contacts téléphoniques permanents avec la Maison-Blanche, resteront longtemps secrets. Avec son livre « Omissis », Shenon met fin à ce secret.
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Carlo Bonini