JEAN-PHILIPPE GAUDIN
Agé de 46 ans, le Vaudois, originaire de Montreux, est entré en 2003 dans le Service de renseignement militaire (SRM), un des trois services de sécurité de la Suisse avec les Services d'analyse préventive (SAP) et de renseignement stratégique (SRS). Domicilié à Payerne, père de trois filles, il est diplômé du Collège de la défense de l'OTAN (Rome) et de l'Institut des hautes études de défense nationale (Paris).
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Vous êtes le nouveau patron du service de renseignement militaire. Notre James Bond à croix blanche, quoi?
Pas du tout. 007 n'a aucun rapport avec la réalité du renseignement. Déjà, j'aurais du mal à passer inaperçu avec mon uniforme de brigadier. Ensuite, notre armée n'organise jamais d'opération clandestine.
Mais un personnage comme Bond, qui parcourt le monde pour combattre les ennemis de la Couronne, ça vous fait rêver?
Ça m'amuse. Mais cela ne correspond pas à mon travail, qui consiste à analyser les informations que je reçois de sources différentes. Il y a l'imagerie satellitaire, les écoutes ou nos agents sur le terrain. A la fin, je fournis au chef de l'armée un produit, en fait un document de quelques pages. Il lui permet d'engager les bons moyens aux bons moments.
Le chef de l'armée Roland Nef étant hors jeu après sa démission, à qui transmettez-vous vos informations?Au numéro deux de l'armée. L'absence de Roland Nef n'a pas de conséquence sur la gestion quotidienne de l'armée. Mais il ne faut pas que cette situation perdure. Nous avons besoin d'un chef pour planifier l'avenir.
Cela vaut-il pour le renseignement militaire?
Bien entendu. Roland Nef, qui a d'ailleurs fait du très bon travail, avait une oreille très attentive pour le renseignement. Il avait compris qu'il faut investir dans ce domaine très important de nos jours. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, une majorité des pays occidentaux misent sur les services d'espionnage et de lutte antiterroriste.
Que manque-t-il à vos services pour être à la page?
Un centre d'imagerie satellitaire doit être une de nos priorités. Si l'armée suisse veut devenir une armée moderne capable d'effectuer des actions dans notre pays ou à l'étranger, elle a un urgent besoin de ce genre d'équipement.
Encore un investissement à plusieurs millions de francs pour l'armée alors que l'achat du nouvel avion de combat provoque une levée de boucliers de l'UDC et de la gauche sous la Coupole.
Pensez-vous vraiment que le Parlement va libérer des fonds pour un tel centre hi-tech?
C'est un choix politique. Selon le projet ISTAR - Intelligence, Surveillance, Target Acquisition, Reconnaissance - sur lequel nous travaillons, un tel centre d'imagerie pourrait être opérationnel en 2012 déjà. Il ne coûterait pas plus de 10 millions de francs par année. Cela comprendrait les salaires de la vingtaine d'experts encore à former. En outre, nous n'aurons pas besoin d'un satellite militaire proprement suisse. Nous pouvons intégrer un programme européen, comme le système Elios.
Vous estimez donc que la Suisse est en retard d'une guerre dans le domaine?
Pas encore. Mais il ne faut pas manquer le train. Si nous ne voulons pas être trop dépendants de nos partenaires du renseignement, nous devons disposer des bons outils. Et le centre d'imagerie est indispensable.
Mais est-ce vraiment nécessaire, puisque vos partenaires français, allemands et américains vous mettent à disposition leurs images satellites?
(Silence.) A la limite, on peut aussi supprimer l'armée suisse et attendre que d'autres pays viennent nous défendre. N'oubliez pas un point: notre pays vit en paix entre autres parce qu'il a une bonne armée et de bons services de renseignements. Il ne faudrait tout de même pas que les Américains nous informent de ce qui se passe à Zurich...
Quelles sont les menaces réelles contre la Suisse?
Le terrorisme, notamment islamiste. Les attentats à New York, à Madrid et à Londres peuvent demain se produire à Genève, à Zurich ou à Bâle. Il y a aussi la prolifération des armes de destruction massive, les migrations illégales, la criminalité organisée, les attaques informatiques et financières, ainsi que les catastrophes environnementales. On voit aussi que l'Asie se réarme. La victoire éclair des Russes sur la Géorgie pose aussi des questions au sujet de notre propre système de défense. Et elle nous prouve que nous ne devons pas trop baisser la garde dans le domaine conventionnel.
Arrêtez, les milieux de la sécurité nous font peur à chaque fois qu'ils ont besoin de sous...
Franchement, est-ce qu'il y a de vraies menaces concrètes?
Avant l'Eurofoot, des sites Internet islamistes ont promis de mettre la Suisse et l'Autriche à feu et à sang. Durant le championnat, il y a eu deux ou trois alertes importantes. L'une d'elles concernait le vol d'explosifs dans le sud de l'Italie.
Est-ce que l'initiative UDC contre la construction de nouveaux minarets peut faire de la Suisse une cible d'Al-Qaida?
Pour l'instant, l'initiative ne pose aucun problème de sécurité, même si on ne se fait pas que des amis dans le monde musulman. En revanche, nous devrons faire attention aux dérapages durant la campagne de votation. Des réseaux dormants d'Al-Qaida existent en Europe.
Et s'il y a des attentats?
Ce sera l'échec de l'ensemble des services. Mais le renseignement n'est pas une science exacte. Nous nous trompons aussi.
Pourriez-vous démissionner si des Suisses sont tués en Suisse par une bombe islamiste?
Oui... si la responsabilité de mon service est engagée.