"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

27 août 2008

“La saga de l’anthrax : la piste de l’armée américaine « confirmée » !”

Quand la presse états-unienne ou canadienne a commencé à rendre compte du décès de M. Bruce Ivins, un scientifique de haut niveau employé à Fort Detrick (le laboratoire de recherche sur les armes biologiques de l’armée US), qui allait être poursuivi dans le cadre de l’enquête du FBI sur les attaques à l’anthrax ayant suivi immédiatement les attentats du 11 Septembre, le moins que l’on puisse dire est qu’elle prît un certain nombre de précautions oratoires.
Ainsi, au moment où l’affaire sort (3 jours après la mort de la victime), le LA Times parlait-t-il comme l’Associated Press d’un « suicide apparent ». Formule étonnante qui implique un minimum de doutes sur la réalité de ce suicide.

Le site de Radio Canada choisit de titrer « Mort mystérieuse au Maryland ». Un autre site d’information canadien utilise le conditionnel : « Attentats à l’anthrax aux Etats-Unis : Le suspect se serait suicidé ».

Pour l’AFP, en revanche, pas de place pour le doute, qui assèna en titre de son article : « Suicide d’un scientifique américain en cause dans le dossier de l’anthrax. »

Idem pour Le Figaro qui passa immédiatement à ce qui lui semble une conclusion logique de cause à effet : « Soupçonné des attaques à l’anthrax, il se suicide. » Rendons grâce au correspondant à New York de ce journal, il connaît le mot « apparemment » et l’utilise dans le premier paragraphe. Passons en revanche sur l’usage impropre du terme « rançon » pour « récompense », sans y voir aucune malice ! Le journaliste, M. Jean-Louis Turlin, a en outre une meilleure mémoire que ses collègues puisqu’il se souvient du nom des 2 sénateurs destinataires de lettres contenant l’agent pathogène : MM. Daschle et Leahy. Ce qui semble alors étonnant est son oubli de rappeler au lecteur de l’article que ces 2 sénateurs étaient les plus véhéments opposants au vote de l’US PATRIOT Act. S’agirait-il pour l’occasion d’une mémoire sélective ? Et de conclure de façon aussi factuelle que surréaliste que « l’affaire Ivins semble écarter définitivement al-Qaida. »

On serait cependant tenté d’ajouter que la « piste » al-Qaïda, pour ce qui concerne l’anthrax au moins, ne pouvait satisfaire que des ignorants aveuglés par la propagande de l’administration Bush, relayée par les grands médias. Et de rappeler qu’outre al-Qaïda, la liste des suspects improbables alla jusqu’à inclure la Russie de Poutine, la Syrie de Bachar el-Assad ou, bien évidemment, l’Irak de Saddam Hussein. Faut-il rappeler aussi que le PATRIOT Act a finalement été voté en toute hâte, sans même avoir été lu, comme Michael Moore le révélait au grand public dans son documentaire Farenheit 911 ?

Aucun journal ne semble se poser la question suivante : pourquoi un scientifique reconnu, décoré, ayant travaillé au service de son pays pendant 33 ans et notamment à la mise au point de vaccins, se serait-il mué en terroriste biologique au lendemain des attentats du 11 Septembre ? Quelles auraient pu être ses motivations ? Le cas échéant, est-il vraisemblable qu’il ait pu agir seul, à l’insu de tous, qui plus est dans un laboratoire militaire dépendant directement du Pentagone ?

À l’heure actuelle, il semblerait que la mort de M. Ivins va mettre un terme à l’une des plus grandes enquêtes jamais entreprises par le FBI. À nouveau, on constate que rien n’a été élucidé : ni le mobile ni les moyens mis en œuvre n’ont été éclaircis à ce jour, encore moins prouvés. Plus extraordinaire encore, on en oublierait presque que le suspect présenté en définitive travaillait pour le Pentagone dans "la Mecque" de la recherche militaire états-unienne en matière de guerre biologique !

CNN par exemple note que toutes les personnes qui connaissaient M. Ivins ont été choquées d’apprendre à la fois sa mort et le fait même qu’il allait être mis en examen ; amis, famille, mais aussi collègues de longue date, tous affirment que le chercheur n’avait pas le profil d’un terroriste… Dans ce même article, on prend quand même la précaution de relayer une information du ministère de la Justice visant à ternir l’image publique de M. Ivins. On apprend d’ailleurs plus tard que ce scientifique aurait fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, voire (c’est un comble !) qu’il aurait tenté d’empoisonner des gens. La surenchère continue : dans son dernier article en date, le LA Times parle maintenant, à l’unisson de Fox News, d’un « tueur sociopathe » ! Sachant que M. Ivins a conservé ses fonctions et l’accès aux agents pathogènes létaux qu’elles impliquent tout en étant sous le coup, comme la plupart de ses collègues, de la plus grande enquête jamais entreprise par le FBI (Ameri-Thrax), voilà qui est pour le moins… surprenant. À moins de croire, bien sûr, que les agents du Bureau ne sont que des détectives amateurs sans moyens ni expérience.

Le lendemain, toujours dans le LA Times, on pouvait lire que M. Ivins étant co-inventeur d’un vaccin contre l’anthrax, il aurait pu « profiter financièrement d’une épidémie de la maladie du charbon ». Toutefois, il est précisé que ce profit virtuel aurait été relativement modeste : « quelques dizaines de milliers de dollars, pas des millions » précise-t-on dans le même article. M. Ivins était-il nécessiteux, sans scrupule et cupide ? Il faut se demander si cela constitue un mobile raisonnable et crédible…

Sans doute les médias anglo-saxons sont-ils plus sceptiques que ceux de notre pays, pour avoir suivi de plus près la « désignation » d’un autre scientifique, M. Steven Hatfill depuis officiellement lavé de tout soupçon et même récemment indemnisé très largement par le gouvernement à hauteur de plusieurs millions de dollars US (entre 2,8 et 5,8 selon les sources) après avoir intenté un procès contre le ministère de la Justice. Il a également intenté des actions contre divers journaux qui ont préféré un règlement à l’amiable à un procès.

Force est de constater que les zones d’ombre sont encore nombreuses dans cette affaire : à vrai dire, le parcours atypique et aventureux de M. Hatfill en fait certainement un meilleur suspect que le docteur Ivins. Rappelons pour mémoire que M. Hatfill n’a jamais été mis en examen, mais seulement désigné comme « une personne d’intérêt dans cette affaire » (terminologie suffisamment vague pour ne pas être trop incriminante) suite à une « fuite » du ministre de la Justice Ashcroft en personne. Hatfill fut l’un des vecteurs de la fausse information selon laquelle l’Irak disposait des moyens technologiques pour fabriquer le meilleur anthrax au monde… Une histoire qui serait plus tard reprise et amplifiée (notamment par Brian Ross de la chaîne ABC) sous la forme des fameuses armes de destruction massive de Saddam Hussein, chères au président Bush, au vice-président Chesney, au ministre de la Défense Rumsfeld, au directeur de la CIA Tenet et au ministre des Affaires étrangères Powell. Mais ce n’est pas tout ! Il faut en effet rappeler que ce sont les sites dits « conspirationnistes » qui les premiers se sont fait l’écho de ce qui fait maintenant figure d’évidence historique (l’origine états-unienne et militaire de l’anthrax utilisé) pour les médias dominants… qui à l’époque s’en sont surtout tenu à relayer la propagande officielle susmentionnée, quand ils ne la fabriquaient pas !

Un autre « suspect » possible reste M. Philip Zack. Ce microbiologiste avait alerté le FBI en envoyant une lettre dénonçant l’un de ses anciens collègues de recherche à Fort Detrick, le docteur Assaad. Ce dernier faisait alors un coupable idéal : il était d’origine arabe, musulman et avait intenté un procès à l’armée US pour discrimination. Il faut en effet se souvenir que si les lettres à l’anthrax ne contenaient pas de revendication, elles comportaient un double message de haine envers Israël et les USA, et de gloire à Allah (voir photo) : dans ce contexte traumatique de l’après 11 Septembre, ce message pourtant peu crédible renforça d’autant plus l’islamophobie naissante. Assaad fut rapidement écarté de la liste des suspects par le FBI… mais son délateur ne fut pas inquiété outre mesure. Et pourtant, lui comme son collègue Dr. Rippy (tous les 2 sanctionnés auparavant par une enquête interne de l’armée) apparaissent, aux yeux du profane, comme des « personnalités intéressantes » pour reprendre le jargon du ministère de la Justice. [Sur le fonctionnement aberrant des labos à Fort Dietrick, les anglophones pourront lire la longue enquête du magazine Salon, ici.]

Bref, les 2 personnes les plus suspectes (sans parler du « suicidé » Ivins) s’avèrent être tout à fait blancs, pas du tout musulmans, et ayant des sympathies marquées pour les idées les plus à droite de la scène politique états-unienne. On est effectivement aussi éloigné que faire se peut d’une piste al-Qaïda et/ou Irak…

Regrettons encore que l’on ne sache toujours pas ce qui a motivé la Maison Blanche à prescrire du Cipro (l’antibiotique contre la maladie du charbon) à Cheney et à son staff dès le soir du 11 Septembre, puis au président Bush. Avait-elle une connaissance préalable de la menace ? impossible de le déterminer : tout ce qui entoure cette affaire fut entouré d’un tel secret que même les 2 sénateurs (principales cibles politiques) se sont vu refuser l’accès à des informations, jugée « trop sensibles » !

Continuons… Le professeur Francis A. Boyle fut l’un des premiers à alerter l’agent du FBI en charge de la coordination de l’enquête sur l’anthrax, M. Marion « Spike » [la censure] Bowman. M. Boyle avait en effet été alerté par le fait que le FBI cherchait l’assistance du laboratoire de Fort Detrick (siège de l’USAMRIID) dans l’enquête sur l’anthrax. Or, selon lui, ce laboratoire « était sans doute plus la cause du problème que sa solution ». Malheureusement, M. Boyle ignorait à l’époque le rôle surprenant joué par M. Marion Bowman dans le "fiasco" de l’ordinateur de M. Moussaoui, et qui eut pour conséquence que les agents de terrain du FBI de Minneapolis, comme Coleen Rowley, s’en virent refuser l’accès.

Il l’explique d’ailleurs parfaitement dans son livre Guerre biologique et terrorisme. Car ce qu’il est important de comprendre est somme toute relativement simple : après le 11 Septembre et grâce à lui, l’administration Bush a engagé les États-Unis dans une course folle aux armements chimiques et biologiques en complète violation de la législation américaine et des traités internationaux. Ce programme s’appelle le projet Bioshield et bien qu’il ait été présenté comme un programme de recherches à vocation défensive, il est susceptible de par sa nature même de mener à la création d’armes biologiques à buts offensifs ; cela est strictement interdit par la convention de 1993 sur les armes NBC. Le projet Bioshield est totalement inconnu du grand public, et il serait peut-être important d’en prendre connaissance, compte tenu de ce qui apparaît maintenant au grand jour : l’implication de scientifique(s) de haut niveau travaillant pour l’USAMRIID (c’est-à-dire l’armée US) dans les attaques terroristes à l’anthrax de septembre et octobre 2001.

L’affaire semble en voie d’être close, sans avoir été élucidée, de façon somme toute appropriée pour qu’elle ne vienne pas interférer avec les prochaines élections présidentielles, ni présenter un autre handicap dans la campagne républicaine de M. McCain…

Seuls les mauvais esprits verront-ils dans ce « suicide apparent » une étrange redite du « suicide » de M. David Kelly ?

Enfin, au sujet de la Grande-Bretagne, dans le registre du terrorisme attribué à al-Qaïda, cette nouvelle est à noter, qui n’aura pas fait les gros titres de vos journaux : Attentats de Londres: le procès s’achève sans verdict.


Arno Mansouri
Directeur des Editions Demi-Lune