"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

12 septembre 2021

Le 11-Septembre aurait-il pu être évité si les renseignements américains s’étaient mieux coordonnés?

 

Le 11-Septembre aurait-il pu être évité ? Rien n’est moins certain, mais les puissants services de renseignements américains ne tirèrent aucune conclusion des investigations menées à travers le monde entier, pas plus que des multiples alertes envoyées par leurs agences des pays alliés. La faillite de ce système est un vrai polar…


Il est 17 h 10 en ce jeudi 16 août 2001 lorsque quatre agents – deux du FBI et deux du service de l’immigration, collaborant au sein de l’unité antiterroriste multipolices – interpellent deux hommes sur le parking de l’hôtel Residence Inn d’Eagan dans le Minnesota. Un établissement de bord d’autoroute et qui ne paie pas de mine, situé non loin de Minneapolis.

Mais il héberge depuis trois jours un certain Zacarias Moussaoui, cible de l’action des policiers à l’inverse de son compagnon de voyage. Ce natif de Saint-Jean-de-Luz, âgé de 33 ans à la carrure aussi athlétique qu’il est sombre et taciturne, crâne rasé et qui parle un anglais tout juste correct mâtiné d’un fort accent français est interpellé après que, la veille, Timothy Nelson ait informé le FBI de son étonnant comportement.

Nelson est employé au sein de la Pan Am International Flight Academy, centre d’entraînement sur simulateur de vol, installé à Eagan. Déjà, qu’un élève débarquant de nulle part paie en cash sa formation sur simulateur de Boeing 747 – plus de 8 000 dollars – avait fait tiquer l’école Pan Am, mais en plus il ne faut que quelques heures à Clarence Prévost, ancien pilote de ligne et instructeur, pour constater que cet homme qui se fait passer pour un pilote qualifié n’a quasiment aucune notion.

Il est vrai que le seul appareil que Moussaoui savait alors piloter – et encore – était un petit Cessna monomoteur bien loin du gros-porteur qu’est le 747. Mais surtout Moussaoui se désintéresse des phases de décollage et d’atterrissage portant son attention sur les systèmes de pilotage automatique, la radio et se passionne pour les virages en plein vol.

Étrange apprenti pilote

L’instructeur a eu le nez creux : porteur d’un passeport français au visa d’entrée périmé et d’un permis de conduire anglais, les enquêteurs qui l’interrogent dès le lendemain se rendent rapidement compte qu’avant d’arriver aux États-Unis, en février 2001, le Français avait séjourné au Pakistan – d’où il est aisé de se rendre dans l’Afghanistan des talibans – puis en Malaisie, plaque tournante des activistes d’Al Qaïda en Asie.

Rapidement ils remontent le fil de sa présence sur le territoire états-unien où, avant de rallier l’académie Pan-Am, il tenta d’apprendre à piloter à Norman dans l’Oklahoma.

Après 57 heures de cours, l’instructeur local lui refuse la permission de voler en solo ; aux commandes l’impétueux Moussaoui est trop dangereux. Qu’à cela ne tienne, l’homme s’inscrit donc à la Pan Am Academy.

Sous les barreaux, Moussaoui est juste inculpé de violation des lois sur l’immigration, son visa étant expiré. Son téléphone et son ordinateur ont été saisis ; les enquêteurs locaux brûlent d’envie de les faire parler mais, par deux fois, se voient refuser le « warrant », ce document officiel qui les y autoriserait par le siège du FBI. Il s’agit pour les juristes du siège de ne pas ternir l’image de la maison par des pratiques procédurières.

Pourtant quelques jours plus tard, un « mémo » émanant de la Direction de la surveillance du territoire en France (DST) confie que Moussaoui a des pensées islamiques extrémistes, qu’il était dangereux et avait des relations avec les rebelles tchétchènes.

Un ordinateur qui parle… trop tard

C’est à la suite des attentats du 11 septembre, que les renseignements purent enfin consulter le disque dur de son portable… Zacarias Moussaoui se trouvait peut-être aux États-Unis pour être le 20e des 19 terroristes du 11-septembre, ce qui n’a jamais été formellement prouvé contrairement à ses liens totalement avérés avec Al Qaida. Dans l’ordinateur se trouvaient en effet les numéros de téléphone de quelques-uns des terroristes du 11-septembre dont celui de Mohammed Atta, le chef du sinistre commando.

Si son ordinateur avait parlé plus tôt ; si les agences de renseignements américaines si puissantes et si bien organisées avaient échangé ; si elles avaient écouté les retours émanant des services secrets français et britanniques ayant alerté sur la dangerosité du personnage, les attentats du 11-Septembre auraient – peut-être – pu être évités.

Car dans ce monstrueux complot, Moussaoui, condamné à la prison à vie en 2006, n’est pas le seul maillon faible de l’organisation Ben Laden à avoir été identifié, mais il fut le seul ayant été arrêté avant le massacre.

Réunion au sommet à Kuala Lumpur

Si les agences de renseignements américaines – FBI, CIA qui possède en son sein un bureau surnommé Alec Station destiné à pister Ben Laden, NSA… – n’ont pas su déjouer les attentats du 11-Septembre, le dessous des cartes a révélé au fil des vingt ans qui se sont écoulés depuis les incroyables négligences dont elles firent preuve.

Kuala Lumpur (Malaisie), 5 janvier 2000. Dans un quartier résidentiel luxueux arrivent deux Saoudiens de bonne famille : Khalid Al-Midhar et Nawaf Al-Hazmi. Ils débarquent d’avions en provenance de Sanaa (Yémen) via Dubaï.

Malgré leurs apparences très communes, propres sur eux et les fines lunettes qui confèrent à Al-Midhar un look d’intellectuel, ces deux jeunes gens sont des combattants islamiques aguerris. Ils sont passés par « les écoles Ben Laden », ont combattu côte à côte en Bosnie, en Tchétchénie ou encore en Afghanistan lors de la lutte des talibans contre les troupes du commandant Massoud.

Dernièrement encore, au camp de Mes Aynak en Afghanistan, ils se sont perfectionnés en détournement d’avion, à quel moment passer à l’action, comment y introduire couteaux et cutters, comment investir le poste de pilotage…

La première phase de leur formation en vue des attentats du 11-Septembre.

S’ils viennent en Malaisie, c’est pour y tenir dans l’appartement d’un riche homme d’affaires malais une série de réunions d’Al Qaida, dirigées par Khaled Sheikh Mohamed, le cerveau du 11-Septembre, l’homme qui a vendu l’idée à Ben Laden et encadre depuis sa préparation. On y parle aussi de l’attaque contre des bâtiments de guerre américains – c’est ici que naît l’attentat contre le destroyer USS Cole au Yémen qui interviendra le 12 octobre suivant (17 morts, 39 blessés) – et bien sûr du montage du 11-Septembre.

Tout cela, la CIA le sait : à sa demande, les services de renseignement malais ont filé Al-Midhar depuis l’aéroport, ont planqué devant la résidence cossue, ont noté les membres participants aux briefings… Depuis la fatwa lancée par Ben Laden le 22 février 1998 intimant « de tuer les Américains et leurs alliés, civils comme militaires, dans tous les pays possibles », depuis les sanglants attentats ayant eu lieu en août 1998 contre leurs ambassades du Kenya et de Tanzanie (224 morts, plus de 5 500 blessés), les États-Unis s’attendent à un coup de force majeur d’Al Qaida, opération qu’ils surnomment « The big one ».

Deux agents infiltrés

Tout cela, la NSA s’en doute. La plus grande et la plus mystérieuse des agences de renseignement américaine, aux moyens tentaculaires à travers le monde, n’est autre que les grandes oreilles des États-Unis. Ses armes sont majoritairement informatiques, mais elle est capable d’écouter toutes les conversations électroniques à travers le monde. Et elle eut vent avant tout le monde de la tenue de la réunion de Kuala Lumpur.

Mais la NSA n’est pas partageuse. Elle communique à la CIA et au FBI que des bribes d’information. Et si elle avait été plus loin dans ses informations, les investigations du FBI et de la CIA auraient permis de savoir que Al-Midhar et Al-Hazmi détenaient des visas en bonne et due forme pour entrer aux États-Unis.

Car, peu après leur départ de Malaisie, c’est sans aucune difficulté, que les deux terroristes arrivent à Los Angeles le 15 janvier ayant semé la CIA lors d’une escale en Thaïlande.

Ce même 15 janvier 2000, le Los Angeles Times affiche sur sa Une : « Des experts prévoient que les États-Unis seront la prochaine cible des terroristes ».

Et deux pierres angulaires des attentats du 11-Septembre viennent d’entrer dans la place… Maintenant qu’ils sont sur le territoire américain, ils s’installent dans un premier temps à San Diego chez un ami, Omar Al-Bayouni, agent infiltré des services secrets saoudiens aux États-Unis puis loue une chambre chez un professeur Abdussattar Shaikh, musulman d’origine indienne et… informateur en temps normal du FBI, mais qui jamais n’en informera l’agence !

Les deux Saoudiens n’ont qu’un but : apprendre à piloter des avions… et s’encanailler dans les boîtes de strip-tease où il laisse de généreuses liasses de dollars.

En mars 2000 pourtant la CIA retrouve la trace des deux hommes, mais entend gérer seule la situation et n’informe pas le FBI – qui les a inscrits dans son Top 20 des terroristes – auquel pourtant sont réservées les actions sur le sol américain.

Plus tard, Al-Midhar retournera au Yémen et en Arabie saoudite, bien que fiché terroriste et y recrute quelques-uns des gros bras qui composeront les commandos terroristes. Et le 4 juillet 2001, alors qu’il est qualifié de dangereux par la CIA, la NSA, le FBI, les services secrets malais, thaïs et saoudiens, il pénètre de nouveau aux États-Unis avec un passeport qui n’est pas en règle et fort d’une demande de visa incomplète !

Le rapport Williams

Le 5 juillet 2001, une patrouille de police arrête pour excès de vitesse un certain Mohammed Atta à Delray Beach en Floride. Rien de grave. Comme à l’accoutumée, le policier consulte néanmoins depuis son propre véhicule, la banque de données de la police. Il n’y voit rien d’autre à reprocher au conducteur. Et pourtant, depuis un mois, Mohammed Atta fait l’objet d’un mandat d’arrêt : il ne s’est pas présenté devant le tribunal depuis sa dernière arrestation routière, le 4 juin, pour conduite sans permis.

Ce même 5 juillet, Atta prend un avion pour Madrid. Il a rendez-vous en Espagne avec Ramzi Bin Al-Shibh une des logisticiens des attentats qui lui transmet les ultimes consignes de Ben Laden sur la date des attentats. En moins d’un mois, le chef du commando du 11-Septembre, qui a déjà encadré sur le territoire américain les formations de pilote de sept terroristes, est interpellé par deux fois pour des délits routiers. Atta est rapidement de retour aux États-Unis.

10 juillet 2001, Phoenix, Arizona, siège local du FBI. C’est avec un peu d’appréhension mais aussi une pointe d’excitation que Ken Williams, envoie au quartier général du FBI dont il est agent, un rapport complet. Sur les six pages qui le composent, Williams explique et détaille « le nombre d’individus suspects qui se sont inscrits ou ont été inscrits dans des cours de l’aviation civile. »

De plus, là encore certains apprentis pilote ne s’intéressent qu’à la conduite des avions en vol, pas au décollage ni aux atterrissages. Voilà sept ans que Williams bosse le sujet, mais depuis quelque temps la présence accrue de ces apprentis pilote l’inquiète. Il les soupçonne de préparer des attentats aériens. Et, parmi les noms qu’il cite, se trouve celui de l’un des futurs « pilotes » du 11-Septembre infiltré sur le territoire américain. Le mémo de Williams, classé sans suite par sa direction car jugé incomplet sera révélé après le 11-Septembre.

La CIA reçut plus de trente alertes

Et d’autres alertes proviennent de partout : des services de renseignements britanniques dès novembre 1999 informant leurs homologues américains que des avions pourraient être utilisés dans des attentats ; des services secrets égyptiens (juillet 2001) : 25 membres d’Al Qaida se trouveraient sur le territoire américain et que certains auraient passé leur brevet de pilote ; ce que confirment les Jordaniens le mois suivant. Puis arrivent trois autres notes des Britanniques et une des Français.

De son côté, à partir de juin 2001, les grandes oreilles de la NSA relèvent une multiplication des communications téléphoniques au Moyen-Orient et Pakistan faisant état d’attaques imminentes. Richard Clark, chef de l’anti terrorisme à la Maison-Blanche fait placer en alerte les 10 000 bureaux et résidences du FBI. Plus de trente alertes furent aussi reçues par la CIA. Mais si celle-ci savait que Ben Laden voulait frapper un grand coup, elle imaginait cette action hors du territoire états-unien. Et prévenue, l’administration Bush sous-estime les menaces. Le 6 août 2001, alors qu’il se trouve en vacances dans son ranch de Crawford au Texas, George Bush reçoit un rapport de la CIA intitulé « Ben Laden est résolu à frapper les États-Unis ».

Manque de coordination, aveuglement, incompétence : tous les qualificatifs furent employés lors des vastes enquêtes menées après le 11 septembre pour qualifier le comportement des agences de renseignements américaines. Auraient-elles pu arrêter le bras armé de Ben Laden, ces 19 terroristes qui ont frappé en ce terrifiant mardi ? Il n’y a aucune certitude en la matière juste un consternant constat d’échec qui, depuis 20 ans, continue toujours à coûter la vie de tant d’innocents.

Philippe JOUBIN

ouest-france.fr