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Donald Rumsfeld, ex-secrétaire à la Défense de George W. Bush
Un juge fédéral a statué que l’ancien Secrétaire à la Défense Donald H. Rumsfeld pouvait être poursuivi personnellement en dommages et intérêts par un sous-traitant de l’armée américaine qui dit avoir été torturé au cours d’un emprisonnement de neuf mois en Irak.
La plainte relate, dans un récit dramatique, la disparition de l’entrepreneur, alors contractant civil et vétéran de l’armée, dans la cinquantaine, dont l’identité n’est pas divulguée dans les documents judiciaires, par crainte de représailles. Les avocats de l’homme, qui parle cinq langues et a travaillé comme traducteur pour la collecte de renseignement pour les Marines en Irak, disent qu’il s’apprêtait à rentrer aux États-Unis pour ses congés annuels quand il a été enlevé par l’armée américaine et détenu sans justification tandis que sa famille restait sans nouvelles de lui, et ignorait même s’il était encore vivant.
Le gouvernement dit qu’il était soupçonné d’aider à faire passer à l’ennemi des informations classifiées et d’aider les forces anti-coalition à se rendre en Irak. Mais il n’a jamais été accusé d’aucuns crimes, et précise qu’il n’a jamais enfreint la loi et qu’il a risqué sa vie pour aider son pays.
Des documents judiciaires déposés en son nom à plusieurs reprises disent qu’il était maltraité alors qu’il était détenu au Camp Cropper, une installation militaire américaine près de l’aéroport de Bagdad utilisée pour l’emprisonnement de détenus de «grande valeur», puis qu’il fut soudainement libéré sans explication en août 2006.
Deux ans plus tard, il a intenté une action en justice auprès de la Cour du district de Washington, arguant du fait que Rumsfeld avait personnellement approuvé l’utilisation de techniques d’interrogatoires utilisant la torture au cas par cas, et avait autorisé sa détention sans jugement, en violation de ses droits constitutionnels.
L’avocat de Chicago Mike Kanovitz, qui représente le plaignant, indique que l’armée semblait vouloir garder son client derrière les barreaux pour qu’il ne puisse parler à personne d’un contact qu’il avait établi avec un dirigeant important, dans le cadre de ses activités d’espionnage en Irak.
« Le gouvernement américain n’était pas prêt à ce que le reste du monde apprenne cela, et donc ils l’ont mis ‘au frais’, » a déclaré Kanovitz dans un entretien téléphonique. « Si vous avez un pouvoir illimité sur les citoyens, pourquoi ne pas l’utiliser ? »
L’administration Obama a fait représenter Rumsfeld par le ministère de la Justice qui a soutenu que l’ancien Secrétaire à la Défense ne pouvait pas être poursuivi personnellement pour des faits relevant de sa fonction officielle. Le ministère de la Justice a également fait valoir que le juge ne saurait examiner les décisions de guerre qui sont de la responsabilité constitutionnelle du Congrès et du Président.
Enfin, le Département a indiqué que l’affaire pourrait amener à divulguer des informations sensibles et à affaiblir l’effort de guerre, et que la menace de devoir rendre des comptes pourrait affecter de futures décisions militaires.
Mais le juge de district américain James Gwin a rejeté ces arguments et a indiqué que les citoyens américains sont protégés par la Constitution aux USA aussi bien qu’à l’étranger en temps de guerre.
« Le tribunal ne voit aucune raison convaincante pour que des citoyens américains en Irak doivent perdre des garanties substantielles de protection pendant une détention prolongée dans une zone de conflit à l’étranger, » a statué Gwin dans une décision rendue mardi.
« Les enjeux amenant à maintenir des détenus à Camp Cropper peuvent avoir été élevés, mais un des buts des limitations constitutionnelles concernant les techniques d’interrogatoire et les conditions de détention, même aux États-Unis, est de trouver un équilibre entre les objectifs du gouvernement et les droits individuels, même lorsque les enjeux sont élevés, » a considéré le juge.
Dans de nombreux autres cas de détenus étrangers, les juges ont rejeté les allégations de torture portées contre des responsables américains pour leur implication personnelle dans les décisions sur le traitement des prisonniers. Mais c’est la deuxième fois qu’un juge fédéral a permis à des citoyens américains de poursuivre Rumsfeld personnellement.
En Illinois, le juge de district Wayne R. Andersen avait statué l’an dernier que deux autres Américains qui travaillaient en Irak comme entrepreneurs et avaient été détenus à Camp Cropper, Donald Vance et Nathan Ertel, pouvaient intenter des poursuites sur la base du fait qu’ils avaient été torturés selon des méthodes approuvées par Rumsfeld – après qu’ils aient fait état d’activités illégales de la part de leur entreprise. Rumsfeld a fait appel de cette décision, que Gwin a mentionnée.
La Cour suprême a placé la barre très haut pour poursuivre de hauts fonctionnaires, en exigeant qu’ils soient directement liés à une violation des droits constitutionnels et qu’ils aient clairement compris que leurs actes franchissaient cette ligne.
L’affaire portée devant Gwin implique un homme qui est allé en Irak en décembre 2004 pour travailler pour une firme américaine travaillant pour la Défense. Il a été affecté en tant que traducteur de l’arabe auprès des Marines collectant des renseignements à Anbar. Il dit qu’il a été le premier Américain à ouvrir des négociations directes avec Abdul-Sattar Abou Richa, qui est devenu un allié important des États-Unis, et qui a plus tard mené une révolte des cheikhs sunnites contre Al-Qaïda, avant d’être tué par une bombe.
En novembre 2005, alors qu’il était sur le point de partir en congés, des agents du service d’investigation criminelle de la Marine l’ont interrogé sur son travail, refusant sa demande de représentation par son employeur, les Marines ou un avocat. Le ministère de la Justice affirme qu’il lui a été dit qu’il était soupçonné d’aider à fournir des informations classifiées à l’ennemi et d’aider les forces anti-coalition tentant de franchir la frontière séparant la Syrie de l’Irak.
Il dit qu’il a refusé de répondre aux questions en raison des préoccupations concernant la confidentialité, et les agents l’ont menotté et lui ont bandé les yeux, frappé dans le dos et menacé de le tuer s’il tentait de s’échapper. Il a ensuite été transféré dans un lieu inconnu pendant trois jours avant de s’envoler pour Camp Cropper.
Pendant ses trois premiers mois à Camp Cropper, il dit qu’il a été maintenu au secret dans un cachot avec un trou dans le sol comme latrine. Il dit qu’il a ensuite été transféré dans des cellules où se trouvaient des suspects terroristes hostiles aux États-Unis qui ont été informés de son travail pour l’armée, ce qui a conduit à des agressions physiques de la part de ses codétenus, le maintenant dans une crainte permanente pour sa vie.
Il prétend que les gardiens l’ont torturé de façon répétée par étouffement, en l’exposant à des froids extrêmes et à une lumière artificielle intense continue, lui bandant les yeux ou lui passant une cagoule, le réveillant en frappant violemment sur une porte ou une fenêtre quand il essayait de dormir et faisant de la musique dans sa cellule à un niveau "intolérablement élevé".
Il dit qu’il a toujours nié toute malversation et qu’il a répondu honnêtement aux questions, mais que les interrogateurs ont continué à le menacer. Les deux parties conviennent qu’un conseil tenu en décembre 2005 a décidé qu’il était une menace pour les forces multinationales en Irak et a autorisé la prolongation de son maintien en détention, mais il dit qu’il n’avait pas été autorisé à prendre connaissance de la plupart des faits retenus contre lui. Les documents que le gouvernement a déposés auprès du tribunal indiquent seulement qu’il est soupçonné d’un crime, sans fournir aucun détail.
AP