"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

23 novembre 2009

New York jugera les accusés à deux pas de Ground Zero

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Khalid Sheikh Mohamed
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Washington — Les cinq hommes accusés d’avoir organisé les attentats du 11-Septembre[4] seront jugés devant un tribunal de droit commun à New York, à quelques centaines de mètres seulement du théâtre des événements tragiques de 2001, et risquent la peine de mort.

Le ministre de la Justice, Eric Holder, a annoncé hier lors d’un point presse que les cinq accusés, actuellement détenus à Guantánamo, seraient jugés dans un tribunal du sud de Manhattan, tout près du site où s’élevaient les tours jumelles détruites le 11 septembre 2001.

«Les règles fédérales nous autorisent à réclamer la peine de mort pour des infractions lourdes», a dit M. Holder. «Je m’attends certainement à demander aux procureurs qu’ils requièrent la peine de mort contre chacun des accusés du 11-Septembre», a-t-il ajouté en précisant toutefois que la justice allait «examiner les preuves» des actes reprochés aux accusés.

Le cerveau autoproclamé[5] des attentats, Khaled Cheikh Mohammed («KSM» selon ses initiales anglaises), et quatre complices présumés échapperont donc aux tribunaux militaires d’exception.

«Je suis convaincu de la capacité de nos tribunaux de juger ces accusés équitablement», a assuré M. Holder.

Le transfèrement des cinq hommes, «KSM», Ramzi ben al-Shaiba, Ali Abd al-Aziz Ali, Wallid ben Attash et Mustapha al-Hawsawi, vers une prison fédérale ne pourra pas intervenir avant au moins 45 jours, délai imposé par le Congrès pour faire venir tout détenu de Guantánamo sur le sol américain pour son procès.

Le président Barack Obama a assuré hier depuis Tokyo que «KSM» serait jugé de la façon la plus «rigoureuse».

M. Holder a ajouté que cinq autres détenus de Guantánamo, Omar Khadr, Mohammed al-Darbi, Mohammed Noor, Abd al-Rahim al-Nachiri et Ibrahim al-Qosi, actuellement poursuivis devant des tribunaux d’exception, seront en revanche jugés par ces juridictions. Les tribunaux militaires ont été réformés fin octobre par le Congrès pour donner davantage de droits à la défense.

Interrogée par l’AFP, une organisation de familles de victimes des attentats, 9/11 Families for a Secure America Foundation, a immédiatement qualifié la décision de «grave erreur», disant préférer un procès rapide devant un tribunal militaire, alors que plusieurs années devraient encore s’écouler avant le début du procès devant la justice fédérale.

À l’inverse, à l’association September Eleven Families for Peaceful Tomorrow, Donna Marsh O’Connor, qui a perdu sa fille dans les attentats, s’est déclarée «heureuse» que Khaled Cheikh Mohammed soit enfin traduit en justice. «Nous pensons que c’est la meilleure façon de faire», a-t-elle estimé.

Les républicains du Congrès, qui ont tout tenté pour empêcher les transfèrements, ont fustigé la décision du gouvernement. Le chef de la minorité républicaine du Sénat, Mitch McConnell, a estimé qu’il s’agit d’un «pas en arrière pour la sécurité» des États-Unis.

«Les terroristes qui nous ont déclaré la guerre doivent être traités comme des criminels de guerre et traduits en justice pour leurs crimes dans des tribunaux militaires» institués par l’administration Bush, a écrit de son côté le sénateur John McCain, ancien rival de Barack Obama à la présidentielle de 2008.

Le démocrate Patrick Leahy, président de la commission judiciaire du Sénat, a au contraire salué la décision de l’administration. «En les traduisant devant des tribunaux de droit commun, nous montrons au monde que le pays le plus puissant de la Terre a aussi confiance en son système judiciaire», a-t-il assuré.

Pour Anthony Romero, de l’organisation de défense des libertés civiles ACLU, «le transfert de ces procès vers des tribunaux de droit commun est une grande victoire pour rétablir le droit, en même temps qu’il rétablit l’image de l’Amérique dans le monde».

«Il est tout à fait adéquat que les suspects de pires actes de terrorisme commis sur le sol américain soient traduits en justice devant les tribunaux ayant le plus d’expérience en matière de dossiers terroristes», écrit Tom Parker, l’un des responsables d’Amnesty International des États-Unis.

Pour Joanne Mariner, de Human Rights Watch, «les tribunaux d’exception de Guantánamo ne sont tout simplement pas à la hauteur de la tâche».

L’administration s’était engagée à annoncer d’ici lundi où elle entendait juger les détenus de Guantánamo. Mais si ce choix final de renvoyer les cinq hommes devant un tribunal de droit commun a une charge symbolique et qu’il restaure l’image internationale des États-Unis, l’accusation pourrait se heurter à des obstacles procéduraux.

Arrêtés en 2002 et 2003, les suspects ont disparu des années durant dans des prisons secrètes de la CIA, où ils ont subi de mauvais traitements, voire, pour «KSM» du moins, des actes de torture. Ils sont réapparus en 2006 à Guantánamo.

Plusieurs d’entre eux ont fait connaître leur intention d’être condamnés à mort afin de mourir en martyrs. Mais devant une juridiction de droit commun, les violences qu’ils ont subies pourraient leur valoir la vie sauve.

«La torture peut être un moyen d’obtenir un non-lieu», explique Adam Thurschwell, avocat spécialisé dans la peine de mort qui fait partie de l’équipe de la défense.

Étant donné la sensibilité du dossier, peu de spécialistes envisagent réellement un non-lieu, mais le juge fédéral new-yorkais qui présidera la procédure étant nommé à vie, il est entièrement indépendant du gouvernement Obama et libre de choisir cette option.

«Si l’accusation veut utiliser des déclarations, il y aura des audiences pour déterminer si elles sont acceptables», précise M. Thurschwell, et la défense pourra arguer lors du procès que toute prise de parole de leurs clients postérieure à leur passage dans les prisons secrètes est biaisée par ce qu’ils y ont subi.

Signe de la difficulté pour l’administration américaine de fermer la prison de Guantánamo en janvier prochain comme annoncé, la Maison-Blanche a annoncé hier que le principal responsable chargé du dossier auprès de M. Obama, Gregory Craig, a démissionné.
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Le Devoir