"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

15 septembre 2009

Comment Ben Laden échappe à la CIA

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Pour échapper aux postes avancés de la CIA, le chef d’al-Qaida sait jouer de l’hospitalité pachtoune.

Pourquoi n’a-t-on toujours pas retrouvé Oussama Ben Laden, l’homme le plus recherché de la planète ? Au dire des services de renseignement occidentaux présents à Kaboul, il se cache dans les montagnes reculées du Waziristan, zone tribale pakistanaise frontalière de l’Afghanistan.

Le « cheikh » ne reste jamais très longtemps au même endroit. Il se déplace avec un tout petit nombre de gardes du corps, habillé comme n’importe quel paysan pachtoun local du Waziristan. Lorsqu’il aborde un nouveau village, il s’assoit avec le chef de la tribu, et s’arrange pour lui offrir, sans l’offenser, un généreux cadeau en numéraire pour l’entretien de sa mosquée. Il devient alors l’hôte de la tribu, intouchable selon le pashtounwali, le code d’honneur ancestral des Pachtouns.

S’il venait à l’idée d’un habitant de chercher à le dénoncer pour toucher la prime de 25 millions de dollars, ce dernier n’aurait de toute façon personne à qui rapporter l’information. Dans ces zones tribales autonomes, il n’y a jamais eu le moindre poste de police, du temps des Britanniques comme du temps des Pakistanais.

Dans les principales villes du Waziristan (Banna, Miramshah, etc.), la CIA a installé des minibases avancées, truffées de technologie, dans des maisons anodines, gardées en permanence par des hommes de l’ISI, le tout-puissant service secret militaire pakistanais. Les agents américains ne sortent jamais de ces bases secrètes, passant leurs journées à décrypter les interceptions téléphoniques, à scruter les images aériennes envoyées par les drones, à débriefer les espions pachtouns dépêchés sur le terrain par l’ISI.

Des doutes sur les intentions des services pakistanais

Dans la panique qui a suivi les attentats du World Trade Center, la CIA n’avait trouvé que de jeunes agents relativement inexpérimentés pour accepter ce travail ingrat dans les bases avancées du Waziristan. Mais, depuis, l’Agence a réussi à convaincre certains de ses retraités de reprendre du service actif. Ces hommes ont l’avantage de bien parler le pachtoun, car, dans les années 1980 lors de la guerre contre l’Armée rouge, ils étaient chargés de la distribution - et de l’instruction militaire qui allait avec - des missiles sol-air Stinger aux différents groupes de moudjahidins approuvés par l’ISI.

Le problème est que Ben Laden n’a pas utilisé un téléphone depuis 2001 et que, du ciel, rien ne distingue une caravane de paysans à cheval d’une autre. Quant aux espions pachtouns, on en a retrouvé un bon nombre, décapités sur le bord d’un chemin. Enfin, rien ne prouve que l’ISI, qui protège notoirement le mollah Omar (chef de l’émirat islamique d’Afghanistan de 1996 à 2001) dans la région de Quetta, ait vraiment intérêt à offrir Ben Laden sur un plateau aux Américains. Car, tant que le « cheikh » poursuivra sa vie d’errance, les milliards de dollars d’aide américaine au Pakistan ne se tariront pas.

La présence du « cheikh » dans les montagnes du Waziristan, attestée de source occidentale, est corroborée par les indications de K., un fixer (guide-interprète) pakistanais travaillant pour des journalistes occidentaux, qui avait fait la preuve de sa fiabilité en décembre dernier à Peshawar lorsque des talibans avaient détruit un dépôt de véhicules et de matériel de l’Otan.

Originaire de Razmek, petite bourgade en altitude du Waziristan, K. avait lui-même assisté, en mars 2003, à un prêche d’Oussama Ben Laden, tenu dans la petite mosquée de sa ville natale. Là, s’adressant à un parterre de « vieux sages » (elders), le « cheikh » avait incité la population à se lancer dans le djihad, à prendre les armes pour chasser les soldats étrangers « infidèles » du Pakistan. Aux termes d’un accord conclu juste après les attentats du 11 septembre 2001 entre l’Administration Bush et le général-dictateur Pervez Musharraf, les forces spéciales américaines et l’US Air Force pouvaient utiliser à leur gré les bases militaires pakistanaises. Ben Laden était apparu en pleine forme, contrairement aux rumeurs qui avaient couru en Occident sur son état de santé.

Faute stratégique américaine

En décembre 2001, Ben Laden avait réussi à s’échapper de son repaire afghan de Tora Bora, à la faveur d’une énorme faute stratégique américaine. Plutôt que d’envoyer la 10e division de montagne - alors oisive en Ouzbékistan - encercler puis ratisser le massif montagneux de Tora Bora pour tuer ou capturer Ben Laden, le Pentagone avait choisi une option bancale : bombardement massif du repaire d’al-Qaida par les B 52 de l’US Air Force (guidés au sol par une dizaine d’agents de la CIA et du MI6), mais sous-traitance de l’attaque au sol et du ratissage de la montagne à trois commandants locaux : Zaman, Azirat Ali et Sayaff. Les Afghans ont d’abord pris l’argent des Américains pour monter à l’attaque, puis celui de Ben Laden pour le laisser filer vers la frontière pakistanaise et les zones tribales…

Le discours de Razmek est la dernière apparition « publique » de Ben Laden. Un mois plus tard en effet, son principal lieutenant militaire, qui s’était rendu dans la ville pakistanaise de Faisalabad, mourut dans un raid organisé par les forces spéciales américaines et la police pakistanaise. Une heure avant le raid prévu sur la villa occupée par le lieutenant de Ben Laden, les Américains, peu confiants dans les capacités de la police pakistanaise à garder un secret, avaient brouillé toutes les ondes radio que cette dernière aurait pu utiliser…

Depuis cet incident, Ben Laden est d’une prudence de Sioux. K. reconnaît que le « cheikh » est devenu totalement inabordable, même pour ses plus vieux amis pakistanais, comme le journaliste Hamid Mir, le dernier à avoir interviewé Ben Laden, en novembre 2001, quatre jours avant le départ des talibans de Kaboul.
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Renaud Girard