Examinons dans un premier temps un article à tout le moins révélateur sur le type de tractations pouvant survenir au sein d’un gouvernement. L’article en question nous ramène en 1962, nous plongeant dans un contexte de tensions élevées entre les États-Unis et Cuba, et fut publié moins de cinq mois avant les attentats du 11 septembre, le 1er mai 2001, par ABC News suite à la déclassification de documents historiques.« Au début des années 60, les dirigeants militaires américains ont, selon certaines informations, élaboré des plans pour tuer des gens innocents et commettre des actes de terrorisme dans des villes des États-Unis pour créer un support public envers une guerre contre Cuba.
Sous le nom de code ‘Operations Northwoods’, des informations indiquent que les plans incluaient l’assassinat possible d’émigrés cubains, de couler des bateaux de réfugiés cubains en haute mer, de détourner des avions, de faire exploser un navire américain, et même d’orchestrer de violents actes de terrorisme dans des villes des États-Unis.Les plans avaient été développés de manière à duper le public américain ainsi que la communauté internationale pour qu’ils supportent une guerre qui devait chasser le nouveau dirigeant cubain, le communiste Fidel Castro.
Les haut dirigeants militaires américains envisagèrent même de provoquer des pertes militaires du côté des États-Unis, écrivant : ˝Nous pourrions faire sauter un navire américain dans la baie de Guantanamo et blâmer Cuba˝ et ˝les listes des décès dans les journaux des États-Unis provoqueraient une vague d’indignation nationale utile˝. [...]»
Heureusement, ces plans sordides ne virent jamais le jour, étant apparemment rejetés par le célèbre président John F. Kennedy, d’ailleurs assassiné l’année suivante.Cependant, le délai avant qu’une telle information ne soit rendue publique près de 40 ans n’est-il pas inquiétant? Alors qu’il apparaît peu aisé, après tout ce temps, de tenir quiconque responsable d’avoir envisagé de tels plans, la révélation en elle-même ne devrait-elle pas servir de sérieux avertissement envers la possibilité qu’un gouvernement puisse commettre des actes de terrorisme contre ses propres citoyens pour parvenir à ses fins?Observons la confirmation officielle des Archives de la Sécurité Nationale, parue le 30 avril 2001 à ce sujet.
« Dans son nouvel exposé de l’Agence de Sécurité Nationale intitulé Body of Secrets, l’auteur James Bamford met en évidence une série de propositions à propos de Cuba par le Comité des Chefs d’État-Major interarmes (Joint Chief of Staff) sous le nom de code ‘Operations Northwoods’. Ce document, titré ˝Justification pour une intervention militaire à Cuba˝ fut fourni par le JCS au secrétaire à la Défense Robert McNamara le 13 mars 1962 en tant que composant-clé de Northwoods. Formulé en réponse à une requête du dirigeant du ‘Projet Cuba’, le Colonel Edward Lansdale, le mémorandum décrit des plans américains pour subrepticement organiser divers prétextes pouvant justifier une invasion de Cuba par les États-Unis. Ces propositions qui faisaient partie d’un programme secret anti-Castriste connu sous le nom d’‘Operation Mongoose’ incluaient la mise en scène d’assassinats de cubains vivant aux États-Unis, de développer une fausse ˝campagne de terrorisme par des communistes cubains dans la région de Miami, dans d’autres villes de la Floride et même à Washington˝, incluant de ˝couler un bateau plein de réfugiés cubains (vrai ou simulé)˝, de faire croire à une attaque de l’aviation militaire cubaine sur un avion de ligne civil, et d’élaborer un incident du type ‘En souvenir du Maine’ en faisant sauter un navire américain dans les eaux cubaines pour ensuite blâmer l’incident sur du sabotage cubain. Bamford lui-même écrit que l’Opération Northwoods ˝pourrait être le plan le plus corrompu jamais conçu par le gouvernement des États-Unis˝. »
Alors que l’Opération Northwoods ne reçut jamais l’autorisation nécessaire par l’administration Kennedy pour passer à l’action, il en fut toutefois autrement deux ans plus tard, lors de l’incident du Golf de Tonkin. Cet événement historique venait aggraver considérablement la guerre du Vietnam sous la direction du président américain Lyndon B. Johnson, successeur de JFK.
Des documents déclassifiés en 2005 confirment en effet que l’administration Johnson avait alors manipulé des informations pour faire croire au Congrès et au public à une deuxième attaque en trois jours de la part des bateaux vietnamiens.Voici un extrait d’article paru le 12 décembre 2005 par l’USNews.
« Les événements obscurs dans le Golf de Tonkin en août 1964 propulsèrent les États-Unis dans la guerre du Vietnam. Sur une période de trois jours, le gouvernement américain avait rapporté deux attaques sur ses destroyers. Le premier assaut par des bateaux de patrouille nord-vietnamiens, survenu le 2 août, avait provoqué une simple protestation de la part de Washington. Puis, le soir nuageux du 4 août, deux navires américains détectèrent une embuscade apparente. Ils ouvrirent le feu en réponse, et prétendirent avoir coulé plusieurs bateaux ennemis. L’incident motiva Lyndon Johnson à ordonner des frappes aériennes et obtenir l’équivalence d’une déclaration de guerre du Congrès.
Toutefois, dans les années qui suivirent, les doutes du public augmentèrent à propos du deuxième incident. Il n’y avait aucune preuve physique de l’attaque, quoique le secrétaire à la Défense Robert McNamara avait assuré le Congrès en 1968 que les renseignements disponibles étaient ‘irrécusables’. Il faisait alors principalement référence à des communications navales nord-vietnamiennes interceptées par l’Agence de Sécurité Nationale (NSA). En 1984, une histoire qui avait défrayé la manchette du USNews citait deux responsables haut placés du service des renseignements de l’époque qui mettaient sérieusement en doute ces rapports [...].
Maintenant, une étude nouvellement déclassifiée de la NSA et plus de 140 rapports top secret du service de renseignements confirment à quel point McNamara avait tort. En effet, le rapport de 55 pages de l’historien Robert Hanyok réécrit efficacement l’histoire de cet événement crucial. Hanyok prouve non seulement qu’il n’y a jamais eu de deuxième attaque, mais également que la NSA disposait en abondance de preuves contradictoires ayant été activement supprimées. ˝La grande majorité des rapports, s’ils avaient été utilisés, auraient démontré qu’aucune attaque n’avait eu lieu˝, conclut Hanyok. ˝Alors, un effort consciencieux s’ensuivit pour démontrer que l’attaque s’était produite.˝ [...]
Plus accablant encore, les analystes de la NSA ne s’étaient fiés qu’à six interceptions seulement pour mettre sur pied leur compte rendu. Mais Hanyok a découvert 53 autres interceptions relatives qui demeurèrent enfouies pendant près de quarante ans, inaccessibles pour les investigateurs du Congrès et les hauts responsables américains. Les interceptions perdues – 90 % des renseignements de la NSA sur le sujet – démontrent que les bateaux nord-vietnamiens suspectés dans l’attaque du 4 août étaient occupés à porter secours aux bateaux endommagés deux jours plus tôt. Et que les nord-vietnamiens tentaient activement d’éviter les navires américains. [...]»
Soulignons qu’alors que le prétexte lui-même ne coûta la vie à personne, les frappes aériennes et les années de combats qui découlèrent de la déclaration de guerre du Congrès – justifiée par cette deuxième attaque inexistante – résultèrent quant à elles en plusieurs centaines de milliers de morts selon les plus bas estimés.Assurons-nous cependant de confirmer l’information à l’aide d’un bref extrait tiré du site officiel de la NSA, paru le 1er décembre 2005.
« La plus importante agence de renseignements américaine, l’Agence de Sécurité Nationale, a déclassifié aujourd’hui plus de 140 documents anciennement top secrets – historiques, chronologiques, des rapports de renseignements indicatifs (SIGINT), ainsi que des interviews historiques verbaux – sur l’incident du Golf de Tonkin de 1964. Ceci inclut la publication d’un article controversé de l’historien de l’Agence, Robert J. Hanyok, sur les SIGINT et le Golf de Tonkin qui confirme ce que les historiens soutenaient depuis longtemps : qu’il n’y a pas eu de deuxième attaque sur les navires américains à Tonkin le 4 août 1964. [...]»
L’utilisation de prétextes pour partir en guerre semble malheureusement toujours figurer parmi les stratégies militaires modernes. L’un des exemples les plus connus de nos jours est probablement cette allégation des États-Unis que l’Irak possédait des armes de destruction massive, ce qui s’avéra totalement faux. Un autre prétexte concernant l’Irak, moins connu celui-ci, fut également considéré par l’administration Bush pour duper le public et partir en guerre.Laissons à cet article du New York Times, daté du 27 mars 2006, le soin de relater les faits.
« Dans les semaines précédant l’invasion de l’Irak par les États-Unis, alors que les américains et l’Angleterre pressaient les Nations Unies à déposer une deuxième résolution sur l’Irak, l’ultimatum public du président Bush à Saddam Hussein était sans équivoque : désarmez le pays ou ce sera la guerre.Mais derrière les portes closes, le président était convaincu que la guerre était inévitable. Lors d’une rencontre privée de deux heures dans le Bureau Oval le 31 janvier 2003, il avait expliqué clairement au premier ministre d’Angleterre, Tony Blair, qu’il était déterminé à envahir l’Irak sans la deuxième résolution, ou même si les inspecteurs d’armes internationaux ne parvenaient pas à découvrir des armes non conventionnelles, selon un mémo confidentiel à propos de la rencontre rédigé par le premier conseiller en politiques étrangères de Tony Blair, et examiné par le New York Times. [...]
˝La date du début de la campagne militaire avait été établie pour le 10 mars˝, écrivait M. [David] Manning en paraphrasant le président. ˝C’était à ce moment que les bombardements devaient débuter.˝ [...]
Le mémo démontrait également que le président et le premier ministre reconnaissaient qu’aucune arme non conventionnelle n’avait été découverte en Irak. Confrontés à la possibilité de ne rien trouver avant la date d’invasion prévue, M. Bush avait discuté de plusieurs manières de provoquer une confrontation, incluant une proposition de peinturer un avion de surveillance américain selon les couleurs des Nations Unies dans l’espoir que celui-ci se fasse tirer dessus, ou encore d’assassiner M. Hussein. [...]»
Ainsi, le président George W. Bush discuta de peindre un avion américain aux couleurs des Nations Unies en souhaitant que celui-ci se fasse descendre par les irakiens. Évidemment, la communauté internationale aurait ensuite été bien mal vue de ne pas supporter une réplique ‘défensive’ contre l’Irak.
À bien y réfléchir, ce type de ruse n’a rien de nouveau en soi. Accuser à tort un ennemi, pour ensuite justifier des actions déjà prévues. La fin justifie les moyens, dit l’adage. D’ailleurs, en remontant aussi loin qu’à l’empire romain, il est possible de retracer les vestiges de cette stratégie. Quoique ce ne put jamais être officiellement confirmé, nombre d’historiens soutiennent qu’en l’an 64 après J.-C., l’empereur Néron avait lui-même ordonné le célèbre incendie de Rome, qui avait alors brûlé pendant neuf jours et touché dix des quatorze quartiers de la ville. Les chrétiens de l’époque avaient rapidement été blâmés par Néron avant d’être persécutés et massacrés.Un autre événement controversé, plus récent celui-ci, survint lorsque l’USS Maine, un navire de guerre américain, explosa au large de Cuba en 1898. Au total, 266 personnes périrent dans l’incident. Sans fournir de preuves à l’appui, le gouvernement américain avait aussitôt blâmé l’Espagne et lui avait déclaré la guerre, suite à laquelle les États-Unis prirent possession quelques mois plus tard des colonies espagnoles de Puerto Rico, des Philippines et de Guam. De plus, l’Espagne avait dû céder toutes revendications de souveraineté sur Cuba.
Il existe par ailleurs des prétextes différents de ceux destinés à provoquer les guerres. Les prétextes pour prolonger celles-ci sont également utilisés à l’occasion. Dans le cas de l’Irak plus particulièrement, les États-Unis et leurs alliés n’ont-ils pas en bout de ligne tout avantage à éterniser leur occupation? Celle-ci ne leur permet-elle pas entre autres de protéger les ressources pétrolières nouvellement conquises?
Après tout, advenant l’absence de combats ou de tensions en Irak, quelle serait la justification des forces de la coalition pour y demeurer présentes?Dès lors, ne soyons pas étonnés d’apprendre que des opérations clandestines sont menées en Irak pour fomenter et entretenir une situation chaotique servant à prolonger une guerre extrêmement lucrative pour une minorité au pouvoir, notamment le complexe industriel-militaire.Voici d’ailleurs un exemple à ce sujet, tiré du Guardian britannique en date du 19 septembre 2005.
« Des scènes de violence ont éclaté à Bassora [sud de l’Irak] cet après-midi suite à l’arrestation de deux soldats britanniques pour avoir prétendument tué un policier et en avoir blessé un autre. [...]
Les combats ont débuté après que les deux soldats britanniques, prétendument déguisés en arabes, aient ouvert le feu sur une patrouille de police, tuant un officier et en blessant un second.Le Ministère de la Défense a confirmé que deux membres du personnel militaire étaient détenus par les autorités irakiennes aujourd’hui, mais n’ont pas voulu commenter sur les rumeurs que les soldats travaillaient en mission clandestine. [...]»
Le service de presse chinoise Xinhua rapportait de nouveaux éléments le même jour.« La police irakienne a arrêté deux soldats britanniques en habits civils à Bassora, une ville du sud du pays, pour avoir ouvert le feu vers une station de police lundi, a affirmé la police.˝Deux individus portant des uniformes arabes ont ouvert le feu à une station de police de Bassora. Une patrouille de police a poursuivi les attaquants et les a capturés pour découvrir que c’était deux soldats britanniques˝, a déclaré à Xinhua une source du Ministère de l’Intérieur.Les deux soldats utilisaient une voiture civile remplie d’explosifs, a affirmé la source. [...]
Les forces britanniques ont informé les autorités irakiennes que les deux soldats étaient en mission officielle, a ajouté la source. [...]»
Le lendemain, la BBC rapportait que dans les heures suivant l’arrestation, les forces militaires britanniques avaient eu recours à la force pour extirper ces deux soldats – des agents spéciaux des forces élites SAS – aux mains des autorités irakiennes. Un véhicule blindé fut même utilisé pour défoncer l’un des murs de la station de police où étaient détenus les deux soldats des forces spéciales. W167
Par la suite, les reportages médiatiques cessèrent de mentionner la voiture remplie d’explosifs ainsi que le déguisement des britanniques pour se concentrer principalement sur la ‘mission de sauvetage’ menée par l’armée. Bien entendu, l’essentiel de cette histoire demeure que des membres des forces spéciales britanniques en mission officielle, vêtus d’habits arabes et se baladant dans une voiture civile bourrée d’explosifs, ont ouvert le feu sur des policiers irakiens.Lorsque perpétrés sans heurts, de tels actes maintiennent assurément un niveau de tension élevé en Irak et peuvent être blâmés sur Al Qaeda ou n’importe quels extrémistes, justifiant du fait même la présence de forces militaires pour ‘stabiliser’ la situation. Alors que cette fusillade fut incidemment portée à notre attention, rien n’écarte cependant la possibilité que d’autres missions clandestines semblables ne soient monnaie courante en Irak.
Tournons-nous vers un avenir rapproché.
En considérant la récurrence des reportages médiatiques occidentaux sabrant la réputation de l’Iran sur le plan international depuis quelques années, il fait peu de doutes que le régime islamiste de Mahmoud Ahmadinejad se retrouve à son tour dans la ligne de tir des américains.Les iraniens, accusés haut et fort de soutenir l’instabilité en Irak et de vouloir se munir de bombes nucléaires, en dépit de leur statut de signataires du Traité de Non-Prolifération et malgré le fait qu’ils se soumettent aux normes de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique – contrairement à Israël – devraient être les premiers à se méfier de l’utilisation de prétextes comme stratégie militaire.Voyons d’ailleurs ce qu’affirmait Ron Paul, membre républicain de la Chambre des représentants du Congrès américain, le 11 janvier 2007.« Monsieur le président de la Chambre,Une victoire militaire en Irak est inaccessible, tout comme c’était le cas pour la guerre du Vietnam. [...]
Les choses ne pourront s’améliorer en Irak jusqu’à ce que nous comprenions que notre occupation est la source primaire du chaos et des tueries. Nous sommes une force étrangère occupante, qui déplaît fortement à la majorité des citoyens d’Irak. [...]
Les discussions à propos d’une augmentation des troupes et de programmes d’emplois en Irak ne font que distraire les américains de la possibilité très réelle d’une attaque sur l’Iran. Notre présence navale grandissante dans la région ainsi que notre rude rhétorique à l’endroit de l’Iran sont troublantes. [...]
Les rumeurs abondent à propos de quand, et non pas si, l’Iran sera bombardé soit par Israël ou par les États-Unis – possiblement avec des armes nucléaires. Notre CIA affirme que l’Iran est à dix ans de produire une bombe nucléaire et ne possède pas de système pour la transporter, mais ceci n’empêche pas nos plans de conserver ‘toutes les options sur la table’ lorsqu’il est question de l’Iran.Nous devrions nous rappeler que l’Iran, comme l’Irak, est un pays en voie de développement sans puissance militaire significative. Rien dans l’histoire ne laisse supposer qu’il [Iran] est susceptible d’envahir un pays voisin, et certainement pas de s’en prendre aux États-Unis ou à Israël. Je suis soucieux, toutefois, qu’un incident tel celui du Golf de Tonkin soit arrangé et pourrait se produire pour gagner le support populaire envers une attaque sur l’Iran. [...]»
Observons également les propos de Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, de 1977 à 1981, sous la présidence de Jimmy Carter. Les commentaires suivants furent présentés devant le Comité sur les Relations Étrangères du Sénat américain en date du 1er février 2007.« [...] Si les États-Unis continuent de s’empêtrer dans une implication sanglante prolongée en Irak, l’aboutissement final probable de ce parcours en chute libre sera un conflit en face-à-face avec l’Iran ainsi qu’avec une majeure partie du monde islamique en général. Un scénario vraisemblable pour une collision militaire avec l’Iran implique un échec irakien à rencontrer les critères [exigés]; ceci suivi d’accusations envers les iraniens d’être responsables de l’échec; ensuite par une certaine provocation en Irak ou un acte de terrorisme aux États-Unis blâmé sur l’Iran; ce qui déboucherait sur une action militaire américaine ‘défensive’ contre l’Iran qui plongerait une Amérique isolée dans une situation difficile encore plus vaste et profonde, s’étendant éventuellement de l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan jusqu’au Pakistan. [...]»
Signalons ensuite l’existence d’un document-clé intitulé ‘Project for the New American Century’ (PNAC), élaboré à la fin des années 90 par les futures têtes dirigeantes de l’administration Bush. Appelé à servir d’assises et de guide au prochain gouvernement, ce document mettait en relief le besoin de transformer les politiques de défense.
Coïncidence ou non, il fut notamment signé par Dick Cheney avant que celui-ci ne devienne vice-président des États-Unis, par Donald Rumsfeld avant qu’il ne soit nommé secrétaire à la Défense, par Jeb Bush, Gouverneur de la Floride de 1999 à 2007 et frère du Président, et par Paul Wolfowitz, qui devint secrétaire-adjoint à la Défense en 2001.
L’étude de ce document s’avère particulièrement instructive sur la conduite des dirigeants américains vis-à-vis les politiques étrangères des dernières années. Il importe de réaliser que les extraits suivants, publiés dans un rapport final intitulé ‘Rebuilding America’s Defenses’ (Reconstruire les défenses de l’Amérique), furent publiés un an avant les attentats du 11 septembre dans le cadre du PNAC.En voici un premier extrait.« [...] En effet, les États-Unis ont tenté depuis des décennies de jouer un rôle plus permanent dans la sécurité régionale du Golfe [Persique]. Alors que le conflit non résolu avec l’Irak fournit la justification immédiate, le besoin de présence des forces américaines dans le Golfe dépasse le sujet du régime de Saddam Hussein. [...]»
Repositionner nos forces actuelles
« [...] D’une perspective américaine, la valeur de telles bases demeurerait présente même si Saddam venait à quitter la scène. À long terme, l’Iran pourrait bien s’avérer une menace aussi grande vis-à-vis des intérêts américains dans le Golfe que l’Irak. Et même si les relations américano-iraniennes s’amélioraient, maintenir les forces à l’avant-plan dans la région demeurerait encore un élément essentiel dans les stratégies de sécurité des États-Unis compte tenu des intérêts américains de longue durée dans la région. [...]»
Repositionner nos forces actuelles
Ces deux extraits reflètent bien l’essence du document, qui établissait entre autres que l’une des quatre missions centrales à venir pour les forces militaires américaines serait de ˝combattre et de remporter de manière décisive des théâtres de guerre majeurs, multiples et simultanés˝. Dans un contexte pré-11 septembre et pré-‘guerre contre la terreur’ cependant, comment les auteurs de ce document avaient-ils pu prévoir qu’ils allaient bientôt devoir composer avec de multiples théâtres de guerre, majeurs et simultanés, au point d’inclure cette idée comme étant l’une des missions centrales de leurs forces armées?
Alors que le rapport soulignait aussi l’importance d’augmenter substantiellement les budgets militaires américains dans le but connexe d’expérimenter de nouvelles armes, celui-ci prenait par ailleurs soin de noter que le parcours à suivre pour atteindre ces objectifs s’étalerait sur une longue période, et qu’une progression lente était à prévoir.Alors surgissait une phrase que plusieurs perçoivent comme étant la déclaration-clé du document ‘Rebuilding America’s Defenses’.« [...] De plus, le procédé de transformation, même s’il apporte un changement révolutionnaire, est susceptible d’être long, en l’absence d’un événement catastrophique et catalyseur – comme un nouveau Pearl Harbor. [...]»
Créer la force dominante de demain
Un an après la parution de ce rapport survenaient les attentats du 11 septembre, incarnant cet ‘événement catastrophique et catalyseur’ arborant toutes les caractéristiques d’un ‘nouveau Pearl Harbor’ (le point d’entrée des américains dans la deuxième guerre mondiale).N’est-il pas significatif de retrouver cette mention d’un ˝nouveau Pearl Harbor˝ dans un contexte où cette éventualité était manifestement présentée pour ses effets bénéfiques et favorables à l’agenda militaire des États-Unis?
Les attaques du 11 septembre n’évitèrent-elles justement pas à la nouvelle administration américaine, dont plusieurs étaient signataires de ce même PNAC, de se soumettre à un long ˝procédé de transformation˝?
Prenons d’ailleurs un instant pour examiner la réaction de certaines personnes haut placées au Pentagone, dans le bureau de Donald Rumsfeld, au moment même où le deuxième avion percuta la tour Sud du World Trade Center. M. Rumsfeld se trouvait entre autres en compagnie de Paul Wolfowitz, également signataire du PNAC. Voyons si ces hommes semblèrent surpris par les événements en cours.L’extrait suivant provient d’un article paru dans le quotidien britannique Telegraph.« [...]
M. Rumsfeld, se souvient M. Cox, regardait la couverture télévisée provenant de New York et a dit ˝Croyez-moi, ceci n’est pas encore terminé. Il va y avoir une autre attaque, et ça pourrait être nous.˝Quelques instants plus tard, l’avion s’écrasait [sur le Pentagone]. [...]»
Fort heureusement, le bureau du clairvoyant Donald Rumsfeld était situé du côté complètement opposé à l’endroit de l’impact.
À l’interne, l’administration Bush ne mit d’ailleurs pas longtemps avant de mettre en branle les stratégies mentionnées dans le rapport ‘Rebuilding America’s Defenses’, qui révélait à mots presque non couverts que des justifications devaient être utilisées pour que les États-Unis puissent se positionner militairement au Moyen-Orient et ainsi avoir mainmise sur les ‘intérêts américains de longue durée dans la région’, expression implicite mais discrète désignant les ressources pétrolières.Le 11 septembre devenait en fait une opportunité en or pour l’administration américaine de mettre à exécution leurs plans de domination mondiale.
Citons d’ailleurs ce commentaire de Gary Hart, ancien candidat présidentiel américain, lors d’une réunion télévisée du Conseil sur les Relations Étrangères (Council on Foreign Relations) tenue le 14 septembre 2001.« [...] Il s’agit d’une opportunité pour le président des États-Unis de se servir de ce désastre pour mettre à exécution ce que son père... une expression que je crois que son père n’a utilisée qu’une seule fois, et qui n’a pas été utilisée depuis... c’est-à-dire un ‘nouvel ordre mondial’. [...]»
Voilà donc ce que représentaient les attentats du 11 septembre pour certains politiciens influents trois jours plus tard : une opportunité d’établir un nouvel ordre mondial.Six ans plus tard, ce même Gary Hart publiait une lettre ouverte directement destinée au gouvernement d’Iran. Le titre de celle-ci, ‘Conseil non sollicité pour le gouvernement iranien’, à l’image de son contenu, était sans équivoque.En voici un extrait.« En supposant que vous n’êtes pas suffisamment ignorants pour désirer une guerre avec les États-Unis, vous seriez bien avisés de vous familiariser avec l’histoire du naufrage du USS Maine dans le port de La Havane en 1898 ainsi qu’avec l’histoire du Golfe de Tonkin en 1964.Une fois que ce sera fait, vous reconnaîtrez certainement que les américains sont réticents à partir en guerre à moins qu’ils n’aient été attaqués. Jusqu’à Pearl Harbor, nous étions même réticents à nous impliquer dans la deuxième guerre mondiale. Pour les historiens spécialisés dans les guerres américaines, la question est ‘Est-ce que nous provoquons les provocations?’. [...]
Compte tenu de tout cela, vous seriez probablement bien avisés de tenir vos forces, incluant vos forces clandestines, aussi loin que possible de la frontière irakienne. Vous pourriez peut-être même considérer d’inviter des pays voisins à confirmer que vous n’expédiez pas d’armes de l’autre côté de la frontière [Iran/Irak]. [...]
Mais, pour les seize prochains mois environ [jusqu’à la fin du mandat de George W. Bush], vous devriez non seulement ne pas poser d’actions provocatrices, mais vous ne devriez pas non plus sembler le faire.Pour la vaste majorité d’américains qui désirent éviter que la guerre s’étende, au Moyen-Orient ou ailleurs, ne poussez pas votre chance. Ne fournissez pas à un certain vice-président que nous connaissons [Dick Cheney] la justification qu’il recherche pour attaquer votre pays. À moins bien entendu que vous ne désiriez que des bombes vous tombent sur la tête. »
Comme nous le savons aujourd’hui, les attentats du 11 septembre s’avérèrent le ˝nouveau Pearl Harbor˝ nécessaire pour propulser nos voisins du Sud et leurs alliés, Canada inclu, dans un type de guerre inhabituel, une guerre internationale contre la terreur, dans laquelle le seul moyen d’identifier l’ennemi, pour les citoyens, devenait dorénavant de s’en remettre à la bonne parole de ses dirigeants.Jetons un coup d’oeil sur un article fort révélateur quant à l’atmosphère particulière entretenue par l’administration Bush au cours des dernières années. L’extrait suivant est tiré du Telegraph britannique, daté du 3 novembre 2007.« Donald Rumsfeld, ancien secrétaire à la Défense des États-Unis, a tenté de maintenir une atmosphère de peur en Amérique dans le cadre d’une campagne de propagande sur la guerre en Irak, démontre une série de mémos divulgués aux médias.
Un mémo, rédigé en avril 2006, contenait une liste de directives pour le personnel du Pentagone, incluant ‘Continuez d’élever la menace’ et ‘Parlez de la Somalie, des Philippines, etc. Faites réaliser au peuple américain qu’il est entouré d’extrémistes violents partout dans le monde.’Un autre disait ‘Liez l’Irak à l’Iran. L’Iran inquiète le peuple américain, et si nous échouons en Irak, ça avantagera l’Iran. [...]Le quotidien [Washington Post] a rapporté que ces mémos étaient si nombreux qu’ils étaient appelés ‘flocons de neige’. Il [Rumsfeld] en envoyait entre 20 et 60 par jour, ordonnant fréquemment à son équipe de réfuter des rapports de nouvelles négatives dans les médias. [...]»
Bien entendu, à mesure que cette atmosphère de peur se propage au sein de la population, les budgets militaires peuvent être parallèlement augmentés de manière dramatique, tel que le rapport ‘Rebuilding America’s Defenses’ l’exigeait vers la fin des années 90.
De plus, force est d’admettre que l’Irak et l’Afghanistan furent tous deux utilisés comme terrains d’expérimentation pour de nouvelles armes. Les américains érigèrent également des bases militaires permanentes au Moyen-Orient au cours des dernières années. Le document PNAC reconnaissait d’ailleurs ouvertement la nécessité d’une présence militaire à long terme dans cette région dans le but de protéger ses intérêts, soit les sous-sols riches en ressources naturelles.Déjà en 2000, ‘Rebuilding America’s Defenses’ affirmait avec arrogance que même suite au départ de Saddam Hussein, il demeurerait vital pour les États-Unis de conserver leurs forces militaires dans ce pays. Conséquemment, devons-nous être surpris que la situation y demeure chaotique?
Et est-il étonnant, dans ce contexte, que l’administration américaine cherche à faire ‘réaliser au peuple américain qu’il est entouré d’extrémistes violents partout dans le monde’?
En posant un oeil rétrospectif sur les actions stratégiques militaires des États-Unis depuis le 11 septembre, et à la lumière de toutes les informations présentées dans cet ouvrage, n’est-il pas approprié de se demander si les événements de 2001 n’auront pas volontairement déclenché cette série d’invasions de pays étrangers?
Egger Ph.