Des complots à grande échelle ont effectivement lieu, que vous ou moi, ou Charlie Brooker, soyez enclins à le croire ou non.
Plus tôt cette semaine, Charlie Brooker a provoqué avec un article le plus grand nombre de réponses en ligne que le site Comment is free ait jamais reçues. Le thème de son article était la théorie du complot en général et celle du 11 Septembre en particulier, et il a reçu plus de 1700 commentaires. Brooker pense que les théories du complot consolent ceux qui trouvent la réalité trop terne et trop compliquée si elle n’est pas associée à un agenda caché : « Adhérez à une théorie du complot et vous faites soudain partie d’un groupe de personnes partageant des informations privilégiées ; votre sentiment de puissance et de dignité augmente un tantinet et ce monde troublé vous semble, pour un temps, avoir plus de sens. »
Le raisonnement de Brooker s’inscrit dans les tentatives d’expliquer en termes psychologiques la volonté du public d’entretenir des théories du complot. En effet, il est très proche de Melanie Phillips, une rationaliste dure, qui a décidé qu’en l’absence de religion, les théories du complot satisfont « notre besoin désespéré de mettre de l’ordre dans le chaos »
La vision d’un monde fait de complots est effectivement source de consolations. Mais celle de Brooker également. Il y a un certain plaisir et une certaine excitation à déclarer que le monde est conduit par l’incompétence et l’erreur et que les choses sont plus ou moins telles qu’elles semblent l’être. Vous pouvez vous rengorger d’être à ce point équilibré et de n’être pas tombé dans ces histoires de lézards ou d’Illuminatis. Vous avez appris à vivre sans magie. Vous dites « Je ne crois pas aux théories du complot sur le 11/9 », mais vous signalez que vous êtes sceptique et rationnel et que vous n’avez pas de problème d’hygiène personnelle. Il existe un gain psychologique aussi bien à parler des conneries que des théories du complot.
Notre volonté d’entretenir des théories du complot est sans aucun doute influencée par nos expériences de la vie. Un homme dans la vingtaine qui a du temps pour lui a plus de chances d’être attiré par les écrans de fumée qui entourent la mort de John Kennedy qu’un chroniqueur à succès dans la trentaine.
Mais tout cela n’est pas la question. Des complots à grande échelle ont effectivement lieu, que nous soyons enclins à le croire ou non. Il peut être consolant de croire que la CIA manigance le renversement de régimes étrangers peu coopératifs. Mais c’est également vrai. Insister sur le fait que la CIA n’a rien à voir avec la chute du dirigeant du Guatelama Jacobo Árbenz en 1954 ou le renversement au Chili de Salvador Allende en 1973 pourrait paraître parfaitement sensé et raisonnable. C’est également faux, vous savez.
Ce qui est arrivé le 11 Septembre est, au final, une question de fait – quoi que notre vision du monde nous incline à considérer comme plausible ou possible. La véritable paternité des attentats est aussi difficile à établir que n’importe quel autre événement concernant le monde du terrorisme international et de l’espionnage.
Personnellement, je n’ai aucune idée de ce qui s’est passé, parce que je n’ai pas plus d’idées sur la manière dont les connexions entre le monde des affaires, les services secrets et la politique fonctionnent que sur les intentions de jeu des grands maîtres qui fixent pensivement l’échiquier.
Les attentats du 11 septembre 2001 sur le territoire américain faisaient partie d’une toile d’événements interconnectés avec le pétrole, la drogue, l’argent, le crime organisé, l’impérialisme, les institutions en place et nous tous. Et la religion, et encore plus d’argent.
Il semblerait sage et sensé de déclarer que toute explication qui diffère du récit officiel nécessite des centaines d’assassins bureaucratiques remarquablement discrets. Mais cela présuppose que nous sachions comment le monde fonctionne, et nous le savons pas.
Peut-être les attentats du 11/9 sont-ils le seul fait d’une petite équipe de terroristes qui sont parvenus à maintenir leur cohésion dans un monde d’embrouilles et d’incompétence maladroite. Mais je ne le sais pas, pas plus que Charlie Brooker.
La plus importante théorie du complot concernant le 11/9 est rarement mentionnée par des auteurs comme Brooker ou Phillips. Dans la course à l’invasion de l’Irak, la Maison-Blanche s’est efforcée de lier Saddam Hussein à Al Qaïda. Loin d’être la production de ce que les commentateurs aimaient appeler la brigade des "casques en papier alu", cette idée fantasque et paranoïaque est le fruit du travail d’un groupe de personnes très attentives et compétentes.
Elles ont travaillé en secret pour manipuler les Américains et l’opinion mondiale et il est possible de retracer l’impact des efforts déployés au cours du temps. Voilà donc un (vrai) complot destiné à promouvoir une (fausse) théorie du complot. Les agents de la guerre psychologique de la Maison-Blanche étaient sans aucun doute des personnes professionnelles et modérées. Je suis sûr qu’ils savaient comment se comporter de manière socialement appropriée et qu’ils aimaient leur travail. Ils ont aussi aidé à paver le chemin vers une guerre illégale dans laquelle plus d’un demi-million de gens ont été tués. Il y a une théorie du complot sur le 11 Septembre qui travaille d’arrache pied, juste ici. Le type de personne que vous êtes importe peu, que vous soyez froidement rationnel ou que vous cherchiez à tâtons un sens à un monde indifférent, les spectres de l’Amérique ont comploté pour précipiter le peuple dans la guerre sous un faux prétexte.
Quelques-unes de ces mêmes personnes travaillent dur aujourd’hui pour nous convaincre que l’Iran constitue une menace inacceptable pour les nations du monde qui aiment la paix. S’ils le peuvent, ils utiliseront toutes sortes de théories du complot pour y parvenir, tout en agissant eux-mêmes en conspirateurs. Il est donc à peine surprenant que des gens –intelligents et sensés- soient prêts à croire que des conspirations sophistiquées existent et que parfois elles sont des moteurs extrêmement puissants pour les événements. Étant donné qu’il est démontré qu’elles existent bel et bien.
Et pendant que des éléments de l’Etat américain cherchent à déclencher une autre guerre au Moyen-Orient, Melanie Phillips et Charlie Brooker continueront sans doute à accabler de mépris une population portée sur l’irrationnel. Ce qui ressemble un peu, eh bien, à de la paranoïa dans de telles circonstances.
Note de traduction : Un "tin foil hat" est un couvre-chef composé d’une ou de plusieurs feuilles d’étain ou d’aluminium. Les gens qui en portent croient qu’il protège leur cerveau contre les champs électromagnétiques, contre les ingérences extra-terrestres ou contre le contrôle et la lecture de leur pensée. L’idée de porter un casque en papier alu contre de telles menaces est devenu un cliché populaire aux Etats-Unis et un terme de dérision. Cette expression est synonyme de paranoïa et est souvent utilisée pour désigner les théoriciens du complot.
Dan Hind