Soldats de l’adaptabilité et de l’excellence, les forces spéciales sont au premier rang de la lutte contre le terrorisme. Leur implication sans cesse croissante dans ce conflit a obligé les gouvernements à en augmenter drastiquement les effectifs. Cette évolution globalisée est particulièrement perceptible s’agissant des Etats-Unis, du Canada et de la Grande-Bretagne.
La mutation de l’USSOCOM
Outre-Atlantique, l’United States Special Operations Command (USSOCOM, commandement des forces spéciales), est en pleine croissance ainsi qu’en témoignent les mesures édictées dans le budget de la Défense américain pour l’année 2007 :
-Augmentation du nombre des bataillons opérationnels de bérets verts qui passe de 15 à 19 ; -Achèvement de la mise sur pied du Marine Corps Special Operations Command en tant que grand commandement subordonné à l’USSOCOM ;
-Création d’un escadron de drones au sein des forces spéciales de l’armée de l’Air ;
-Expansion des équipes de nageurs de combat SEALs. Mais pour cela, il faut trouver des volontaires, les sélectionner et les former. Au niveau de l’armée de Terre américaine, ceux provenant directement de la vie civile sont désormais autorisés à postuler. En prenant cette décision, l’US Army Recruiting Command escomptait pouvoir inciter 400 candidats à rejoindre les rangs du 1st Special Warfare Training Group (Airborne) dans le cadre de la Special Forces Recruiting Initiative ; à la fin du mois de mars 2002, 140 candidats s’étaient laissés séduire. Ce qui les attendait ? Presque deux années de formation pour obtenir le béret vert et accéder à la corporation des sous-officiers. Ce laps de temps apparaît être un minimum : en Grande-Bretagne, on estime qu’il faut deux à trois ans pour prétendre faire, à partir d’un soldat aguerri et motivé, un membre du SAS ayant des capacités opérationnelles jugées minimales.
Parallèlement, la formation des bérets verts US a été raccourcie : il sera désormais tenu compte des qualifications antérieures du candidat pour éviter de lui imposer une formation redondante simplement parce qu’elle fait partie du cursus réglementaire. Une plus grande modularité dans le découpage du cycle de formation permet ainsi à une recrue de « sauter » les cours dont il est dispensé pour avancer plus vite et, au final, raccourcir sa formation d’un laps de temps allant de deux à quatre mois. Quelqu’un ayant de solides connaissances linguistiques sera ainsi dispensé des cours de langue et pourra rejoindre au plus tôt la phase tactique. Ces deux mesures seront-elles suffisantes ? Rien n’est moins certain : les volontaires ne se bousculent pas et les opérateurs expérimentés sont débauchés à prix d’or par les sociétés militaires privées opérant en Irak et en Afghanistan. Par exemple, les unités Special Tactics d’active, fer de lance des forces spéciales de l’US Air Force, sont en sous-effectif chronique : en septembre 2005, elles ne comptaient que 200 hommes pour 384 postes budgétaires ouverts.
L’USMC rentre dans le rang
C’est désormais chose faite : par décision du Secretary of Defense Donald Rumsfeld, l’United States Marine Corps est officiellement représenté au sein de l’United States Special Operations Command. Cette représentation a été concrètement traduite par la mise sur pied du Marine Corps Special Operations Command (MARSOC) qui devient le cinquième commandement organique directement rattaché à l’USSOCOM. Le MARSOC est en train de monter en puissance ; il comptera à terme 2 600 « nuques de cuir » fournissant notamment l’effectif de deux bataillons opérationnels coiffés par un état-major régimentaire. Outre l’état-major de MARSOC, la garnison de Camp Lejeune abritera le Marine Special Operations Support Group, un bataillon d’opérations spéciales, la Marine Special Operations School (école de formation) ainsi que plusieurs Foreign Military Training Units (FMTU, détachements de l’USMC assurant la formation des unités étrangères dans le cadre d’actions de coopération militaire).
Le deuxième bataillon d’opérations spéciales sera encaserné à Camp Pendleton (Californie). A terme, 24 Foreign Military Training Units seront mises sur pied mais d’ores et déjà, 3 d’entre elles ont été formées et seront envoyées en mission dès cette année. S’agissant des unités d’opérations spéciales, une première compagnie devrait être déclarée opérationnelle en mai 2006 à Camp Lejeune. Chaque bataillon comprendra quatre compagnies dont l’effectif sera compris entre 97 et 118 militaires. Les compagnies se déploieront avec les Marine Expeditionary Units (Special Operations Capable) et, une fois déployées, seront sous contrôle opérationnel du commandant de théâtre mais disponibles pour appuyer si besoin est l’action de la MEU(SOC).
Cette double subordination est à n’en pas douter intrinsèquement de nature à générer quelques tiraillements… Qu’est-ce que le Marine Corps est susceptible d’apporter à l’USSOCOM ? Le bilan des opérations menées en Irak par le Detachment One de l’USMC sous le contrôle opérationnel du Naval Special Warfare Squadron One de l’US Navy a permis d’apporter des réponses pertinentes à cette interrogation. Selon le Navy Commander Mark Divine, rédacteur d’un des deux rapports d’évaluation, la « culture USMC » en matière d’opérations spéciales présente les atouts suivants :
-Forte valeur ajoutée en matière de renseignement grâce à un groupe spécialisé volumineux intégré au Detachment One ;
-Meilleures aptitudes que les SEALs au combat terrestre particulièrement en zone urbaine ;
-Capacité de l’USMC à déléguer à l’USSOCOM le contrôle d’un « package » de forces intégré grâce aux procédures opérationnelles habituellement mises en œuvre par les états-majors des MEU(SOC). En revanche, les officiers des unités spéciales de l’USMC devront apprendre à planifier plus rapidement voire plus succinctement leurs opérations.
Création d’unités britanniques
En Grande-Bretagne, les Special Air Service Group (SAS Gp rassemblant entre autres les 21, 22 et 23 SAS) ainsi que le Special Boat Service ont reçu le renfort de pas moins de trois nouvelles unités spéciales. La première d’entre elles est le Special Reconnaissance Regiment (SRR) créé sur la substance de la 14th Intelligence Company. Unité spécialisée dans les opérations clandestines aux fins d’acquisition du renseignement ayant opéré en Irlande du Nord, cette compagnie a récemment eu l’honneur des gazettes. L’unité comporte en effet des femmes dans ses rangs et l’une d’entre elles, le caporal Leah Mates, a déposé plainte pour discrimination et harcèlement sexuels. La deuxième formation de création récente est le Joint Special Forces Support Group (JSFSG). Résultant de la transformation du 1st Battalion, The Parachute Regiment, le JSFSG est cependant interarmées et recrutera également au sein de la Royal Air Force ainsi que des Royal Marines. Principalement mis sur pied pour appuyer les unités accomplissant les opérations spéciales, il sera déclaré opérationnel en avril 2006 dans sa nouvelle garnison de St Athlan. Située au pays de Galles, cette garnison est proche de Hereford, ville où est implanté l’état-major du 22 SAS. La troisième unité est le 18th (UKSF) Signal Regiment. Créé de manière très discrète dans le courant du premier semestre 2005, cette formation apparaît être spécialisée dans l’interception des communications au profit des unités de forces spéciales.
Renouveau pour les forces spéciales canadiennes
Même tendance à l’expansion chez les Canadiens où une nouvelle unité monte actuellement en puissance ; basée à Petawawa, elle sera distincte de la Joint Task Force Two et comptera, à terme de cinq ou six ans, un effectif total de 750 personnels. Dénommée le Canadian Special Operations Regiment, l’unité en question aura un rôle qui se situera à mi-chemin entre celui du 75th Ranger Regiment et celui des bérets verts américains : ses membres accompliront aussi bien les missions traditionnelles d’assaut dans la troisième dimension que des opérations spéciales. Dans l’immédiat, une soixantaine de personnels sont en cours d’affectation à Petawawa afin de constituer l’embryon des services d’état-major et de logistique. Une capacité opérationnelle initiale est attendue pour août 2006, mois au cours duquel la nouvelle unité devrait avoir réuni la moitié de ses moyens de commandement et de soutien ainsi que 120 opérateurs. Le Canadian Special Operations Regiment sera rattaché au Canadian Special Operations Command (CSOC) de création récente et qui est également destiné à englober la Joint Task Force Two.
Ce renouveau des forces spéciales canadiennes est très bien accueilli à Washington ; en de multiples occasions, des généraux ainsi que des membres de l’administration américaine ont en effet d’ores et déjà annoncé leur intention d’avoir recours à ces nouvelles capacités dans le cadre de la « guerre globale contre le terrorisme ». Au Canada en revanche, certaines voix discordantes se sont fait entendre pour souligner les habituels inconvénients accompagnant la création ab nihilo de ce type d’unité : des doutes sont apparus quant aux capacités des forces armées à fournir le nombre de spécialistes requis (le CSOC comprendra à terme entre 2 200 et 2 500 militaires) et les commandants d’unités craignent de devoir se séparer de leurs meilleurs éléments.
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Jean-Jacques CÉCILE