"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

19 décembre 2002

ORLANDI - ESTERMANN - TORNAY

Révélations d'un ancien juge italien:
Il y avait un espion à la tête de la garde suisse.
.
L'honorable Ferdinando Imposimato, 77 ans, lance un pavé dans la mare: Aloïs Estermann, le commandant de la garde suisse, était un agent de la Stasi. Il aurait joué un rôle dans l'attentat contre le pape en 1981, mais aussi dans l'enlèvement de la jeune Emanuela Orlandi en 1983 à Rome.

Fernando Imposimato, votre livre est une véritable bombe. Selon vous, le commandant de la garde suisse Aloïs Estermann était un espion de la Stasi. Comment êtes-vous arrivé à cette conclusion surprenante?

F. I. - Je me suis livré à une longue enquête, depuis plus de vingt ans. Ces révélations m'ont été faites par un ancien agent de la Stasi, confirmées par l'agent Markus Wolf. Je n'ai aucun doute: Estermann était bien un espion qui avait connaissance de beaucoup de secrets au Vatican. Il enquêtait de façon très approfondie. Plus curieux encore, il avait un dossier assez fourni qui lui a été volé dans son bureau en 1997, un an avant sa mort…

L'attentat contre le pape, l'enlèvement de la petite Orlandi et l'affaire Tornay. Pourquoi toutes ces affaires sont-elles reliées entre elles?

F. I. - Mais parce que le point commun entre chacune d'entre elles, c'est bien la présence d'Estermann! L'attentat du pape a été commandité par le KGB, via la Turquie et la Bulgarie, avec l'aide de la Stasi qui est à l'origine de l' enlèvement d'Emanuela Orlandi en 1983, ce qui a permis de détruire définitivement les preuves de l'attentat de 1981.Dans l'affaire Orlandi, tout est venu de l'intérieur du Vatican, c'est évident. Estermann était au courant de toutes les allées et venues de la petite Orlandi qui passait toujours par la porte Sainte-Anne, contrôlée par la garde suisse. Et puis les Orlandi (Ercole est un haut fonctionnaire du Vatican) et les Estermann vivaient dans le même bâtiment. Et Estermann savait aussi qu'Orlandi enquêtait sur l'attentat du pape. En enlevant Emanuela Orlandi, c'était le meilleur moyen de bloquer l'enquête sur l'attentat de 1981 et de ne pas démasquer Estermann.

Avez-vous récolté beaucoup d'informations à l'intérieur même du Vatican?

F. I. - J'ai parlé aussi bien avec Ercole Orlandi qu'avec d'autres personnes, dont des religieux, mais je ne donnerai aucun nom.

Le pape sait-il la vérité sur Estermann?

F. I. - Non, pour moi, il n'est pas au courant. On a cherché à lui faire croire des choses différentes de la vérité. Mais c'est quelqu'un d'intelligent, il a une grande intuition… Je lui ai écrit en 1997 pour lui dire qu'il avait été la cible d'un complot international. Il m'a répondu par ces mots : "Vous devez continuer sur cette voie de la vérité et de la justice".Donc, en fait, il a compris. Mais sa fonction ne lui permet pas de faire quoi que ce soit. Il en a été définitivement convaincu, quand ont été découverts des micros dans sa salle à manger.

Vous êtes sûr de ce fait?

F. I. - Si je n'en étais pas convaincu, je ne l'aurais jamais écrit! Cela m'a été confirmé par une personne très sérieuse. Ce micro a été découvert par un parent de Wanda Poltawska, une religieuse polonaise très proche du Saint-Père, la seule à le voir quotidiennement. Un des micros était placé dans un transistor. En fait, les services secrets cherchaient à savoir tout sur le pape autant à travers des écoutes qu'en passant par des taupes. Je sais qu'Orlandi suspectait des personnes dans la garde suisse en 1983 déjà. Il savait qu'il y avait une taupe qui avait participé à l'attentat contre le pape.

Mais Aloïs Estermann n'a-t-il pas sauvé la vie du pape lors de l'attentat?

F. I. - C'est un mensonge de dire qu'il a sauvé la vie du pape! Il n'est monté sur le véhicule qu'après les coups de feu. Je l'ai vu sur les photos et beaucoup de témoins me l'ont confirmé. Avec ce mensonge, on a essayé d'en faire un héros, mais c'est de la pure désinformation.
Le terroriste turc Ali Agça a-t-il agi seul le 13 mai 1981 sur la place Saint-Pierre?

F. I. - Non. Il y avait au moins trois tireurs! J'en suis sûr à 100%. En fait, le pape a reçu deux projectiles et deux touristes ont été également touchés. Les tirs provenaient d'au moins deux endroits opposés.Je ne crois pas à la théorie d'une balle magique qui aurait touché tout le monde. Une photo montre notamment un autre tireur en train de fuir. Il y a une quantité d' autres éléments qui prouvent qu'il y a eu plusieurs tireurs ce jour-là sur la place Saint-Pierre. Le seul qui a été capturé, c'est Ali Agça. On a fait croire qu'il y avait seulement un tireur mais même le pape ne croit pas à cette thèse-là.

Vous en avez parlé avec lui?

F. I. - Oui, je l'ai rencontré deux fois. Lui aussi croit à la thèse du complot. Une chose encore qui n'a jamais été dite: quand Jean Paul II est allé à la prison pour rencontrer Ali Agça, en décembre 1983, c'était en fait pour essayer de sauver Emanuela Orlandi et non pour pardonner à son agresseur, ce qu'il avait déjà fait auparavant! La veille, le Saint-Père avait reçu Ercole Orlandi pour le rassurer et lui dire qu'il ferait tout pour trouver une solution à l'enlèvement de sa fille.
Tout cela vous a-t-il été confirmé par Ali Agça?

F. I. - Oui, je l'ai rencontré plusieurs fois. Il m'a aussi confirmé qu'il y a beaucoup d'agents infiltrés au Vatican qui l'ont aidé à préparer l'attentat de 1981. Au début, je ne le croyais pas, mais peu à peu je me suis rendu compte qu'il disait la vérité. Estermann faisait partie de ce réseau de la Stasi au Vatican, notamment avec le Père Eugen Brammertz. Ce prêtre avait un bureau à L'Osservatore Romano qui donnait directement sur l'appartement des Orlandi…
Comment les familles Tornay et Estermann ont-elles réagi à votre livre?

F. I. - J'ai eu des contacts avec la famille de Cédric Tornay. Sa mère m'a encouragé à aller plus loin car elle est convaincue que son fils ne s'est pas suicidé. Je crois qu'elle est très favorable à mon livre comme à tout ce qui va dans le sens de la vérité. En revanche, de la part de la famille Estermann, je n’ai eu aucune réaction.

Dans l'affaire Tornay, peut-on également parler de complot?

F. I. - C'est une hypothèse, mais je n'ai pas de preuves, même s'il y a beaucoup d'aspects étranges. J'aimerais retourner en Suisse pour tirer au clair certains éléments troublants. Entre 1977 et 1980, par exemple, le clergé suisse était opposé à la nomination d'Aloïs Estermann à la garde suisse, mais la Suisse a cédé devant l'insistance de Rome. Je pense que vos autorités devaient savoir qu'il était lié aux services secrets est-allemands.Il est important d'étudier cette période qui est celle des premiers contacts entre Estermann et la Stasi à travers l'agent Rolf Wagenbreth et le major Horst Hofler. Beaucoup de choses se sont déroulées en Suisse: par exemple, Ali Agça est passé par votre pays juste avant l’attentat. Il a séjourné à Olten où les Loups gris (extrémistes turcs) sont très actifs. C'est là qu'il a confié le pistolet qui devait tuer le pape à Omer Bagci. Ce dernier l'a transporté ensuite vers l'Italie et lui a remis l'arme à Milan trois jours avant l'attentat de la place Saint-Pierre.Durant l'affaire Orlandi, c'est toujours d'Olten qu'arrivaient à Rome de nombreux messages… Etrange, non?

Vous publiez dans votre livre une curieuse lettre datée de 2002 signée "Cédric, le petit prince". Qui, selon vous, en est l'auteur?

F. I. - Elle est écrite par quelqu'un qui se trouve à l'intérieur du Vatican et précisément au sein de la garde suisse. Cette lettre démontre que son auteur sait beaucoup de choses sur les mystères du Vatican. Cette personne a conscience de tout ce qui s'est passé autour d'Estermann. Je pense qu'elle a voulu me faire passer le message d'aller encore plus loin dans mon enquête.
Pensez-vous que vos révélations puissent conduire à rouvrir les enquêtes judiciaires?

F. I. - Je pense sincèrement qu'il y aura une réouverture du dossier Orlandi et donc, par ricochet, les juges seront aussi amenés à se pencher sur le cas d' Aloïs Estermann.En revanche, je doute qu'on rouvre un jour le dossier Tornay.
.
Le Vatican est convaincu que Cédric Tornay a tué le commandant de la garde suisse et son épouse puis qu'il s'est donné la mort. Pour eux, il n'y a pas de mystère…


Arnaud Bédat de L'Osservatore Romano et Didier Martenet