"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

12 octobre 2021

11/09 : Les motifs de l’attaque sont trop souvent passés sous silence



 

Après qu’un avion de ligne russe a été abattu au-dessus du Sinaï égyptien en octobre dernier [2015], les médias occidentaux ont rapporté que l’action de l’État islamique était une riposte aux frappes aériennes russes en Syrie. Le meurtre de 224 personnes, pour la plupart des touristes russes en vacances, a été traité comme un acte de guerre par un groupe fanatique sans armée de l’Air ayant recours au terrorisme pour riposter.

Pourtant, les militaires occidentaux ont tué infiniment plus de civils innocents au Moyen-Orient que la Russie. Alors pourquoi les responsables et les médias occidentaux ne citent-ils pas les représailles à cette violence occidentale comme cause des attaques terroristes à New York, Paris et Bruxelles ?

Au lieu de cela, il y a une détermination farouche à ne pas faire le même genre de liens que la presse a fait si facilement quand c’était la Russie qui recevait la terreur. [Voir « Obama Ignores Russian Terror Victims » (Obama ignore les victimes de la terreur russe, NdT) de Consortium News].

Par exemple, tout au long des quatre heures de couverture par Sky News des attentats du 7 juillet 2005 à Londres, seule la plus brève mention a été faite d’un motif possible pour cet horrible assaut contre trois rames de métro et un bus, faisant 52 morts. Pourtant, ces attentats ont eu lieu deux ans seulement après la participation de la Grande-Bretagne à l’invasion meurtrière de l’Irak.

Le Premier ministre Tony Blair, l’un des architectes de la guerre en Irak, a condamné la perte de vies innocentes à Londres et a lié les attentats au sommet du G-8 qu’il avait ouvert le matin même. Un présentateur de télévision a ensuite lu et dénigré une revendication de 10 secondes émanant d’une filiale autoproclamée d’al-Qaïda en Allemagne, qui affirmait que l’invasion de l’Irak était à blâmer. Il n’y a plus eu de discussion à ce sujet.

Expliquer pourquoi ces attaques se produisent n’est pas un moyen d’excuser ou de justifier les actes terroristes contre des civils innocents. C’est simplement une responsabilité du journalisme, surtout lorsque le « pourquoi » n’est pas un mystère. Il a été pleinement expliqué par Mohammad Sidique Khan, l’un des quatre kamikazes de Londres. Bien que ne parlant qu’au nom d’une infime partie des musulmans, il a déclaré dans un enregistrement vidéo avant l’attentat :

« Vos gouvernements démocratiquement élus perpétuent continuellement des atrocités contre mon peuple dans le monde entier. Et le soutien que vous leur apportez vous rend directement responsables, tout comme je suis directement responsable de la protection et de la vengeance de mes frères et sœurs musulmans. Tant que nous ne nous sentirons pas en sécurité, vous serez nos cibles et tant que vous ne cesserez pas de bombarder, gazer, emprisonner et torturer mon peuple, nous ne cesserons pas ce combat. Nous sommes en guerre et je suis un soldat. Maintenant, vous allez vous aussi goûter à la réalité de cette situation. »

L’État islamique a publié la raison suivante pour avoir perpétré les attentats de Paris de novembre dernier [2015] :

« Que la France et toutes les nations qui suivent son chemin sachent qu’elles continueront à être en haut de la liste des cibles de l’État islamique et que l’odeur de la mort ne quittera pas leurs narines tant qu’elles participeront à la campagne des croisés […] et se vanteront de leur guerre contre l’islam en France, et de leurs frappes contre les musulmans sur les terres du califat avec leurs jets. »

Prétendre que c’est un état d’esprit

Ignorant ces déclarations d’intention claires, le porte-parole du département d’État, Mark Toner, nous sert plutôt des formules frelatées sur les attentats de Bruxelles, affirmant qu’il est impossible « d’entrer dans l’esprit de ceux qui commettent ces attaques. »

Il n’est pourtant pas nécessaire de lire dans les pensées. L’État islamique nous a explicitement dit dans un communiqué de presse pourquoi il a commis les attentats de Bruxelles : « Nous promettons des jours noirs pour toutes les nations croisées alliées dans leur guerre contre l’État islamique, en réponse à leurs agressions contre lui. »

Pourtant, peinant toujours à expliquer pourquoi cela s’est produit, Toner a déclaré : « Je pense que cela reflète davantage un effort pour infliger à ceux qu’ils considèrent comme de l’Occident ou des Occidentaux […] la peur qu’ils puissent mener ce genre d’attaques et pour tenter de se venger. »

Toner a attribué le motif à un état d’esprit : « Je ne sais pas s’il s’agit d’établir un califat au-delà des gains territoriaux qu’ils ont tenté de faire en Irak et en Syrie, mais c’est un autre aspect de l’idéologie tordue de Daesh qui les pousse à mener ces attaques en Europe et ailleurs s’ils le peuvent. […] Qu’il s’agisse des espoirs, des rêves ou des aspirations d’un certain peuple, rien ne justifie jamais la violence. »

Après le 11 Septembre, le président George W. Bush a tristement déclaré que les États-Unis avaient été attaqués parce « qu’ils détestent nos libertés. » C’est l’exemple parfait d’un point de vue occidental qui attribue des motivations aux Orientaux sans leur permettre de parler pour eux-mêmes ou sans les prendre au sérieux lorsqu’ils le font.

Dans sa Lettre à l’Amérique, Oussama Ben Laden, expliquant le motif du 11 Septembre, a exprimé sa colère à l’égard des troupes américaines stationnées sur le sol saoudien. Ben Laden demandait : « Pourquoi nous battons-nous et nous opposons-nous à vous ? La réponse est très simple : Parce que vous nous avez attaqués et que vous continuez à nous attaquer. » (Aujourd’hui, les États-Unis disposent de dizaines de bases dans sept pays de la région).

Lors d’un débat présidentiel républicain en 2008, Rudy Giuliani, qui était maire de New York le 11 septembre, est devenu furieux et a exigé que Ron Paul retire sa remarque selon laquelle les États-Unis ont été attaqués à cause des interventions violentes des États-Unis dans les pays musulmans.

« Avez-vous déjà lu les raisons pour lesquelles ils nous ont attaqués ? a déclaré Paul. Ils nous ont attaqués parce que nous sommes allés là-bas. Nous avons bombardé l’Irak pendant dix ans. Je suggère que nous écoutions les gens qui nous ont attaqués et la raison pour laquelle ils l’ont fait. »

« C’est une déclaration extraordinaire, a répondu Giuliani. En tant que personne qui a vécu l’attaque du 11 septembre, que nous avons suscité l’attaque, parce que nous avons attaqué l’Irak. Je ne pense avoir jamais entendu cela auparavant. Et j’ai entendu des explications complètement absurdes pour le 11 Septembre. »

Le public n’avait jamais entendu cela non plus, puisqu’il a chaleureusement applaudi Giuliani.

« Et je demanderais au membre du Congrès de retirer ce commentaire et de nous dire qu’il ne le pensait pas vraiment », a déclaré Giuliani.

« Je la crois très sincèrement lorsque la CIA nous informe et parle d’un retour de flamme, a répondu Paul. Si nous pensons que nous pouvons faire ce que nous voulons dans le monde sans inciter à la haine, alors nous avons un problème. Ils ne viennent pas ici pour nous attaquer parce que nous sommes riches et que nous sommes libres. Ils nous attaquent parce que nous sommes là-bas. »




Alors pourquoi les responsables occidentaux et les médias ne prennent-ils pas pour argent comptant les déclarations d’intention des djihadistes ? Pourquoi ne nous disent-ils pas vraiment pourquoi nous sommes attaqués ?

Il semble qu’il s’agisse d’un effort pour dissimuler une histoire longue et toujours plus intense d’intervention militaire et politique occidentale au Moyen-Orient et les réactions violentes qu’elle provoque, réactions qui mettent en danger des vies occidentales innocentes. La culpabilité indirecte de l’Occident dans ces actes terroristes est régulièrement occultée, sans parler des preuves de son implication directe dans le terrorisme.

Certains responsables gouvernementaux et journalistes peuvent se bercer d’illusions et croire que l’intervention occidentale au Moyen-Orient est une tentative de protéger les civils et de répandre la démocratie dans la région, au lieu d’apporter le chaos et la mort pour servir les objectifs stratégiques et économiques de l’Occident. D’autres responsables doivent être mieux informés.

1920-1950 : Le début d’un siècle d’intervention

Quelques-uns connaissent peut-être l’histoire, en grande partie cachée, des actions trompeuses et souvent imprudentes de l’Occident au Moyen-Orient. Elle est cependant cachée pour la plupart des Occidentaux. Il vaut donc la peine d’examiner en détail cet effroyable bilan d’ingérence dans la vie de millions de musulmans et de personnes d’autres confessions pour apprécier tout le poids qu’il exerce sur la région. Il peut contribuer à expliquer la colère anti-occidentale qui pousse quelques radicaux à commettre des atrocités en Occident.


Le diplomate français François George-Picot et l’officier colonial britannique Mark Sykes ont tracé des lignes sur une carte du Moyen-Orient de l’Empire ottoman après la Première Guerre mondiale, découpant des États dont les frontières sont presque les mêmes aujourd’hui.



L’histoire est une suite ininterrompue d’interventions depuis la fin de la Première Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. Elle a commencé après la guerre, lorsque la Grande-Bretagne et la France ont trompé les Arabes en leur promettant l’indépendance pour les avoir aidés à vaincre l’Empire ottoman. L’accord secret Sykes-Picot de 1916 a divisé la région entre les puissances européennes dans le dos des Arabes. Londres et Paris ont créé des nations artificielles à partir des provinces ottomanes pour qu’elles soient contrôlées par les rois et dirigeants qu’elles avaient installés, avec une intervention directe si nécessaire.

Ce qui a suivi pendant 100 ans, ce sont les efforts continus de la Grande-Bretagne et de la France, remplacées par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, pour gérer la domination occidentale sur une région rebelle.

Le nouveau gouvernement soviétique a révélé les termes de Sykes-Picot en novembre 1917 dans les Izvestia. À la fin de la guerre, les Arabes se sont révoltés contre la duplicité britannique et française. Londres et Paris ont alors écrasé sans pitié les soulèvements pour l’indépendance.

La France a vaincu un gouvernement syrien proclamé en un seul jour, le 24 juillet 1920, à la bataille de Maysalun. Cinq ans plus tard, une deuxième révolte syrienne, truffée d’assassinats et de sabotages, a été déclenchée et il a fallu deux ans pour la réprimer. Si vous vous promenez dans le souk du vieux Damas et que vous levez les yeux vers le toit en tôle ondulée, vous verrez de minuscules taches de lumière du jour qui percent. Ce sont les impacts de balles des avions de guerre français qui ont massacré les civils au sol.

La Grande-Bretagne a réprimé une série de révoltes indépendantistes en Irak entre 1920 et 1922, d’abord avec 100 000 soldats britanniques et indiens, puis surtout avec la première utilisation de la puissance aérienne dans le cadre de la contre-insurrection. Des milliers d’Arabes ont été tués. La Grande-Bretagne a également aidé son nouveau roi Abdullah à réprimer les rébellions en Jordanie en 1921 et 1923.

Londres a ensuite été confrontée à une révolte arabe en Palestine de 1936 à 1939, qu’elle a brutalement écrasée, tuant environ 4 000 Arabes. La décennie suivante, les terroristes israéliens ont chassé les Britanniques de la Palestine en 1947, l’un des rares cas où les terroristes ont atteint leurs objectifs politiques.

L’Allemagne et l’Italie, tardives dans le jeu de l’Empire, ont ensuite envahi l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient au début de la Seconde Guerre mondiale. Elles ont été chassées par les forces impériales britanniques (en grande partie indiennes) avec l’aide des États-Unis. La Grande-Bretagne a envahi et vaincu l’Irak, théoriquement indépendant, qui s’était rangé du côté de l’Axe. Avec l’Union soviétique, la Grande-Bretagne a également envahi et occupé l’Iran.

Après la guerre, les États-Unis ont assumé une domination régionale sous prétexte de repousser l’influence régionale soviétique. Trois ans seulement après l’indépendance de la Syrie vis-à-vis de la France, la Central Intelligence Agency, vieille de deux ans, a organisé un coup d’État syrien en 1949 contre un gouvernement démocratique et laïc. Pourquoi ? Parce qu’il s’était opposé à l’approbation d’un projet de pipeline saoudien que les États-Unis favorisaient. Washington a installé Husni al-Za’im, un dictateur militaire, qui a approuvé le plan.

Années 1950 : La Syrie hier et aujourd’hui

Avant l’invasion majeure et les guerres aériennes en Irak et en Libye de ces 15 dernières années, les années 1950 ont été l’époque de l’implication la plus fréquente, et surtout secrète, de l’Amérique au Moyen-Orient. Le premier coup de force de la Central Intelligence Agency a eu lieu en Syrie en mars 1949. L’administration Eisenhower souhaite alors contenir à la fois l’influence soviétique et le nationalisme arabe, qui relance la quête d’une nation arabe indépendante. Après une série de coups d’État et de contre-coups, la Syrie revient à la démocratie en 1955, penchant pour les Soviétiques.

Le président Dwight Eisenhower


En 1957, une tentative de coup d’État de l’administration Eisenhower en Syrie, dans laquelle la Jordanie et l’Irak devaient envahir le pays après avoir fabriqué un prétexte, tourne mal, provoquant une crise qui échappe au contrôle de Washington et amène les États-Unis et les Soviétiques au bord de la guerre.

La Turquie a placé 50 000 soldats à la frontière syrienne, menaçant d’envahir le pays. Le Premier ministre soviétique Nikita Khrouchtchev a menacé la Turquie d’une attaque nucléaire implicite et les États-Unis ont fait reculer Ankara. Cela ressemble étrangement à ce qui s’est passé en mars 2015 lorsque la Turquie a de nouveau menacé d’envahir la Syrie et que les États-Unis ont freiné le processus. La principale différence est que l’Arabie saoudite en 1957 était opposée à l’invasion de la Syrie, alors qu’elle était prête à la rejoindre le mois dernier. [Voir l’article de Consortiumnews.com intitulé Risquer une guerre nucléaire pour al-Qaïda ?].

Dans les années 1950, les États-Unis ont également commencé à s’associer à l’extrémisme religieux islamique pour contrer l’influence soviétique et contenir le nationalisme arabe laïc. « Nous devons faire tout notre possible pour souligner l’aspect « guerre sainte », a déclaré le président Eisenhower à son secrétaire d’État John Foster Dulles. Après la Guerre froide, les extrémistes religieux, dont certains sont encore liés à l’Occident, sont devenus eux-mêmes le prétexte à une intervention américaine.

Malgré l’ascension régionale des États-Unis dans les années 1950, la Grande-Bretagne et la France ne sont pas en reste. En 1953, un coup d’État du MI6 et de la CIA en Iran a remplacé une démocratie par une monarchie restaurée lorsque Mohammed Mossadegh, le Premier ministre élu, a été renversé après avoir cherché à nationaliser le pétrole iranien sous contrôle britannique. La Grande-Bretagne avait découvert du pétrole en Iran en 1908, suscitant un intérêt accru pour la région.

Trois ans plus tard, la Grande-Bretagne et la France s’allient à Israël pour attaquer l’Égypte en 1956, lorsque le président Gamal Abdel Nasser, qui a succédé au roi Farouk, soutenu par les Britanniques, décide de nationaliser le canal de Suez. Les États-Unis stoppent également cette opération, refusant à la Grande-Bretagne un approvisionnement d’urgence en pétrole et l’accès au Fonds monétaire international si les Britanniques ne font pas marche arrière.

Mais Washington ne peut pas (ou ne veut pas) empêcher la Grande-Bretagne d’essayer, en vain, d’assassiner Nasser, qui a déclenché le mouvement nationaliste arabe.

En 1958, les États-Unis ont débarqué 14 000 Marines au Liban pour soutenir le président Camille Chamoun après qu’un conflit civil ait éclaté contre l’intention de Chamoun de modifier la constitution et de se représenter aux élections. La rébellion a reçu un soutien minimal de la République arabe unie, l’union entre l’Égypte et la Syrie de 1958 à 1961. Il s’agit de la première invasion américaine d’un pays arabe, si l’on exclut l’intervention des États-Unis en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale.

De 1960 à 2003 : Interventions post-coloniales

La rébellion algérienne de 1954-1962 contre le colonialisme français, que Paris a brutalement tenté de réprimer, comprenait des actes de terrorisme algériens. Faisant preuve de la même ignorance que le porte-parole du département d’État Toner, l’attitude française à l’égard du soulèvement a été exprimée par un officier français exaspéré dans le film La bataille d’Alger lorsqu’il s’est exclamé : « Que voulez-vous, vous autres ? »

Des années 1960 aux années 1980, l’intervention des États-Unis dans la région s’est essentiellement limitée à un soutien militaire à Israël lors des guerres israélo-arabes de 1967 et 1973. Du point de vue arabe, cela représentait un engagement majeur des États-Unis pour protéger le colonialisme israélien.

L’Union soviétique est également intervenue directement dans la guerre d’usure de 1967-70 entre l’Égypte et Israël lorsque Nasser s’est rendu à Moscou pour dire qu’il démissionnerait et qu’un dirigeant pro-occidental prendrait la relève si les Russes ne lui venaient pas en aide. En soutenant Nasser, les Soviétiques ont perdu 58 hommes.

Les Soviétiques ont également été impliqués dans la région, à des degrés divers et à des moments différents, tout au long de la Guerre froide, en apportant leur aide aux Palestiniens, à l’Égypte de Nasser, à la Syrie, à l’Irak de Saddam et à la Libye de Mouammar Kadhafi – autant de pays et de dirigeants qui traçaient une voie indépendante de l’Occident.

Pendant le conflit du Septembre noir de 1970 entre la Jordanie et les guérillas palestiniennes, les États-Unis avaient des Marines prêts à embarquer à Haïfa et prêts à sécuriser l’aéroport d’Amman lorsque la Jordanie a repoussé une invasion syrienne pour soutenir les Palestiniens.

Dans les années 1980, les États-Unis ont soutenu Saddam Hussein dans sa guerre brutale de huit ans contre l’Iran, lui fournissant des armes, des renseignements et des armes chimiques, qu’il n’a pas hésité à utiliser contre les Iraniens et les Kurdes. Le président Ronald Reagan a également bombardé la Libye en 1986 après l’avoir accusée sans preuve concluante d’un attentat à la bombe à Berlin dix jours plus tôt, qui avait tué un soldat américain.

Les États-Unis sont retournés plus directement dans la région pour se venger lors de la guerre du Golfe de 1991, enterrant vivants les troupes irakiennes qui se rendaient avec des bulldozers, tirant dans le dos de milliers de soldats qui battaient en retraite sur l’autoroute de la mort, et appelant à des soulèvements dans le sud chiite et le nord kurde pour ensuite les abandonner à la vengeance de Saddam.

Le 18 avril 1991 : Des véhicules démolis bordent l’autoroute 80, également connue sous le nom d’Autoroute de la mort, la route empruntée par les forces irakiennes en fuite lors de leur retrait du Koweït pendant l’opération Tempête du désert. (Joe Coleman, Air Force Magazine, Wikimedia Commons)

L’Irak ne s’est jamais complètement remis de cette dévastation, étant écrasé pendant 12 ans sous les sanctions des Nations Unies et des États-Unis qui, de l’aveu de Madeleine Albright, alors ambassadrice des Nations unies, ont contribué à la mort d’un demi-million d’enfants irakiens. Mais elle a déclaré que cela « en valait la peine. »

Les sanctions contre l’Irak n’ont pris fin qu’après l’invasion à grande échelle, en 2003, de cette nation arabe souveraine par les États-Unis et la Grande-Bretagne, un assaut justifié par des allégations bidon selon lesquelles l’Irak cacherait des stocks d’armes de destruction massive qui pourraient être partagés avec al-Qaïda. L’invasion a tué des centaines de milliers de personnes et laissé l’Irak dévasté. Elle a également déclenché une guerre civile et donné naissance à un groupe terroriste, l’État islamique en Irak, qui a ensuite fusionné avec des terroristes en Syrie pour devenir l’ISIS.

Tout au long de ce siècle d’intervention, la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis ont géré la région par le biais d’alliances solides avec des dictateurs ou des monarques qui n’avaient aucune considération pour les droits démocratiques. Mais lorsque ces autocrates sont devenus remplaçables, comme Saddam Hussein, on s’en débarrasse.

La plus grande invasion à ce jour

Si la plupart des Américains ne sont pas conscients de cette longue histoire d’humiliation accumulée des musulmans, des chrétiens et des autres minorités religieuses de la région – et de la haine de l’Occident qui en résulte – ils ne peuvent pas ignorer l’invasion de l’Irak, la plus importante de l’Occident dans la région, si l’on exclut la Seconde Guerre mondiale. Le public n’ignore pas non plus l’intervention de 2011 en Libye, et le chaos qui en a résulté. Et pourtant, aucun lien n’est établi entre ces désastres et les attaques terroristes contre l’Occident.

Les hommes forts laïques d’Irak, de Libye et de Syrie ont été visés parce qu’ils ont osé être indépendants de l’hégémonie occidentale – et non en raison de leurs affreux bilans en matière de droits humains. La preuve en est que les bilans de l’Arabie saoudite et d’Israël en matière de droits humains sont également épouvantables, mais que les États-Unis continuent de soutenir fermement ces « alliés. »

Pendant le soi-disant Printemps arabe, lorsque les Bahreïnis ont réclamé la démocratie dans ce royaume insulaire, les États-Unis ont pour la plupart détourné le regard alors qu’ils étaient écrasés par une force combinée de la monarchie du pays et des troupes saoudiennes. Washington s’est également accroché à l’homme fort égyptien Hosni Moubarak jusqu’à la fin.

Cependant, sous le prétexte de protéger la population libyenne, les États-Unis et l’OTAN ont mis en œuvre un « changement de régime » sanglant en Libye, qui a conduit à l’anarchie, à un autre État défaillant et à la création d’une enclave ISIS de plus. Au cours des cinq dernières années, l’Occident et ses alliés du Golfe ont alimenté la guerre civile en Syrie, contribuant à une autre catastrophe humanitaire.

L’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton



Le motif de l’Occident pour toutes ces ingérences est souvent lié au pétrole. Mais l’obéissance est un facteur important. Hans Morgenthau a écrit dans Politics Among Nations (1968) que l’envie d’expansion des empires « ne sera pas satisfaite tant qu’il restera quelque part un objet possible de domination – un groupe d’hommes politiquement organisé qui, par son indépendance même, défie la soif de pouvoir du conquérant. »

Tariq Ali, dans son livre Bush in Babylon publié en 2003, écrit à propos de Gnaeus Julius Agricola, le général romain responsable d’une grande partie de la conquête de la Grande-Bretagne au premier siècle : « Lors d’une de ses visites aux confins de la Grande-Bretagne, Agricola a regardé en direction de l’Irlande et a demandé à un collègue pourquoi elle était restée inoccupée. Parce que, lui répondit-il, elle était constituée de terres marécageuses incultivables et était habitée par des tribus très primitives. Que pouvait-elle bien avoir à offrir au grand Empire ? Le malheureux a été sévèrement réprimandé. Le gain économique n’est pas tout. Bien plus important est l’exemple fourni par un pays non occupé. Il est peut-être arriéré, mais il est toujours libre. »

Masquage des motivations

Les Américains connaissent peu cette longue histoire de manipulation, de tromperie et de brutalité de l’Occident au Moyen-Orient, car les médias américains ne l’invoquent presque jamais pour expliquer l’attitude des Arabes et des Iraniens envers l’Occident.

Les musulmans se souviennent cependant de cette histoire. Je connais des Arabes qui sont encore furieux du coup de poignard dans le dos de Sykes-Picot, sans parler des déprédations les plus récentes. En effet, des fanatiques comme l’État islamique sont toujours irrités par les Croisades, une intervention occidentale bien antérieure. D’une certaine manière, il est surprenant, et heureux, que seule une infime partie des musulmans se soit tournée vers le terrorisme.


Le candidat républicain milliardaire Donald Trump



Néanmoins, les islamophobes comme Donald Trump veulent empêcher tous les musulmans d’entrer aux États-Unis jusqu’à ce qu’il comprenne « ce qui se passe ». Il affirme que les musulmans ont une « haine profonde » des Américains. Mais il ne le comprendra pas parce qu’il ignore la cause principale de cette haine : le siècle dernier d’interventions, avec en tête les atrocités occidentales les plus récentes en Irak et en Libye.

Si l’on fait abstraction des motifs politiques et historiques, les terroristes ne sont rien d’autre que des fous alimentés par la haine irrationnelle d’un Occident bienveillant qui affirme vouloir seulement les aider. Ils nous détestent simplement parce que nous sommes occidentaux, selon des gens comme Toner, et non parce que nous leur avons fait quelque chose.

De même, Israël et ses soutiens occidentaux enterrent l’histoire du nettoyage ethnique et de la conquête fragmentaire de la Palestine par Israël, afin de pouvoir rejeter les Palestiniens qui se tournent vers le terrorisme comme étant motivés uniquement par la haine des Juifs parce qu’ils sont Juifs.

J’ai demandé à plusieurs Israéliens pourquoi les Palestiniens avaient tendance à les haïr. Plus l’Israélien était instruit, plus il était probable qu’il réponde que c’était à cause de l’histoire de la création d’Israël et de la façon dont il continue à gouverner. Moins la personne interrogée était instruite, plus il était probable qu’elle réponde qu’ils nous détestent simplement parce que nous sommes juifs.

Il n’y a pas d’excuse au terrorisme. Mais il existe un moyen pratique de l’endiguer : mettre fin aux interventions et occupations actuelles et ne plus en prévoir.

La psychologie de la terreur

Bien sûr, la colère contre l’exploitation des terres musulmanes par l’Occident n’est pas la seule motivation du terrorisme. Il existe des pressions émotionnelles et collectives qui poussent certains à franchir le pas et à s’équiper de bombes pour faire sauter des innocents autour d’eux. Heureusement, il faut un type d’individu très inhabituel pour réagir à ce passé peu glorieux par des actes de terrorisme peu glorieux.

L’argent joue également un rôle. Nous avons assisté à des vagues de défections, I’Etat islamique ayant récemment réduit de moitié le salaire des combattants. La colère contre les dirigeants locaux installés et soutenus par l’Occident qui oppriment leur peuple au nom de l’Occident est un autre motif. Les prédicateurs extrémistes, en particulier les wahhabites saoudiens, sont également à blâmer car ils inspirent le terrorisme, généralement contre les chiites.


M. Obama et le roi Salman, le 27 janvier 2015, lors de la visite d’État de Obama en Arabie saoudite
(Photo officielle de la Maison Blanche par Pete Souza).



Patauger dans la psychologie des raisons pour lesquelles quelqu’un se tourne vers le terrorisme est une tâche peu enviable. Le point de vue occidental officiel est que les extrémistes islamistes détestent simplement la modernité et la laïcité. C’est peut-être le motif qui les pousse à vouloir transformer à rebours leurs propres sociétés en supprimant l’influence occidentale. Mais ce n’est pas ce qu’ils disent lorsqu’ils revendiquent la responsabilité de frapper l’Occident.

Ignorer leurs paroles et rejeter leur réaction violente à l’histoire longue et continue de l’intervention occidentale peut protéger les Américains et les Européens de leur responsabilité partielle dans ces atrocités. Mais cela permet également de couvrir la poursuite des interventions qui, à leur tour, produiront certainement davantage de terrorisme.

Plutôt que d’examiner le problème objectivement – et de façon autocritique -– l’Occident dissimule de façon ridicule sa propre violence sous le couvert d’un effort pour répandre la démocratie (qui ne semble jamais se matérialiser) ou protéger les civils (qui sont plutôt mis en danger). Admettre un lien entre le passé sordide et le terrorisme anti-occidental reviendrait à admettre la culpabilité et le prix que l’Occident paie pour sa domination.

Pire encore, laisser les terroristes être perçus comme de simples fous sans cause permet à la réponse terroriste de devenir une justification pour une action militaire supplémentaire. C’est précisément ce qu’a fait l’administration Bush après le 11 Septembre, en cherchant à relier faussement les attentats au gouvernement irakien.

En revanche, lier le terrorisme à l’intervention occidentale pourrait susciter un sérieux examen de conscience du comportement de l’Occident dans la région, conduisant à un éventuel recul, voire à la fin de cette domination extérieure. Mais c’est clairement une chose que les décideurs politiques à Washington, Londres et Paris – et leurs médias serviles – ne sont pas prêts à faire.

Joe Lauria