"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

12 septembre 2020

Le seul avion dans le ciel


La couverture du livre «The only plane in the sky : An oral history of 9/11»


Depuis les attaques du 11 septembre 2001, les campagnes républicaines et démocrates s’imposent habituellement une trêve d’attaques partisanes pour honorer la mémoire de ceux et celles qui sont morts, tout comme on souligne le sacrifice et le courage des premiers répondants. Je respecte cette trêve à ma façon en m’éloignant de la couverture de la campagne 2020.

J’ai plutôt choisi de vous parler d’un article du site POLITICO dans lequel on donne la parole aux passagers qui accompagnaient le président au moment où les responsables de la sécurité l’ont entraîné à toute vitesse vers Air Force One, après qu’on l’eut informé des attaques terroristes. Les confidences sont tirées du livre publié par le journaliste Garrett M. Graff intitulé The Only Plane in the Sky : An Oral History of 9/11, le seul avion dans le ciel.

Comme c’est presque toujours le cas, le président américain n'était pas seul à voyager sur Air Force One. Plusieurs de ses conseillers s'étaient joints à lui: son chef de cabinet, le porte-parole de la Maison-Blanche, les services de renseignement, des représentants du congrès, un médecin et des journalistes. Sans compter, bien sûr, les membres de l’équipage.

Ce qui frappe, dans les récits et anecdotes de ceux et celles qui se sont confiés à Graff, c’est le clash entre la description du début de la journée et le sentiment d’urgence, la part d’inconnu qui marque les premières heures suivant les attaques.

Le personnel qui séjourne en Floride aux côtés du président s’attend à une journée calme, un horaire relativement peu chargé et des activités qui ne laissent présager aucune controverse particulière. Rien, dans le compte rendu de la CIA, ne mentionne de potentielles menaces terroristes à ce moment.

Le caractère routinier est confirmé par les représentants des médias. Les grosses pointures ou les journalistes les plus expérimentés ne sont pas de l’aventure, le suivi est assuré par les subalternes. On ne parle pas de petites vacances au soleil, mais d’une journée qui n’annonce rien de bien spectaculaire.

Vous avez peut-être encore en mémoire le visage du président au moment où on l’informe de la situation à New York. Il interrompt la lecture d’un livre devant les enfants et semble ébranlé. Son jogging matinal et son entrain du début de la journée ne sont plus que de lointains souvenirs.

Les responsables de sa sécurité agissent promptement et le conduisent à ce moment vers ce qu’ils considèrent être l’endroit le plus sécuritaire, l’avion présidentiel. Considérant la nature des attaques terroristes, ce pourrait être en même temps le plus dangereux.

Dans le tumulte qui s’ensuit, les conseillers ne reçoivent que des informations parcellaires, mais ressentent un profond malaise lorsqu’ils constatent qu’ils ont appris avant le président que la seconde tour du World Trade était touchée. C’est dire à quel point la situation évolue rapidement.

Je n’ai pas l’intention de faire ici le récit des heures passées à bord d’Air Force One, mais vous pouvez aisément imaginer que, pendant ce long trajet, les questions se multiplient. Non seulement veille-t-on à la sécurité du président, mais il faut s’assurer qu’il obtienne rapidement les informations les plus précises et que les communications avec Dick Cheney et la cellule de crise se déroulent sans entrave.

Une des questions les plus pressantes? Le président doit-il et peut-il rentrer le plus rapidement à Washington? George W. Bush, qu’on décrit comme calme pendant l’épisode, est bien conscient de la symbolique, mais, comme le Pentagone est atteint, demeurer à bord d’Air Force One est le choix qui s’impose.

Ce sont les services de sécurité qui refusent d’obtempérer à la demande du président. Celui-ci les harcèlera toute la journée parce qu’il souhaite parler à ses concitoyens et les rassurer à partir du Bureau ovale. Rien n’y fait, on juge qu’en se posant dans la capitale, le président deviendrait une cible trop facile.

Si, 19 ans plus tard, vous vous intéressez toujours aux événements de cette journée historique, je vous suggère fortement la lecture du livre de Graff. Certains témoignages nous permettent de saisir l’ampleur du défi auquel l’administration Bush était confrontée. De multiples questions et inquiétudes surgissent sur la gestion d’une attaque aussi soudaine.

Si les décisions politiques et militaires nous préoccupent d’abord, le bouquin nous rappelle également à quel point, pour toutes les personnes impliquées, la crise fut profondément humaine. Le partage des pouvoirs et des responsabilités entre les élus et les responsables de la sécurité est délicat. Si le président doit savoir et s'il lui revient de trancher, on doit d’abord veiller à ce qu'il soit protégé et en sécurité.

Jamais je n’oublierai le 11 septembre 2001. Lorsqu’un collègue m’a informé des attaques, j’ai interrompu une présentation sur la politique étrangère («L’axe du mal de George W. Bush») et déplacé tous mes étudiants vers les locaux des services audiovisuels de notre établissement (nous n'avions pas internet en classe).

Alors que je terminais mon exposé en le liant aux événements qui se déroulaient sous nos yeux, je réalisais en même temps toutes les implications que pourraient avoir ces attaques et la réponse américaine sur la vie de nos voisins et sur notre propre quotidien. Le monde a changé, ce jour-là. C’est la définition même d’un événement historique.

 Luc Laliberté

journaldequebec.com