Le titre pourrait faire penser à un livre de l’écrivain américain William Burroughs mais il n’en est rien. « Lettres d’Abbottabad » est la somme de 17 documents écrits par Oussama Ben Laden, le défunt chef d’al-Qaïda, que vient de mettre en ligne le Combating Terrorism Center (CTC) de l’académie militaire de West Point.
Bien évidemment, il ne s’agit là que d’un échantillon des documents saisis par les Navy Seals qui ont participé à l’opération contre Ben Laden, le 2 mai 2011. L’on sait que ces derniers ont en effet rapporté d’Abbottabad une « mine de renseignements ». Aussi, et bien que des informations ont déjà « fuité », ceux qui ont été mis en ligne n’ont pas été choisis par hasard… Cela étant, ils permettent d’avoir un aperçu de la vie interne d’al-Qaïda au cours de ces 5 dernières années.
Ainsi, le premier constat que l’on peut faire à la lecture de ces lettres est que Ben Laden avait du mal à imposer ses directives aux différents groupes jihadistes qui se réclament encore aujourd’hui du label « al-Qaïda » et l’on peut même se demander si le qualificatif de « franchise » qu’on leur a donné est finalement bien approprié.
En effet, il apparaît ainsi que le chef d’al-Qaïda « central » ne fut pas en mesure d’imposer à ces groupes ses vues en matière militaire et médiatiques, au point qu’il s’inquiétait de l’impact de leurs actions sur la popularité de l’organisation qu’il avait créée.
Par exemple, il leur demanda de mettre un terme aux attentats « domestiques » afin d’éviter de tuer des civils musulmans et de penser, plutôt, à s’en prendre aux intérêts américains. « Nous demandons à chaque émir dans les régions de faire extrêmement attention en contrôlant le travail militaire » et « d’annuler d’autres attaques en raison de victimes civiles inutiles possibles » peut-on lire dans les documents mis en ligne.
D’où ses rappels à l’ordre – pas toujours suivis – aux groupes jihadistes liés à son organisation, comme sa branche irakienne, à qui il reprochait ses attaques contre la communauté chiite.
Par ailleurs, Ben Laden n’approuvait pas la stratégie d’al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), visant à instaurer un Etat islamique au Yémen. Selon lui, cet objectif était trop ambitieux étant donné l’hostilité des tribus yéménites et le manque de soutien populaire.
Qui plus est, il ne semblait pas apprécier l’un des dirigeants de ce mouvement, l’imam de nationalité américaine Anwar al-Aulaqi (ndlr, tué par un drone US en septembre 2011), ni même les initiatives de ce dernier, le saoudien préférant les opérations suicides planfiées, comme celles du 11 septembre 2001, à l’action de « loups solitaires » telle que celle menée par le commandant Malik Nadal Hasan, un psychiatre de l’US Army « radicalisé » par le prêcheur réfugié au Yémen.
Quant aux miliciens Shebab, actifs en Somalie, ils firent l’objet de disputes entre Ben Laden et son lieutenant, Ayman al-Zawahiri. Bien que ces jihadistes somaliens lui prêtèrent allégeance en septembre 2009, le fondateur d’al-Qaïda leur reprochait leur mauvaise organisation ainsi que leur brutalité, là aussi, à l’égard des civils musulmans. « Si on vous le demande, il serait préférable de dire qu’il y a un lien mais qui se réduit à une simple fraternité islamique, et rien de plus » avait-il écrit.
Ces lettres montrent également les mauvaises relations entre le mouvement taleb pakistanais, le TTP, d’Hakimullah Mehsud, au point que les deux organisations faillirent en venir à une « confrontation directe et ouverte », notamment en cause des attaques contre les civils. Nul doute que la publication de ces documents visent à mettre de l’huile sur le feu entre les deux mouvements.
Faute de pouvoir donner des directives opérationnelles, Ben Laden avait donc plus un rôle de conseiller. Notamment avec al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), à qui il recommandait, quelques semaines avant sa mort, de ne pas tuer les otages français pendant l’intervention militaire en Libye et de les garder jusqu’à l’élection présidentielle.
En mai 2010, Ben Laden avait émis l’idée d’abattre l’avion du général Petraeus (alors chef de l’ISAF) et celui du président américain, le « chef des infidèles » lors d’une visite de ce dernier au Pakistan ou en Afghanistan. Il s’agissait alors de porter Joe Biden (le vice-président) à la Maison Blanche, l’estimant pas préparé pour de telles fonctions. Pour le défunt chef d’al-Qaïda, cela aurait conduit « les Etats-Unis dans une crise ». Pour cela, l’on apprend qu’il avait chargé un certain Shaykh Saïd de monter deux groupes, l’un au Pakistan, l’autre à Bagram, afin de surveiller le moindre indice d’une éventuelle arrivée et, le cas échéant, de passer à l’action.
Autre élément marquant, les documents montrent un Ben Laden ayant le souci du marketing, étant donné qu’il pensait à changer l’appellation d’al-Qaïda, qu’il jugeait pas assez « islamique ». « Ce nom ne permet pas faire savoir aux musulmans que nous le sommes et permet à l’ennemi de clamer de façon erronée qu’il n’est pas en guerre avec l’islam et les musulmans, mais qu’il est en guerre avec l’organisation Al-Qaïda » estimait-il alors.
Enfin, quelques jours avant le raid qui allait lui être fatal, évoquant le « printemps arabe », Ben Laden songeait à lancer une campagne médiatique pour inciter « ceux qui ne se sont pas encore révoltés à le faire, et de les encourager à se dresser contre leurs dirigeants et leurs méthodes ».
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