"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

17 avril 2012

11-Septembre : Le procès « parodie » du siècle pour les cinq accusés ?

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"La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique."
Et encore…




Compte tenu de l’annonce faite la semaine passée au sujet de la recevabilité de l’inculpation de Khalid Sheikh Mohammed et de ses quatre co-inculpés, les procédures concernant les dossiers du 11-Septembre de la commission militaire intermittente ont maintenant officiellement débuté. Les États-Unis demandent la peine de mort à l’encontre des cinq hommes qui sont accusés de crime de terrorisme, détournement, meurtre, complot, et d’avoir causé volontairement des blessures graves.


L’affaire a été appelée « Le procès du siècle »

Soixante-six pages sur les cent vingt trois du dossier sont consacrées à la longue liste des victimes du 11-Septembre, de la passagère Barbara Jean Arestegui, sur le vol 11 d’American Airlines, jusqu’à la passagère Honor Elizabeth Wainio, sur le vol 93 de United Airlines.

Dans ce dossier, les enjeux sont énormes ; les faits sont extrêmement émouvants, et les prévenus pourraient difficilement moins attirer la compassion. Khalid Sheikh Mohammed a déjà revendiqué sa responsabilité dans l’organisation des attaques, et les autres inculpés sont accusés d’avoir joué des rôles-clés dans leur organisation ou leur financement.

Pour que le verdict dans un dossier d’une telle importance et aussi médiatisé soit reconnu comme juste, le procès a besoin d’être perçu comme équitable. Les accusés doivent avoir accès à leurs droits fondamentaux dans les procédures avant de passer devant un tribunal indépendant et impartial.

Mais, tandis que des officiels états-uniens ont récemment chanté les louanges de l’équité des commissions militaires à Guantanamo, le gouvernement continue d’affirmer que les accusés n’avaient aucun droit constitutionnel avant les commissions. Bien que les règles qui gouvernent les procédures des commissions militaires se soient considérablement améliorées au fil des ans, la structure même de ces commissions reste en désaccord avec les principes d’indépendance et d’impartialité.

L’indépendance de la Justice face à la discipline militaire

Le travail habituel des magistrats dans les commissions militaires consiste à présider les cours martiales lorsqu’il s’agit de soldats états-uniens en service actif inculpés pour des crimes ou des délits au regard du Droit militaire. Comme l’explique le manuel des cours martiales, l’objet des procédures devant une cour militaire n’est pas seulement de rendre la justice, mais aussi « de participer au maintien de l’ordre et de la discipline dans les Forces armées [et] d’encourager le rendement et l’efficacité au sein de l’institution militaire. »

La différence avec les cours fédérales, où la justice est la finalité première et où l’indépendance judiciaire est associée à des garanties constitutionnelles rigoureuses, est que les procédures devant une cour militaire sont conçues pour satisfaire l’impératif de la discipline militaire. Les membres des commissions (lorsqu’elles sont réunies sous la forme d’un jury collégial) et les magistrats militaires qui les président, exercent tous dans le cadre de la chaîne de commandement militaire. Ils relèvent d’une autorité qui présuppose que tous ceux qui sont retenus à Guantanamo sont des ennemis, répondent à une hiérarchie dirigée à son plus haut niveau par le Président en tant que Commandant en Chef des Armées, et dépendent de leurs supérieurs hiérarchiques pour leurs promotions et l’avancement de leur carrière.

Les magistrats militaires ne bénéficient pas d’un statut permanent, et il n’existe pas d’arbitre indépendant appartenant à un organe équivalent du gouvernement (législatif, ou civil, par opposition à militaire). Contrairement aux magistrats fédéraux et aux jurys civils, les magistrats militaires et les membres des commissions militaires sont sélectionnés pour exercer leurs devoirs militaires, et non tirés au sort.

Avant même que cette mission difficile et controversée ne soit confiée aux commissions militaires, dans leur configuration actuelle, les failles de la justice militaire étaient déjà visibles. Des propositions ont été faites pour réformer ce système afin de renforcer l’indépendance des magistrats militaires vers plus de justice. Le rapport de la "Commission Cox" de 2001, par exemple, recommandait que les magistrats militaires se voient garantir davantage d’autorité et d’autonomie, et que le pouvoir du commandement militaire soit limité, à la manière des changements réalisés ces dernières décennies dans des pays tels que l’Australie, le Canada et l’Afrique du Sud.

Sans garanties significatives de leur indépendance, les magistrats et les jurys sont moins enclins à exercer la justice sans crainte ni favoritisme, ou à prendre des décisions impopulaires et sujettes à controverses.

Le premier procès du 11-Septembre

Compte tenu des doutes considérables qui pèsent sur l’indépendance et l’impartialité du tribunal, il est important de rappeler le cas du seul accusé, à cette heure, qui ait été poursuivi pour les attaques du 11-Septembre : Zacarias Moussaoui (ci-contre). Jugé par une cour fédérale de Virginie, Moussaoui a été condamné en 2006 à une peine de prison à vie sans possibilité de liberté conditionnelle pour son rôle dans le complot du 11-Septembre.

La Juge Leonie Brinkema, qui présidait le tribunal, a pris une série de décisions courageuses et controversées. Mécontente du refus de la CIA de permettre aux avocats de la défense d’interroger les détenus dont le témoignage aurait pu aider à la défense de Moussaoui, elle a pris des mesures radicales pour insister sur cette question. Moussaoui était aussi odieux, peu sympathique et politiquement néfaste qu’un accusé peut l’être, mais la Juge Brinkema a fait un effort constant pour lui assurer un droit à une réelle défense.

L’affaire Moussaoui souligne le pouvoir et l’humanité d’un jury civil. Bien que l’accusation ait visé la peine de mort, et ce, malgré la faiblesse des preuves impliquant Moussaoui dans le complot du 11-Septembre, le jury a voté pour une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Un seul juré aurait sauvé Moussaoui de la mort.

« Disparition », torture, détention illimitée, procès militaire

Depuis qu’ils sont détenus par les États-Unis, les cinq accusés de l’affaire du 11-Septembre en cours ont fait l’objet de toute une série d’abus : « disparition » (enlèvement), torture, détention illimitée dans des lieux secrets de la CIA, et maintenant à Guantanamo. Un procès irrégulier devant une commission militaire est probablement ce qu’ils espéraient de mieux. Mais ce n’est pas ce que nous devrions leur offrir.


Joanne Marinerm
Editorialiste de Justia, directrice du programme des Droits humains au Hunter’s College. Elle est une experte en droits de l’homme, contre-terrorisme et droit humanitaire international