"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

23 mars 2010

"The Power of Nightmares" : le pouvoir américain comme fabrique à cauchemars

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Autres temps, autres moeurs. En 2004, on se serait battu pour assister à 
la projection du film de Michael Moore, Fahrenheit 9/11. Cette année, 
c’est dans la plus petite salle du festival que l’on a visionné The 
Power of Nightmares ("Le Pouvoir des cauchemars"), documentaire du 
Britannique Adam Curtis, produit par la BBC. Ou comment des hommes 
politiques manipulent l’opinion au gré de cyniques numéros d’illusionnisme.

"Depuis que les gens ne croient plus aux rêves, et donc aux idéologues, 
dit Adam Curtis, nos gouvernants reprennent du pouvoir en nous assurant 
qu’ils nous protègent des cauchemars. Le pire d’entre eux serait le 
terrorisme international, censé opérer par un réseau de cellules 
éparpillées de par le monde. On veut nous protéger d’une terreur 
totalement virtuelle."

Il appartiendra aux spécialistes de se prononcer sur la démonstration 
d’Adam Curtis ­ délivrée par une voix off. Elle brocarde les Etats-Unis 
et l’Angleterre de Tony Blair. Elle mêle, sur fond de musique d’Ennio 
Morricone, des interviews de responsables politiques, spécialistes en 
stratégie ou membres de services de renseignements, à des archives 
d’actualités filmées. Nous sommes dans le droit fil de Michael Moore, 
mais de façon plus ironique que guignolesque, plus documentée aussi. 
Adam Curtis donne un fracassant cours d’histoire, appuyé par un montage 
dynamique d’images.

LES FORCES DU MAL

Deux hommes, sous la présidence d’Harry Truman, au début des années 
1950, seraient à la source des manipulations de l’opinion. L’Egyptien 
Sayyid Qutb, membre des Frères musulmans et adversaire du président 
égyptien Gamal Abdel Nasser, dont les idées auraient été reprises par 
Ayman Zawahiri, le mentor d’Oussama Ben Laden. Et le philosophe Leo 
Strauss, dont s’inspirent les néoconservateurs qui dominent aujourd’hui 
la Maison Blanche. Le premier a dénoncé la décadence des moeurs 
occidentales. Le second a élaboré le mythe d’une Amérique destinée à 
combattre les forces du Mal.

Les djihads islamiques n’ont cessé depuis de vouloir éliminer ceux 
qu’ils considéraient comme corrompus par l’Occident (dont le président 
égyptien Anouar Al-Sadate). Les républicains américains, de leur côté, 
se sont appuyés sur les activistes religieux pour mener leurs croisades 
morales, et sur une surévaluation de la menace soviétique assénée par 
Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz (anciens conseillers de Ronald Reagan) 
pour justifier leur propagande impérialiste.

C’est le moment fort du film. Adam Curtis veut démontrer comment les 
Américains, inlassables inventeurs de mythes, ont porté des accusations 
sans preuve à l’encontre de l’URSS (monstre qui aurait dirigé tous les 
mouvements terroristes de la planète, y compris l’IRA), puis de Saddam 
Hussein, et enfin d’un Ben Laden, qui ne serait, selon le film, qu’un 
banquier des djihads, n’aurait pas conçu les attentats du 11 Septembre, 
et dont la forteresse souterraine dans les montagnes de Tora Bora, en 
Afghanistan, serait une mystification.

Al-Qaida, nous explique Adam Curtis, n’a jamais existé. C’est une 
invention du ministère américain de la défense, tout comme les "cellules 
dormantes" implantées un peu partout dans le monde. Une cassette, que 
des prétendus terroristes arrêtés dans le cadre du Terrorism Act 
auraient tournée à Disneyland, est le prétexte à une discrète mise en 
boîte des services secrets.

Nous devrions voir en salles, à la rentrée, ce cours cinglant ­ textes 
et images ­ sur la façon dont des hommes sans foi ni loi "imaginent le 
pire au sujet d’une organisation -Al-Qaida- qui n’existe pas" . 
Film britannique d’Adam Curtis (2 h 37.)



Jean-Luc Douin