Aujourd’hui et près de quatre ans après, les images de cette terrible matinée restent gravées dans nos esprits : la femme avec son masque fantomatique pour grands brulés emmenée en lieu sûr, l’homme d’affaires en costume atteint par des éclats, la chemise et les cheveux maculés de sang, l’épave du bus N°30 avec son toit arraché , les débris difformes et fumants des wagons de métro.
Ce matin du 7 juillet 2005, les pires atrocités terroristes que ce pays ait connu ont brisé à jamais l’euphorie grisante dont jouissait la capitale au lendemain de sa victoire dans la compétition pour organiser les jeux olympiques de 2012.
Dans l’après-midi, Tony Blair (qui accueillait le sommet du G8 sur la pauvreté dans le monde à Gleneagles en Ecosse) rentra à Downing Street et déclara que l’attentat était un acte fait ‘au nom de l’Islam’.
Plus tard, lors d’une réunion du COBRA, le comité national d’urgence du gouvernement, Andy Hayman, chef de la police antiterroriste, indiqua à des ministres de haut rang qu’il soupçonnait des attentats suicide.
Et ainsi s’est constituée la version des attentats du 7/7 que nous en sommes venu à accepter : quatre musulmans britanniques (Mohammad Sidique Khan, 30 ans, Shehzad Tanweer, 22 ans, Jermaine Lindsay, 19 ans, et Hasib Hussain, 18 ans) se sont faits exploser au moyen d’explosifs artisanaux, tuant 56 personnes et en blessant 700 dans trois rames de métro et un autobus à impériale.
Ils étaient arrivés à King’s Cross Station en provenance de Luton, par une grande ligne ferroviaire, chacun portant un lourd sac à dos bourré d’explosifs.
Cette version des événements a été avalisée par les travaux d’une commission d’enquête parlementaire de haut niveau et d’un rapport du gouvernement, rendus tous deux publics en mai 2006, dix mois après les événements et basés sur 12 500 dépositions, l’examen par la police de 142 ordinateurs et de 6000 heures de bandes vidéo de caméras de surveillance.
Le rapport soulignait que les auteurs des attentats avaient agi de leur propre chef, fabriquant des explosifs en mélangeant de la farine pour chappattis à du peroxyde d’hydrogène dans la baignoire d’un appartement de Leeds dans le Yorkshire où tous quatre avaient leurs familles et leurs amis.
Le rapport concluait que les quatre poseurs de bombes musulmans n’étaient pas sous le contrôle d’un chef terroriste mais inspirés par l’idéologie d’al Qaïda apprise sur des sites internet extrémistes.
Mais les familles des personnes tuées et un nombre croissant de survivants du 7/7 affirment qu’il y a des incohérences et des erreurs grossières qui demandent explication dans la version officielle.
Et elles exigent une enquête publique complète pour répondre à des questions essentielles sur ce que les services de renseignements et la police savaient et ne savaient pas avant les attentats.
Entretemps, le refus déterminé du gouvernement à satisfaire cette exigence a eu de très dangereux effets secondaires alimentant une myriade de théories de la conspiration sur le 7/7.
Des livres, des blogs et plusieurs documentaires vidéo pointent les bizarreries de la version officielle.
Fait alarmant, certaines de ces vidéos conspirationnistes se vendent autour des mosquées dans tout le pays pour attiser les sentiments antibritanniques.
Car les plus farfelues et les plus déplaisantes d’entre elles suggèrent que les attentats n’étaient pas du tout l’œuvre de terroristes musulmans mais ont été réalisés par le gouvernement pour renforcer le soutien à la guerre en Irak. Les survivants sont si résolus à obtenir une enquête indépendante qu’ils sont en train de mener une action en justice auprès de la Haute Cour pour essayer de contraindre Alan Johnson, le ministre de l’intérieur, à l’autoriser.
L’activiste Diana Gorodi, dont la sœur Michelle Otto, 46 ans, figurait parmi les victimes, explique : ‘Il est simplement très difficile pour nous de croire que quatre personnes sont parties le matin, ont fait exploser des bombes simultanément sur la base d’informations obtenues sur internet et ont réussi à précipiter Londres dans le chaos et à créer une tragédie. Il m’est impossible de croire que ces quatre individus ont agi de leur propre chef.’
Rachel North, une responsable de stratégie âgée de 39 ans qui a survécu à l’explosion à King’s Cross, ajoute : ‘Nous avons besoin d’une enquête publique. Après tout, c’est la population, et pas les politiciens, qui a été attaquée. Que la population puisse savoir les risques qu’elle court et pourquoi des gens vivant dans son sein cherchent à tuer pour un idéal.’
La pièce centrale du puzzle est : quel train ont pris les quatre musulmans entre Luton et Londres le matin des explosions ? Il faut garder à l’esprit que les trois explosions distinctes dans le métro à Edgware Road, Aldgate et King’s Cross se sont produites simultanément à 8h50 du matin précisément, suivies par celle de l’autobus une heure plus tard près de Tavistock Square.
Les rapports officiels affirment que les poseurs de bombes ont pris le train de 7h40 à Luton, ce qui leur aurait permis d’arriver suffisamment à l’avance à King’s Cross pour embarquer dans les rames de métro. Cependant, le train de 7h40 n’a jamais circulé ce matin là. Son départ avait été annulé.
Depuis, le gouvernement a corrigé cette information mais seulement après que l’erreur ait été signalée par des survivants en affirmant que les poseurs de bombes avaient en fait pris le train précédent, le 7h25 au départ de Luton, pour un trajet de 35 minutes vers King’s Cross. Son arrivée était prévue dans la capitale à 8h du matin.
Ce qui génère pourtant plus de questions que de réponses. Car ce train est parti avec 23 minutes de retard à cause de problèmes de caténaires qui ont perturbé la plus grande partie du trafic entre Luton et King’s Cross ce matin là. Le train est arrivé à Londres à 8h23 indiquent les responsables de la gare.
Selon la July Seventh Truth Campaign une autre association qui appelle à une enquête publique ceci jette à nouveau le doute sur la version officielle des temps de trajet des poseurs de bombes.
Une image fixe des quatre poseurs de bombes arrivant en gare de Luton prise par une caméra de surveillance est la seule des quatre hommes vus ensemble ce 7 juillet. Fait sujet à controverse, aucune image de vidéosurveillance des quatre hommes à Londres, fixe ou animée, n’a jamais été rendue publique.
L’image prise à Luton est également litigieuse : sa qualité est médiocre et les visages de trois des poseurs de bombes sont impossibles à identifier. Les théoriciens de la conspiration affirment qu’il pourrait s’agir d’un faux. L’heure incrustée dans la photo la situe quelques secondes avant 7h22.
Mais si tel était le cas, les hommes n’auraient eu que trois minutes pour monter les escaliers de la gare de Luton, acheter leurs tickets aller-retour et se rendre sur le quai qui grouillait de banlieusards à cause de précédentes perturbations du trafic.
Le Truth Campaign Group est également sceptique sur l’heure d’arrivée supposée des poseurs de bombes à King’s Cross. Ils affirment qu’il faut sept minutes pour aller à pied de Thameslink à la gare principale de King’s Cross où se trouve une bouche de métro.
La police affirme que les quatre hommes ont été vus dans le hall de la gare principale de King’s Cross à 8h26, bien qu’aucune séquence de caméra de surveillance n’ait jamais été rendue publique.
Mais est-ce possible ? Comment ces hommes ont-ils pu se trouver là seulement trois minutes après avoir débarqué du train de Luton à 8h23 ?
Et ce sont de telles incohérences qui nourrissent des préoccupations de plus en plus profondes.
Cette semaine, un documentaire télévisé sur BBC2, intitulé Conspiracy Files 7/7 a révélé l’existence d’une vidéo de 56 minutes appelée Ripple Effect [effet ricochet] et réalisée par un théoricien du complot.
Elle accuse Tony Blair, le gouvernement, la police et les services secrets britanniques et israéliens d’avoir assassiné les gens innocents qui ont péri ce jour là pour attiser les passions anti-islamiques et créer un soutien populaire à la ‘guerre contre la terreur.’
Elle prétend que les quatre musulmans britanniques ont été bernés par les autorités pour prendre part à ce qui leur avait été annoncé comme une simulation dans le cadre d’un exercice d’entrainement anti-terroriste. Ce qu’on ne leur avait pas dit, prétend la vidéo, c’était que le gouvernement allait les faire sauter avec les autres passagers avant de faire passer les quatre hommes pour des auteurs d’attentats suicide.
Sans aucune preuve, la vidéo Ripple Effect accuse des agents du gouvernement d’avoir pré-positionné des explosifs sous les trois rames de métro et dans l’autobus.
Elle suggère qu’en fait les quatre musulmans ne se trouvaient dans aucune des rames de métro, affirmant qu’ils les avaient complètement ratés à cause des retards sur la ligne ferroviaire Luton Londres.
Elle ajoute, fait étonnant, qu’étant donné que les quatre hommes ne sont pas arrivés à temps dans le métro, trois d’entre eux ont été assassinés plus tard das la matinée par la police à Canary Wharf et que le quatrième celui de l’autobus s’est enfui. Aussi scandaleuses que soient ces affirmations, la vidéo est devenue un hit sur internet. Plus préoccupant, elle joue sur les peurs de la communauté musulmane britannique.
Même certains responsables islamistes croient que les événements du 7/7 ont été fabriqués. Ainsi, le Dr Mohammad Nassim, président de la mosquée centrale de Birmingham, affirme dans le documentaire de la BBC2 : "Nous n’acceptons pas la version gouvernementale sur le 7 juillet 2005. La vidéo Ripple Effect est plus convaincante que les déclarations officielles."
M. Nassim, un homme bien éduqué, a réalisé 2 000 copies de Ripple Effect pour les membres de sa mosquée. Une étude a révélé qu’avant même la sortie de la vidéo litigieuse, un britannique musulman sur quatre pensait que le gouvernement ou les services secrets étaient responsables des atrocités du 7/7. Maintenant, le nombre de ceux qui doutent s’accroit.
Au cours de récentes prières du vendredi, le Dr Nassim a demandé aux fidèles de lever la main s’ils n’acceptaient pas la version gouvernementale des événements. C’est une assemblée presque complète de 150 hommes et garçons qui a levé la main. Il a alors invité son auditoire à récupérer des copies de Ripple Effect au fond de la mosquée.
Le respecté président a depuis déclaré que les identités des poseurs de bombes avaient été découvertes par la police avec une rapidité suspecte. "Quand un corps explose, il est détruit. Comment se fait-il que les papiers d’identité de ces hommes furent retrouvés intacts sur les scènes d’explosion ? Les y avait-on placés ?"
C’est une autre suggestion de Ripple Effect.
Alors qui est derrière cette vidéo dangereuse ?
C’est un sexagénaire originaire du Yorkshire, Anthony John Hill, et qui réside à Kells dans le comté de Meath en Irlande. Il est actuellement en état d’arrestation là bas et lutte contre son extradition en Grande Bretagne. La police ici veut l’interroger sous l’accusation d’entrave au cours de la justice pour avoir envoyé une copie de sa vidéo à un membre du jury dans une affaire terroriste.
M. Hill a réalisé Ripple Effect dans son propre domicile et en est le narrateur.
A de nombreux titres, c’est un travail d’amateur : les propos sont confus et difficiles à comprendre. Mais cela soulève une question : pourquoi Ripple Effect a-t-il un tel impact ?
La réponse est qu’au milieu de théories fantaisistes sur un complot gouvernemental se trouvent certaines questions difficiles à éluder.
Pourquoi les quatre poseurs de bombes avaient-ils pris des billets de retour s’ils partaient pour une mission suicide ? Pourquoi n’y a-t’il pas d’images de vidéosurveillance des quatre hommes ensemble à Londres alors que la ville fourmille de caméras de ce genre dans les lieux publics ?
Pourquoi tant de survivants des attentats du métro affirment que les déflagrations allaient vers le haut à travers le plancher des wagons et non pas vers le bas comme ça aurait dû être le cas si l’explosion venait de l’intérieur d’un sac à dos ? Et pourquoi aucun passager du train Luton – Londres ne se souvient-il pas clairement des quatre poseurs de bombes avec leurs énormes sacs à dos en cette matinée fatidique ?
Par une coïncidence des plus extraordinaires (Ripple Effect considère qu’il y a une chance sur un milliard que ça puisse arriver), un exercice simulé de lutte antiterroriste était en cours à Londres ce jour là. Ceci a été révélé sur BBC Radio 5 par son organisateur, l’ancien officier de Scotland Yard Peter Power, dans la soirée qui a suivi les atrocités.
Il a dit : "A 9h30 ce matin, nous menions un exercice pour le compte d’une entreprise employant plus d’un millier de personnes à Londres, et basé sur le déclenchement simultané de bombes précisément dans les gares où cela s’est passé ce matin, alors j’en ai encore les cheveux qui se dressent sur la tête."
Et les vidéos menaçantes que Khan et Tanweer ont faites avant les attentats suicide et qui ont été diffusées après les attaques ? La vidéo Ripple Effect a également une réponse sur ce point.
M. Hill y explique : "On a pu demander au plus âgé des deux de faire une « vidéo suicide » pour l’entrainement, avant l’exercice de simulation, pour faire en sorte de le rendre aussi réaliste que possible… on a pu demander au deuxième plus âgé de faire une vidéo similaire par précaution, simplement au cas où quelque chose aurait cloché ou au cas où le plus âgé se serait retiré de l’exercice avant la date prévue."
Réalité ou fiction, peu importe. La vidéo a un fort impact sur les sentiments des musulmans. Le documentaire de la BBC2 montre des fidèles de la mosquée de Birmingham faisant leurs commentaires sur le 7/7 après avoir visionné Ripple Effect. Un homme âgé déclare : "Il n’y a guère de doutes que c’est le gouvernement qui l’a fait lui-même à ces quatre jeunes hommes."
Un autre ajoute : "Nous avons été trompés par les autorités britanniques et les musulmans ont été pointés du doigt pour ces attentats. Ils mentent de A à Z."
Mais peu sont aussi inquiets que Rachel North, à propos de Ripple Effect et du mécontentement qu’il agite. Survivante de l’explosion du métro à King’s Cross elle dit : "Si les gens dans les mosquées croient que le gouvernement est si hostile à leur égard, qu’il veut réellement leur faire porter la responsabilité d’un crime monstrueux qu’ils n’ont pas commis, qu’en est-il du niveau de confiance ? C’est un problème pour tout le monde dans ce pays."
Elle affirme que la thèse centrale de la vidéo (que les attentats du 7/7 ont été fabriqués pour diaboliser les musulmans et faire basculer l’opinion en faveur de la ‘guerre contre la terreur’) revient à mettre de l’huile sur le feu. Comme elle, de nombreuses personnes responsables (dont l’ancien sous-chef de Scotland Yard Brian Paddick, l’ancien chef de l’anti-terrorisme de la police londonienne, Andy Hayman, qui avait supervisé l’action de la police le 7/7, et David Davis, encore récemment ministre de l’intérieur du cabinet fantôme conservateur) soutiennent désormais l’appel à une enquête indépendante sur les attentats.
Paddick lui-même a déclaré cette semaine que le flot de rumeurs sur le 7/7 nuisait aux relations entre les musulmans et le reste des britanniques : "J’espère qu’il y aura des gens dans les services de police, dans les services de sécurité et au gouvernement qui réaliseront l’importance de toutes les actions entreprises pour contrer les théories du complot."
A l’approche du quatrième anniversaire des attentats de Londres mardi prochain, il y a des paroles dont le gouvernement serait bien avisé de tenir compte.
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Sue Reid