La directive, signée lundi par le Secrétaire délégué à la Défense Gordon England, est une composante d’une restructuration plus générale du rôle des militaires, alors que la menace de combats de grande envergure contre les armées d’autres nations s’est atténuée et que d’obscurs acteurs non gouvernementaux, tels que les terroristes qui s’en prennent aux populations civiles, ont créé de nouveaux dangers.
« Les États-Unis ont une supériorité considérable en termes d’armement conventionnel… et de plus en plus d’adversaires ont compris qu’il vaut mieux nous affronter de manière asymétrique », a déclaré Michale G. Vickers, le Secrétaire assistant à la Défense pour les Opérations spéciales et conflits de faible intensité et les Forces interdépendantes, qui est l’un des principaux auteurs de cette directive.
Conçue pour institutionnaliser les leçons apprises par l’armée -souvent douloureusement- en Afghanistan et en Irak depuis 2001, cette directive a pour but de préparer les militaires aux conflits futurs les plus probables, et d’éviter le genre d’erreurs commises lors de la période qui a suivi la guerre du Vietnam, lorsque des compétences anti-insurrectionnelles chèrement acquises ont été totalement perdues.
Le Secrétaire à la Défense Robert M. Gates a opéré un lobbying sans relâche pour arriver à ses fins.
« Voyez où nos forces ont été envoyées pour prendre part à des engagements durant les 40 et quelques dernières années: au Vietnam, au Liban, à Grenade, à Panama, en Somalie, à Haïti, en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan, en Irak, dans la Corne de l’Afrique et ailleurs, » a déclaré R.Gates dans un discours récent à l’université de la Défense nationale. « En fait, la première guerre du Golfe est un cas isolé de conflit plus ou moins conventionnel, au milieu de plus de deux générations d’engagement militaire constant ».
R.Gates a prévenu que dans un futur proche, les plus grandes menaces pour les États-Unis ne seraient pas les agressions par d’autres pays, mais viendraient plutôt de groupes d’insurrections ou terroristes dans des États faibles ou défaillants. « Nous ne pouvons pas nous permettre de nous défiler du fait qu’ils ne se conforment pas à notre notion de "l’American way of war" » a-t-il déclaré.
La nouvelle directive de 12 pages stipule que la guerre irrégulière est « stratégiquement aussi importante que la guerre conventionnelle. »
Définie comme « une lutte violente entre des acteurs étatiques et non étatiques pour la légitimité et l’influence sur la(les) population(s) concernée(s), » la guerre irrégulière « privilégie les approches indirectes et asymétriques…afin d’éroder la puissance de l’adversaire, son influence et sa volonté, » explique la directive.
Une des idées maitresses en est que les troupes étatsuniennes seront moins souvent amenées à combattre directement, et davantage à aider des forces étrangères de sécurité ou militaires à augmenter leurs capacités.
En effet, Vickers explique que selon lui, le principal moyen pour que le Pentagone conduise ses opérations de guerre irrégulière sera un réseau mondial -déjà en cours d’implémentation- constitué de militaires étatsuniens ou étrangers et d’autres personnes du gouvernement, dans une multitude de pays avec lesquels les États-Unis ne sont pas en guerre. Le réseau est conçu pour conduire des opérations de contre-terrorisme "en continu". La directive nécessite aussi que le Pentagone développe des capacités pour entreprendre des campagnes irrégulières de grande envergure, telles que celles en Irak ou en Afghanistan.
L’objectif de ce réseau est ambitieux, a déclaré Vickers dans un discours récent: « il s’agit de créer une présence permanente contre nos adversaires…et de les étouffer avec le temps. »
La directive « devrait avoir un gros impact sur les ressources aussi bien que sur la planification militaire », a déclaré Vickers.
« En particulier, la guerre irrégulière nécessitant plus de main-d’œuvre, elle va certainement drainer davantage de ressources dédiées aux compétences telles que l’apprentissage des langues ou le conseil aux militaires étrangers dans l’entraînement des corps de l’armée de Terre et de la Marine » dit-il.
La directive soutient aussi une croissance continue dans les forces d’Opérations spéciales — des troupes d’élite telles que les Bérets verts de l’armée, capables de travailler en partenariat avec des forces étrangères, et des agents spécialisés en « affaires civiles » qui participent à la construction de la Nation.
Du fait que la guerre irrégulière sera vraisemblablement menée par les forces des Opérations spéciales, la directive demande au Commandement des Opérations spéciales étatsuniennes basé à Tampa, de « développer les capacités d’étendre l’accès des USA aux régions qui leur sont interdites et aux zones troubles en opérant avec ou au travers de forces indigènes étrangères, ou bien en menant des opérations de faible visibilité. »
En termes d’équipement, la directive soutient « l’accroissement du renseignement, des capacités d’espionnage et de surveillance, ainsi que celui des moyens aériens permettant de mener cette guerre irrégulière, » dit Vickers.
Ann Scott Tyson
rédactrice au Washington Post