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La direction du pôle audiovisuel public extérieur de la France a signifié son licenciement à Richard Labévière, rédacteur-en-chef à Radio France Internationale (RFI). Cette décision soulève une tempête dans l’audiovisuel public, mais aussi aux Affaires étrangères et à la Défense, tant elle semble motivée par des considérations exclusivement politiques.
Selon la direction, le comportement de M. Labévière aurait soudain brusquement changé. Le rédacteur-en-chef aurait pris des initiatives incontrôlées plaçant sa radio dans l’embarras. Ainsi, il aurait interviewé à Damas le président syrien Bachar El-Assad et aurait diffusé ce long entretien sans en référer à sa hiérarchie.
De leur côté, les avocats de l’intéressé exhibent des correspondances attestant que cette interview avait été approuvée par la direction. Ils notent que le président El-Assad, après avoir été persona non grata en France, était quelques jours plus tard l’invité du président Sarkozy au sommet de la Méditerranée et au défilé du 14-Juillet. L’initiative était donc conforme à l’évolution de la politique étrangère française dont RFI et TV5-Monde doivent se faire l’écho. Ils observent également que cette évolution à été voulue par le président de la République contre l’avis de son ministre, Bernard Kouchner. Or, la directrice de l’information de l’audiovisuel extérieur qui a prononcé le licenciement n’est autre que la propre épouse du ministre, Christine Ockrent.
Vu la précipitation avec laquelle Richard Labévière a été révoqué, malgré le statut très protégé de sa fonction, chacun comprend qu’un enjeu important se cache derrière cette décision.
Dans une période où le président de la République pousse à de multiples réformes de l’audiovisuel public et supervise personnellement la politisation des grands médias détenus par ses amis, l’affaire inquiète les professionnels. Les journalistes du services public qui avaient dénoncé la nomination népotique de Mme Ockrent-Kouchner, en violation des statuts de l’entreprise publique, craignent que ce licenciement préfigure celui des non-sarkozystes à l’occasion de la fusion de RFI, de France 24, et de la composante française de TV5-Monde.
Mais l’affaire dépasse le cadre des médias.
Les diplomates s’inquiètent aussi du sens de ce licenciement. En effet, l’épouse de Richard Labévière, Anne Gazeau-Secret, n’est autre que l’ancienne directrice de cabinet de Bernard Kouchner (en 1991), devenue directrice générale de la coopération internationale et du développement au ministère des Affaires étrangères. Elle y dirige plus de 7 000 personnes. Or, c’est une des haut fonctionnaires les plus en pointe dans la contestation de la réforme du Quai d’Orsay, initiée par Bernard Kouchner, qui vise à rationaliser les services diplomatiques en les intégrant dans un réseau d’abord européen, puis atlantique.
En outre, Richard Labévière n’est pas uniquement rédacteur-en-chef à RFI. Il est aussi officier de réserve de la marine nationale, expert dans divers cénacles militaires, et rédacteur-en-chef de la revue des anciens de l’Institut des hautes études de la défense nationale. Il est l’auteur d’ouvrages documentés, étudiés dans les écoles de guerre, mettant en évidence le financement par les États-Unis et l’Arabie saoudite du prétendu terrorisme « islamique ». Il va jusqu’à écrire qu’ « Al-Qaïda n’existe pas » [2] en tant qu’organisation, que l’on a tort de donner un nom générique à une constellation d’individus et de groupuscules autonomes. Il explique que ce terrorisme est une « invention » des États-Unis et de l’Arabie saoudite qui l’instrumentent et le financent. Surtout, Richard Labévière est un des rares journalistes à rendre compte du point de vue du courant gaulliste au sein « la Grande muette ». Une tendance aujourd’hui mise à écart, comme on l’a vu avec la placardisation de Jean-Claude Cousseran (ancien directeur de la DGSE) ou la démission du général Bruno Cuche (ancien chef d’état-major de l’armée de terre), tous opposés à l’intégration des armées françaises dans l’état-major de l’OTAN.
C’est pourquoi le licenciement de Richard Labévière n’illustre probablement pas uniquement une politisation du service public de l’audiovisuel, mais aussi une politisation des ministères des Affaires étrangères et de la Défense.
Egger Ph.