"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

7 mai 2012

Khalid Sheikh Mohammed (KSM): l’ex-procureur militaire dénonce son procès


Morris Davis déclare que valider des preuves à partir de la torture signifie que le monde entier ne considérera jamais les procès de Guantanamo Bay comme justes.

L’ancien procureur en chef américain à Guantanamo Bay a dénoncé le procès militaire de Khalid Sheikh Mohammed (KSM, ci-dessous à droite), le cerveau présumé des attentats du 11-Septembre censé apparaitre en cour de Justice à Guantanamo Bay [ce] samedi, en disant qu’il s’agissait avant tout d’empêcher la défense de soumettre les preuves de tortures.

Morris Davis (ci-dessous), un ancien colonel qui était Procureur en chef lorsque KSM fut emprisonné à Guantanamo en 2006, a déclaré que les commissions militaires seront fortement discréditées par l’utilisation de témoignages obtenus par simulations de noyades (Waterboarding) et d’autres techniques avancées d’interrogatoires utilisées sur l’accusé.

Mohammed et ses quatre co-accusés – Ramzi bin al-Shibh, Ali Abd al-Aziz Ali, Mustafa Ahmed al-Hawsawi et Walid bin Attash – doivent comparaitre lors d’une audition centrée sur les chefs d’accusation devant une commission militaire et répondre de 2976 actes d’assassinat pour chacune des victimes décédées le 11-Septembre, de terrorisme, de détournement d’avion, de complot et de destruction de propriété. Le procureur veut requérir la peine capitale pour l’ensemble des accusés.

Morris Davis qui démissionna à cause de cette affaire, voulait que Barack Obama s’engage personnellement à transférer les procès devant une cour civile plus ouverte, et a déclaré que les partisans des tribunaux militaires avaient eu gain de cause en grande partie parce que la règle de la preuve empêchait la défense de donner des descriptions détaillées sur la manière dont ils avaient été torturés, ainsi que d’autres informations sensibles telles que les détails du programme de détentions secrètes de la CIA ou ceux concernant la coopération de certains pays étrangers comme la Grande-Bretagne dans leur capture et leurs interrogatoires.

"En vérité, les raisons pour lesquelles les pro-commissions poussent pour l’option de deuxième choix des Commissions militaires, sont liées à ce que nous avons fait à ces détenus, et non à ce qu’ils nous ont fait," a-t-il déclaré au Guardian. "Si vous creusez le pourquoi, il y a un seul argument en faveur des Commissions militaires, et c’est vraiment les mauvais traitements infligés aux détenus, – cela concerne un nombre assez réduit de personnes pendant une courte période, mais à cause de ce que la plupart des gens appelleraient de la torture, cela rend le challenge de plaider ces affaires devant nos cours civiles encore plus difficile."

D’autres juristes militaires confirmés se sont opposés aux procès [militaires], y compris le contre-amiral Donald Guter, ancien Procureur général de la Navy, qui a parlé de "cirque" à propos des commissions de Guantanamo.

Deuxième procès pour Khalid Sheikh Mohammed

L’audition de ce week-end constitue la seconde tentative de juger Mohammed. Lors d’une audition similaire en 2008, il avait tenté de plaider coupable, en déclarant vouloir être condamné à mourir en martyr, mais la Cour suprême des Etats-Unis invalida ensuite les règles d’obtention des preuves et le procès fut ajourné.

A l’époque, Mohammed avait déclaré : « Après la torture, ils nous ont transférés à "Inquisition Land" à Guantanamo. »

Obama arriva au pouvoir l’année suivante, promettant de démanteler les tribunaux militaires et de fermer la prison de Guantanamo parce qu’ils étaient "un symbole qui aidait al-Qaïda à recruter des terroristes pour sa cause," mais le Congrès bloqua l’initiative.

Le Président supervisa d’importants changements dans la conduite des procès militaires y compris de nouvelles règles qui interdisent que des aveux sous la torture soient utilisés contre leur auteur, mais les déclarations des autres [accusés] qui ont été torturés peuvent être exploitées, ce qui permet d’utiliser les interrogatoires des cinq accusés les uns contre les autres.

Le règlement des tribunaux militaires interdit aussi d’évoquer la torture et d’autres informations sensibles qui pourraient l’être devant une cour civile. Le public et la presse sont maintenus derrière un miroir sans tain à Guantanamo, et les échanges qu’ils entendent sont soumis à un décalage de 40 secondes afin que la censure puisse bloquer des témoignages que le gouvernement ne veut pas rendre publics.

Les cinq accusés ont été détenus par la CIA pendant plusieurs années sans aucune possibilité de communiquer, et l’Agence a soumis KSM au Waterboarding pas moins de 183 fois. D’autres formes de torture utilisées contre les hommes et couvertes légalement par l’administration Bush, comprenaient l’obligation de rester nu debout pendant des jours, des passages à tabac, des projections contre des murs, des menaces de viol, et la privation de sommeil.

La Croix-Rouge internationale a décrit ces conditions comme induisant "des blessures et souffrances sévères à la fois mentales et physiques, dans le but d’obtenir une collaboration et d’extraire des informations."

Les associations des Droits de l’Homme ont également critiqué les tribunaux de Guantanamo car l’armée y sélectionne le juge et le jury, qui est constitué d’hommes et de femmes servant dans les forces qui combattent al-Qaïda. L’accusation a un contrôle considérable sur l’accès des avocats de la défense aux preuves, et elle a le pouvoir d’obliger les témoins à comparaitre.

Davis prévoit que les procès vont être discrédités aux yeux du monde entier ou presque.

Il a déclaré : "Ma préoccupation majeure est que nous avalisons par là ce procédé de second rang, et qu’à l’avenir, si l’on inverse les rôles, si un GI ou un citoyen américain est poursuivi en justice selon une procédure de seconde zone quelque part dans le monde, nous ne pourrons plus faire valoir l’argument moral selon lequel ce n’est pas adapté."

"En janvier, il y a eu un citoyen américain, Amir Hekmati, condamné à mort par une cour iranienne. Victoria Nuland, qui travailla au département d’Etat (Ndt. Ministère des Affaires étrangères) a condamné le verdict lors d’une conférence de presse et a déclaré que la procédure n’était pas la même que celle réservée aux citoyens iraniens, qu’il y avait une procédure secrète, des preuves [obtenues par] la coercition, et une défense inadaptée. Je l’écoute parler, et je me prends à penser que cela ressemble atrocement aux Commissions militaires de Guantanamo. Je trouve que nous abandonnons complètement le droit de formuler des objections lorsque d’autres personnes font ce que nous faisons."
 
Les avocats des accusés sont sceptiques


Le procès fait face à un barrage de critiques de la part d’autres instances. Kenneth Roth, le directeur de Human Rights Watch, a déclaré que ce procès n’avait aucune crédibilité.

Il a déclaré que "les victimes des attaques horribles du 11/9 [avaient] droit à la justice, mais que passer par un tribunal autorisant les preuves [obtenues sous] la contrainte ne sera jamais considéré comme un procédé équitable... En agissant ainsi, le Président Obama a à la fois compromis les espoirs d’un procès équitable, et sapé l’enquête sur les pratiques lors d’interrogatoires pendant la présidence Bush". C’est un cadeau fait aux recruteurs de terroristes, et un risque pour notre sécurité".

L’administration US a défendu les Commissions reconfigurées en déclarant qu’elles étaient bien plus ouvertes qu’auparavant, notamment du fait qu’elles permettent désormais aux accusés de bénéficier des avocats civils. Le nouveau règlement offre aussi une protection contre l’auto-accusation, les lois rétroactives, la double inculpation, et introduit un droit d’appel.

Le procureur général militaire, le général de brigade Mark Martins, a instamment demandé aux mécontents de laisser une chance aux tribunaux [militaires].

Il a déclaré à l’école de droit d’Harvard l’an passé : "Si les observateurs veulent bien se retenir de juger pendant quelque temps, le système qu’ils observeront prouvera de lui-même qu’il est digne de la confiance du public."

Mais certains avocats des accusés sont sceptiques.

Le commandant Walter Ruiz, un avocat militaire d’Al Hawsawi, a déclaré : "Vous aurez beau enfourcher une mule à 5 dollars en l’équipant d’une selle à 10 000 dollars et en la baptisant réformée, …vous aurez toujours une mule à 5 dollars. Elle aura juste une selle aguichante."

"Nous avons fait foirer cette procédure depuis si longtemps".


Morris Davis était Procureur militaire en chef au moment où Khalid Sheikh Mohammed est arrivé à Guantanamo fin 2006.

Il a déclaré : "Ce type est si arrogant que nous avons pensé en plaisantant accuser son co-détenu comme éligible à la peine capitale mais pas lui. Nous avons pensé que cela exalterait le mal en lui pour le faire sortir, qu’il pense que quelqu’un était plus important que lui. Cela l’offenserait tellement que quelqu’un soit condamné à mort, mais pas lui, qu’il y ait plus gros bonnet que lui." (1)

"C’est ce qu’il veut. Il veut être un martyr. Son procès est sa dernière chance de s’exprimer et de s’adresser au monde, il veut ensuite être exécuté et devenir un martyr. Mon point de vue est, pourquoi devrions-nous lui donner ce qu’il veut ? Son idée de l’enfer deviendrait alors une vie longue et en bonne santé, donc complètement absurde."

Mais un an plus tard, Davis a déclaré qu’il s’opposait désormais aux Commissions militaires, car on avait fait pression sur lui pour qu’il exploite des preuves obtenues sous la torture.

Il a dit : "Pendant presque deux ans, j’ai été le principal défenseur des Commissions militaires et de Guantanamo. J’ai vraiment cru que nous étions destinés à rendre une justice entière, équitable et transparente."

Davis a déclaré qu’à l’origine il avait été décidé qu’aucune déclaration entachée de torture ne serait utilisée, mais que des changements au sein de la hiérarchie supérieure avaient conduit à un changement de politique.

Il ajoute : "Mon chef direct, qui a été nommé en 2007, se présenta pour me dire : Le Président Bush a déclaré que nous ne torturons pas, donc si le Président le dit, qui êtes-vous pour dire le contraire ? Nous avons toutes ces informations obtenues en utilisant ces techniques, donc servez-vous en."

"C’est vraiment ironique. Lorsque KSM fut inculpé en 2008, il déclara qu’il voulait plaider coupable, il voulait s’exprimer et dire ce qu’il avait fait, et il voulait être exécuté et devenir un martyr de sa cause. En face, vous avez l’accusation qui veut le condamner pour ce qu’il a fait, établir les faits, puis l’exécuter pour ces faits. Les deux parties sont d’accord sur ce qu’elles veulent faire. Alors la question est de savoir comment y parvenir. Nous avons foutu en l’air la procédure depuis si longtemps que je ne pense pas qu’il existe une solution pour réhabiliter la légitimité d’une Commission militaire là où le monde s’apprête à l’examiner, et déclarer que c’est une procédure crédible et équitable."

Chris McGreal

Note de la traduction :

(1) Nous ne pouvons nous empêcher de lire cette déclaration à la lumière de la remarque en début d’article: "Le Président supervisa d’importants changements dans la conduite des procès militaires y compris de nouvelles règles qui interdisent que des aveux sous la torture soient utilisés contre leur auteur, mais les déclarations des autres qui ont été torturés peuvent être exploitées, ce qui permet d’utiliser les interrogatoires des cinq accusés les uns contre les autres."