"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

12 octobre 2010

11/9 : le facteur iranien

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La frontière iranienne avec l’Afghanistan est une région sauvage et désolée aux cahutes de briques en terre des éleveurs de chèvres, le lieu idéal pour le franchissement de la frontière de l’opium illicite – et des terroristes. Mais la région est loin d’être un no man’s land. Le renseignement américain estime que dans la lointaine Téhéran, les religieux islamistes purs et durs qui exercent désormais un contrôle presque total sur l’Iran, ont demandé à leurs gardes-frontières d’aider les djihadistes en provenance d’Afghanistan. A un moment donné, entre Octobre 2000 et février 2001, selon le rapport final de la Commission sur le 11/9, huit à dix des pirates de l’air "musclés" du complot du 11-Septembre figuraient parmi ceux qui ont bénéficié de cette bonne amitié iranienne.

Cette conclusion – la meilleure preuve jusqu’ici d’une relation entre l’Iran et al-Qaïda – est l’une des découvertes les plus surprenantes issues du rapport de la commission qui doit paraitre cette semaine. Selon une note de décembre 2001 enfouie dans les fichiers de l’Agence de sécurité nationale obtenus par la Commission, les responsables iraniens ont demandé à leurs inspecteurs frontaliers de ne pas apposer de tampon iranien ou afghan sur les passeports des terroristes d’Arabie Saoudite provenant des camps d’entraînement d’Oussama Ben Laden en Iran. Ces passeports "propres" ont sans aucun doute aidé les terroristes du 11/9 à passer aux États-Unis sans alerter les douanes américaines et les agents des visas, rapportent à Newsweek des sources qui connaissant le rapport.

Le rapport de la Commission du 11/9 souligne qu’il n’existe aucune preuve suggérant que les responsables iraniens avaient une connaissance préalable du complot du 11 Septembre. Pourtant, le rapport soulève de nouvelles questions plus nettes, à savoir si l’administration Bush s’est axée sur le bon ennemi lorsqu’elle a décidé de renverser Saddam Hussein. La note de la NSA s’ajoute à une accumulation importante de renseignements indiquant que l’Iran a eu plus de liens suspects avec al-Qaïda que l’Irak n’en a eu. Parmi ceux qui avaient eu une base en Iran: Abou Moussab al-Zarqaoui, aujourd’hui le terroriste présumé n° 1 en Irak. En attendant, la commission a constaté qu’il n’y avait pas relation "de collaboration, opérationnelle" entre l’Irak et al-Qaïda.

Le rapport sur le 11/9 est susceptible de stimuler certains faucons de l’administration qui ont longtemps cherché à durcir la ligne des Etats-Unis contre l’Iran, un membre de "l’Axe du Mal" qui a moins retenu l’attention. Mais les responsables de l’administration Bush insistent sur le fait que le lien iranien avec Al-Qaïda n’a jamais été clair. Ils soulignent également un changement d’attitude de Téhéran depuis le 11/9. Les responsables iraniens affirment qu’ils ont "expulsé ou rapatrié" un grand nombre de partisans de Ben Laden, et samedi dernier, le chef du renseignement du pays, Ali Yunesi, a annoncé de nouvelles arrestations. Pourtant, d’autres suspects d’al-Qaïda comme le fils de Ben Laden, Saad, et Saif Al-Adel, ayant été le chef de la sécurité d’al-Qaïda, ainsi que huit autres, sont toujours censés se trouver en Iran, peut-être en détention préventive pour être utilisés comme levier lors de futurs pourparlers États-Unis – Iran. Selon différents rapports du renseignement, les suspects d’al-Qaïda se cachent toujours le long de la frontière afghane. "Nous n’avons tout simplement pas de bons renseignements sur ce qui se passe en Iran", a déclaré un haut responsable du renseignement américain. C’est particulièrement vrai depuis que le Congrès national irakien aurait prévenu des responsables iraniens après l’invasion de l’Irak que l’intelligence des États-Unis épiait leurs conversations. Selon des responsables américains, cela a abouti à une terrible perte des moyens de surveillance.

Toutes ces questions sans réponse rendent ce rapport de la Commission sur le 11/9 de plus de 500 pages – qui se voulait être un dossier sur le complot du 11-Septembre – plus approprié que jamais sur la future guerre contre le terrorisme. Exhaustivement documenté, le rapport est décrit comme une lecture retentissante et une critique cinglante contre les performances de la CIA, du FBI, de la Federal Aviation Administration et d’une foule d’autres organismes. Afin de rectifier de telles défaillances, le rapport recommande la création d’une direction nationale du renseignement qui serait un «tsar de l’intelligence» sous l’autorité budgétaire de l’ensemble de la communauté du renseignement américain. Mais certains fonctionnaires de l’administration et du renseignement se moquent déjà de ce projet comme faisant partie de la boîte à projets de l’administration.

Le rapport sur le 11/9 est voué à être repris par les partisans en quête de munitions politiques contre les administrations Clinton et Bush. Le rapport critique à la fois l’incapacité à répondre à l’attentat contre l’USS Cole au large des côtes du Yémen en octobre 2000, en particulier à la lumière des multiples exposés du renseignement désignant avec force la complicité d’al-Qaïda. Parmi les autres nouvelles révélations : Bill Clinton a également reçu un fort avertissement que Ben Laden voulait détourner des avions. Newsweek a appris que, le 4 décembre 1998, on avait présenté à Clinton le President’s Daily Brief (NdT : le PDB est un document confidentiel remis chaque matin au Président) au titre accrocheur "Ben Laden se prépare à détourner des avions U.S. et à d’autres attaques". Le PDB, qui vient d’être déclassifié, est issu d’un rapport du renseignement britannique concernant le fils de l’égyptien " Le Cheikh aveugle" Omar Abdel-Rahman – reconnu coupable d’un complot visant à faire exploser la zone de New York – qui avait l’intention de détourner des avions et de rançonner les passagers en échange de la libération de son père. Les fonctionnaires sous Clinton disent qu’ils ont réagi agressivement en plaçant les aéroports de New York en état d’alerte maximale, mais aucune preuve n’a jamais pu établir si le complot était réel.

Curieusement, la même information réapparut 20 mois plus tard, le 6 août 2001, dans le PDB présenté au président George W. Bush, "Ben Laden déterminé à frapper aux Etats-Unis". Un responsable de la Maison Blanche a suggéré que l’existence du premier PDB est la preuve que le président Bush n’a jamais été correctement informé sur toute l’importance de la menace al-Qaïda par l’équipe Clinton sortante. "On ne nous a jamais informés de cela", a déclaré le responsable à propos du PDB de 1998. Les fonctionnaires de Clinton rejettent ceci, disant que le timing du déclassement est sans doute une tentative pour désamorcer les critiques disant que Bush porte la responsabilité principale pour n’avoir su éviter le 11/9.

Plus gravement, ce que le nouveau rapport sur le 11/9 met en évidence, c’est que durant presque trois ans de guerre contre le terrorisme, l’Amérique est encore loin de comprendre l’ennemi. Washington semble moins en mesure de forcer Téhéran à changer d’attitude, en particulier depuis que Bush a éliminé l’une des principales menaces au régime des mollahs, Saddam Hussein, et qu’il est maintenant embourbé en Irak. Comme un responsable d’Intel l’a déclaré avant la guerre en Irak : "Les Iraniens sont chatouillés par notre concentration sur l’Irak."

Toutes ces questions ont pris une nouvelle urgence alors que les fonctionnaires de Bush mettent en garde contre de nouveaux attentats. Malgré les récentes représentations sur Ben Laden comme étant un homme traqué et en fuite, les responsables américains du contre-terrorisme disent maintenant que la menace d’Al-Qaïda aujourd’hui peut être tout aussi grave qu’à l’été 2001. Les avertissements sont basés sur le renseignement d’une haute qualité inhabituelle émanant de la frontière afghano-pakistanaise, près du Waziristan, où se cacheraient les hauts dirigeants d’al-Qaïda. "C’est absolument vrai", a déclaré un haut responsable antiterroriste américain. "Nous sommes persuadés qu’ils vont nous attaquer à l’intérieur des États-Unis avant l’élection et que certains opérateurs sont déjà là." Mais tout comme avec les attentats du 9 / 11, les responsables sont incapables de savoir en quoi consiste ce complot, qui sont les comploteurs, comment ils sont arrivés ici et qui les a aidés à venir.

Michael Isikoff
Michael Hirsh