"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

24 février 2010

Le monde d’aujourd’hui se divise en deux catégories : les Confiants et les Désenchantés.

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L’écrivain et auteur de science-fiction italien Robert Quaglia
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Depuis quelques années, je suis systématiquement attaqué par des gens visiblement frappés d’hallucinations, qui m’accusent plus ou moins explicitement d’être un “complotiste”. Alors, mettons les choses au clair dès maintenant : bien que ce mot semble exister, il n’a aucun lien significatif avec notre monde réel. Je dis “semble exister”, car dans le dictionnaire Zingarelli [équivalent du Larousse – NdT] on ne le trouve pas. Pas même dans le Gabrielli. Le correcteur orthographique de mon éditeur de texte me le souligne en rouge – pour lui non plus ce mot n’existe pas. Pendant des milliers d’années, il n’y a jamais eu de “complotiste”, tant et si bien que le mot n’existait pas. Et puis est survenu le 11 Septembre – et comme on n’arrête pas de nous le répéter à toutes les sauces – rien n’est plus comme avant. Même au sens linguistique.

Donc, maintenant, le mot “complotiste” existe, sorte de néologisme du 21e siècle. Et pour les gens qui l’utilisent, il signifie “celui qui voit des complots partout”. Autrement dit, une espèce de paranoïaque, ou encore mieux, un paranoïaque d’opérette, une espèce de visionnaire louche dont on peut se moquer à volonté avec une morgue gonflée d’un ridicule sentiment de supériorité.

En effet, il existait déjà un vocable pour représenter ce sens, à savoir “comploteur”. Le fait que personne ne le connaisse en dit long sur l’influence historique des “comploteurs” en ce qui nous concerne. En outre, le sens principal du verbe “comploter ” est : “qui fomente des complots, des conspirations, des intrigues”. En somme, il y a une certaine confusion autour de ce thème.

Le vrai problème se trouve à la racine. C’est le mot “complot” qui s’adapte mal aux discussions sur le 11-Septembre, ou sur l’origine anthropogénique [artificielle –NdT] des nouveaux virus dont on nous rebat les oreilles aux journaux télévisés, ou sur la véracité ou non des expéditions sur la Lune et sur tant d’autres faits de plus en plus remis en question.

Citons le dictionnaire Gabrielli : “Complot : conspiration, intrigue, machination, entente secrète à fins malveillantes. Un complot contre l’État, un complot pour mutinerie Aussi dans un sens moins grave. Un complot entre élèves pour se moquer de l’un d’eux”.

Le sens qui apparaît est celui d’une intrigue entre quelques individus – c’est-à-dire quelque chose de très différent de la stratégie complexe des grandes nations et de ce qu’on appelle les grands pouvoirs. Une nation planifie et agit, elle ne complote pas. Le complot se fait du bas vers le haut des hiérarchies, et non de haut en bas. L’autre élément qui n’a rien à voir [avec le 11/9 – NdT] est la consonance négative implicite du mot “complot”. Les complots sont intrinsèquement malveillants. Je me rends compte que nombreux sont ceux qui ne parviennent pas à raisonner si ce n’est en termes de Bien et de Mal, mais quand il s’agit d’examiner les mobiles des actions des grandes nations et/ou des grandes forces au pouvoir, les catégories du Bien et du Mal entrent bien peu en jeu, voire même pas du tout. A ce niveau-là, le Bien et le Mal sont seulement des instruments de marketing très bien adaptés au grand public, bien que n’ayant que très peu de liens avec la réalité des mobiles. Celui qui vole une pomme finira peut-être en prison, mais la grande nation qui attaque militairement une plus petite en violant les lois internationales qu’elle a elle-même contribué à formuler ne sera pas sanctionnée. Au contraire, son leader sera éventuellement récompensé par le Prix Nobel de la Paix, et lors de son discours de remise de Prix, il pourra s’exhiber en faisant une élégante apologie de la guerre, recueillant des applaudissements mérités. Le Bien et le Mal se mélangent ici de façon surréaliste justement parce qu’au-delà des conventions utiles à la vie en société, en réalité, ils n’existent pas. Mais les conventions sociales, utiles aux individus pour la vie en société, s’appliquent mal aux grandes forces qui font l’Histoire.

Les États-Unis bombarderont l’Afghanistan tant qu’ils le voudront et le pourront, et c’est simplement l’Histoire du monde – ce n’est pas un complot, ni la conséquence d’un complot.
Pourquoi le 11 Septembre, qui fut invoqué pour justifier la guerre en Afghanistan, n’est pas un “complot” ? Ce fut une opération militaire extrêmement complexe au service d’une stratégie plus vaste et à plus long terme encore que ne l’ont envisagé les millions de nouveaux “complotistes”. Et le juger en termes de Bien et de Mal (comme cela se fait pour les complots) peut seulement nous permettre de nous sentir pieux et bons, et dignes de récompenses célestes, mais a peu d’impact, voire aucun, sur la réalité des événements. Les Américains ne font pas la guerre en Afghanistan parce qu’ils sont méchants. Ils la font parce qu’ils peuvent la faire et qu’ils pensent que cela leur est utile. Il est possible qu’ils se trompent (Hitler et Mussolini, en leur temps, se trompèrent dans leurs calculs, et il ne fait aucun doute que la guerre ne leur apporta pas tous les résultats escomptés), ou bien qu’ils aient raison, seul l’avenir le dira.
Il nous faut mettre tout cela au clair pour nous libérer une bonne fois pour toutes du mythe des “complots”, à la base des néologismes horribles et trompeurs que sont “complotisme” et “complotiste”.

Au niveau des agissements des grandes nations et des grands pouvoirs, les complots n’existent pas. On y trouve au contraire des stratégies élaborées, complexes, des opérations militaires sophistiquées et des “psyops” ou opérations de guerre psychologique.

Le projet ultra-secret “Manhattan”, par lequel les États-Unis développèrent durant la Seconde Guerre mondiale la première bombe atomique, n’était pas un complot.

Les attentats terroristes “sous fausse bannière” (= perpétrés sous de fausses apparences pour pouvoir en accuser l’ennemi et justifier ainsi sa propre réaction) tellement à la mode de nos jours, l’hypothèse selon laquelle les nouveaux virus de la grippe sont créés en laboratoire, le contrôle désormais presque total des grands médias, tout cela n’a absolument rien à voir avec la notion de “complot”. Lorsque les nazis et les fascistes contrôlaient toute la presse en Allemagne et en Italie, ce n’était pas le fruit d’un “complot”. Ils la contrôlaient, un point c’est tout ! Alors arrêtons de nous jeter ce mot à la figure ! On nous l’a imprimé de force dans nos cervelles pour rajouter à la confusion ; eh bien qu’il aille se faire voir ailleurs !

Paradoxalement, le plus éclatant complot digne de ce nom est justement celui théorisé par la version officielle du gouvernement états-unien sur les événements du 11-Septembre. Dites-moi un peu si ce n’est pas un complot exemplaire : un petit groupe d’individus très malveillants (les 19 pirates de l’air), entraînés dans une caverne afghane par l’actuel chef du Spectre…euh, je voulais dire d’al-Qaida (excusez le lapsus, j’étais habitué à ce que les bases secrètes dans les grottes de pays exotiques soient celles des ennemis de James Bond, et servent uniquement à exploser en immenses feux d’artifice pour faire comprendre au spectateur que le film est sur le point de s’achever), complotent pour attaquer par surprise le pays le plus puissant du monde, le 11 septembre 2001, dans le but de lui donner une bonne leçon. Voilà, ça c’est ce qu’on peut appeler un complot, tel que le définit le dictionnaire de la langue italienne. Et si on voulait utiliser à tout prix l’horrible vocable “complotiste”, il faudrait conclure que les seuls vrais “complotistes” sont en réalité ceux qui soutiennent la version officielle du gouvernement américain sur les faits du 11-Septembre. Rappelons-nous que “complotiste” signifierait “ceux qui voient des complots partout”, et il me semble que la répétition incessante, depuis des années, de messages alarmistes à propos de “cellules dormantes d’al-Qaida” qui seraient prêtes à passer à l’action et à nous attaquer, même si cela ne se produit pratiquement jamais (et lorsque cela se produit, une analyse rapide amène immédiatement à soupçonner une opération “sous fausse bannière”), cela correspond assez bien à “voir des complots partout”. Sans parler du fait de fouiller pendant des années tous les voyageurs qui, dans les aéroports, prennent l’avion en toute innocence pour partir en vacances, sans jamais en attraper un seul – je dis bien un seul – qui cherche à embarquer dans un avion pour le détourner, cela me paraît là aussi correspondre à “voir des complots partout”. Si pendant toutes ces années des millions et des millions de perquisitions systématiques dans tous les aéroports n’ont jamais permis de bloquer un seul terroriste qui voulait s’en prendre à un avion de ligne, alors que, dans le même temps, il a été démontré qu’avec un minimum d’ingéniosité on pouvait amener des armes en céramique à bord (un journaliste de La Repubblica l’a fait), une personne normale dotée de logique parviendrait à la conclusion évidente qu’il n’y a tout simplement personne au monde qui ait envie de foutre le bordel dans un avion de ligne. Seuls ceux qui insistent pour “voir des complots partout” continueraient à fouiller encore des millions de passagers, les brimant au moyen d’interdictions absurdes d’amener à bord dentifrice, crèmes et parfums pour la peau avec lesquels ils affirment qu’il est possible de confectionner des bombes dans les toilettes d’un avion. S’il existe un “complotiste”, c’est indiscutablement celui qui projette sur les autres cette étiquette de merde [désolé, c’est encore pire en italien – NdT]. [Note de l’auteur : à peine ai-je rédigé cet article que la nouvelle est tombée à propos de cet idiot qui a embarqué dans un vol à destination des États-Unis avec un paquet d’explosifs caché entre les parties génitales. Que ceux qui se laissent impressionner par une telle mise en scène, bien évidemment destinée à aller bombarder le Yémen, commencent par aller voir et lire l’opinion de Webster Tarpley sur le sujet.]

Je ne m’étends pas davantage sur ce thème parce que d’autres sur la Toile l’ont déjà fait avec suffisamment d’élégance et d’arguments pertinents. (Ceux que ça intéresse peuvent approfondir en cliquant ici, ou ici, mais même ici ça ne fait pas de mal).[ Articles en italien non - encore - traduits en français - NdT]

Maintenant que nous avons écrabouillé ce mot “complotiste”, que nous reste-t-il ?

Il reste une grande, une immense division parmi les personnes qui composent la société occidentale. Autrefois, les divisions au sein de la civilisation occidentale s’appelaient “lutte des classes” et la séparation était représentée par une métaphore spatiale, la répartition du cadre politique en “droite” et “gauche”. Ce monde-là n’existe plus, même si certains ont encore des hallucinations. Dans l’ensemble du monde occidental, il n’existe plus de “droite” et de “gauche” politique, au-delà d’une simulation théâtrale par ailleurs de moins en moins crédible, et d’une différence objective anthropologique entre qui “se sent” de droite et qui de gauche. Non. La séparation béante qui est en train de se former au sein de la société occidentale est entre ceux qui ont cessé de croire plus ou moins aveuglément aux informations concoctées par le circuit orthodoxe des médias, et ceux qui, au contraire, continuent d’y croire. C’est là un schisme important, puisqu’il conduit à deux conceptions mentales du monde extraordinairement différentes, à des années-lumière l’une de l’autre. C’est donc un phénomène profondément idéologique. Et personne ne l’a encore décrit comme tel. Sur le plan intellectuel, on répète fort justement que les idéologies sont mortes. Les anciennes. Mais personne ne parle des nouvelles. Tous taisent ce récent, profond et irrévocable schisme des critères avec lesquels les gens forment leurs propres modèles de réalité.

Nous pourrons, pour le moment, appeler ces deux factions les “Confiants” et les “Désenchantés”.

Jusqu’à quelques années en arrière, nous étions tous plus ou moins “Confiants” ; dans notre esprit, ce que nous racontaient les journaux TV ou la presse collait assez fidèlement à la réalité. Nous avions conscience que les informations pouvaient être partiellement manipulées ou censurées, mais nous avions une certaine foi en ceci, que le gros de l’information qui nous atteignait avait une “masse critique” de réalité et que, donc, parmi les inévitables mensonges, ils nous communiquaient quelque chose d’utile et d’important sur les faits de ce monde.

Ce système a littéralement volé en éclats avec les dix premières années d’Internet, et à cause justement d’Internet.

Même si le bruit de fond sur Internet a grandi au point de rendre problématique la recherche de ce qui peut effectivement nous intéresser, la Toile a malgré tout permis à tous les individus qui dénichent dans le Village Global une information méconnue, mais importante, ou qui parviennent à élaborer des raisonnements brillants sur des thèmes critiques, de les partager avec tous ceux que cela intéresse de par le monde. Historiquement, les époques “magiques” de la culture humaine durant lesquelles l’intellect humain a donné naissance à d’inoubliables foisonnements de génies – la culture grecque, la culture latine, la Renaissance, le Siècle des Lumières, etc.… – ne furent pas le fruit de l’action de quelques individus brillants, mais bien le résultat d’un phénomène de résonance créative au cours duquel le génie et la créativité de l’un catalysent le génie et la créativité de l’autre, et ainsi de suite, dans un enchaînement admirable d’interactions positives qui élèvent l’intellect de tous. Mais il était nécessaire que les sujets concernés par ce processus partagent un même espace physique peu étendu, sinon comment auraient-ils pu se rencontrer et interagir de façon profitable ?

Aujourd’hui, Internet a augmenté les possibilités de ce processus de résonance créative en éliminant le problème de la distance physique entre les acteurs, qui même en se trouvant aux antipodes les uns des autres, peuvent partager de la même façon une sorte d’espace mental, rendant ainsi possible l’apparition de véritables groupes disséminés qui s’échangent régulièrement des informations et développent des modèles de réalité communs.

Et c’est ce processus de résonance créative sur Internet qui a généré une nouvelle catégorie du genre humain : les Désenchantés.

Pendant que les Confiants continuent imperturbablement d’alimenter innocemment l’essence de leur savoir depuis le tube cathodique adoré et parfois dans les titres des journaux qui depuis des dizaines d’années leur tiennent compagnie au petit-déjeuner, les Désenchantés, eux, ont l’impression d’avoir été chassés de l’Eden de l’information “mainstream” des soi-disant vérités auxquelles ils ne parviennent plus à croire.

Pour le Confiant, la vie est plutôt simple : le processus de compréhension et de filtrage de l’information sur les événements du monde est délégué aux journaux télévisés et à sa presse préférée, ce qui lui épargne la fatigue, la perte de temps et le stress de devoir distinguer les informations importantes de celles fallacieuses ou insignifiantes.

Pour le Désenchanté, à l’inverse, les choses se compliquent. Même si Internet véhicule aujourd’hui des informations infiniment plus significatives que les vieux médias, la Toile ne contient pas que cela. À côté d’informations importantes et d’analyses brillantes, on trouve aussi sur Internet une quantité infinie de conneries. De surcroît, les informations utiles sont parfois mélangées aux conneries, et il faut une certaine habileté pour réussir à les extraire et en faire bon usage.

Et puisque le cerveau humain a une forte tendance à généraliser, nombreux sont ceux qui, de la catégorie des Désenchantés, passent à celle des Confiants inconditionnels de toutes les bizarreries qu’ils trouvent sur Internet. Ceci explique pourquoi beaucoup de Désenchantés, après avoir cessé de croire dans les médias traditionnels, finissent tristement par prendre pour argent comptant les vantardises de personnes comme David Icke (selon lequel nous sommes tous gouvernés par des hybrides d’aliens reptiliens qui ont fusionné leur ADN avec les puissants de la Terre voilà plus de 1000 ans). En effet, des individus comme Icke ne sont pas le fruit du hasard, ils existent précisément pour attirer les nouveaux Désenchantés et les transformer en une nouvelle catégorie de Confiants inoffensifs. C’est aussi comme cela que le vieux système se défend. Icke est seulement un parfait exemple, mais la liste des faux prophètes est longue. Tout Désenchanté qui se respecte devrait dresser sa propre liste noire de faux prophètes dont les révélations ne doivent pas être prises au sérieux. (Au milieu de grosses bêtises, les faux prophètes mélangent aussi de vraies informations, sinon qui se laisserait séduire par eux ?). Ce n’est pas un hasard si les Nouveaux Confiants du Faux Prophète sont fiers de se reconnaître dans l’étiquette de “complotiste” que ceux plus perspicaces considèrent comme nettement insultante. En somme, cocus et content de l’être !

Sans en arriver à ces extrémités, il est normal que toute personne ayant perdu confiance dans l’information mainstream traverse une phase pendant laquelle elle tend à croire le contraire de ce que l’autorité traîtresse lui communique. Croire le contraire est différent de ne plus croire, et peut conduire à des erreurs grossières. Un exemple emblématique apparu dans les faits divers est celui de ce psychopathe qui a lancé une statuette sur le visage de Berlusconi. Sur Internet, une marée de Désenchantés a immédiatement rempli les forums de discussion, convaincus que tout cet épisode, pourtant bien visible sur les images télé, était une arnaque.

Le sang ? Du jus de tomate. La statuette du Duomo ? Elle l’a à peine effleuré. Certains ont même avancé l’hypothèse que la vidéo de la scène avait été manipulée numériquement. De fait, expliquent-ils, qui en a tiré un avantage politique ? Berlusconi. Et donc, comme nous l’a appris le cas du 11-Septembre, tout cela signifie qu’il a lui-même organisé cet auto-attentat. Et nous voilà devant un cas typique de Désenchantés qui, plutôt que de se limiter au scepticisme et à la question de savoir si ce qui nous est montré correspond à la vérité (et dans ce cas, la réponse est oui, car les choses se sont tout simplement déroulées comme cela), ils tombent dans le panneau de croire le contraire de la version officielle, prenant ainsi une déculottée mémorable. Car de temps en temps, malheureusement, les choses arrivent vraiment comme elles nous sont rapportées. Mais durant son parcours d’émancipation, le Désenchanté est comme un enfant qui traverse sa phase du « non », et son refus de tout ce qui lui parvient de l’autorité est absolu et total. Il est humain que ce type de phénomène survienne, après tout, de la même façon que l’enfant doit franchir cette phase du « non », l’adulte Désenchanté lui aussi doit se libérer de ce nouvel « esclavage ». Car si auparavant c’était un esclave prêt à croire tout ce qu’on lui racontait, c’est maintenant un esclave porté à croire le contraire de ce qu’on lui dit. Mais c’est toujours un esclave. Esclave de l’irréalité. Le Désenchanté doit parvenir à choisir la vision de la réalité la plus plausible, la plus probable, et chaque fois, de manière critique et pondérée. Et les idées préconçues ne l’aident pas dans ce processus.

Si le cheminement des Désenchantés vers une meilleure compréhension du monde est semé d’embûches, celui des Confiants vers une toujours plus mauvaise compréhension du monde se heurte à quelques obstacles épineux.

Les Confiants ne se posent pas la question de savoir pourquoi le nombre de Désenchantés augmente. Ils se demandent simplement pourquoi on trouve toujours plus de « complotistes », mais la curiosité, intellectuelle seulement en apparence, est en réalité du même ordre que celle de celui qui se demande pourquoi tout d’un coup il y a autant de mouches qui viennent le déranger. L’objectif n’est pas de comprendre l’écologie complexe de la mouche, mais bien de s’en débarrasser.

La BBC et le Time ont tenté d’expliquer à leurs lecteurs Confiants pourquoi le monde autour d’eux se remplissait de tous ces complotistes. L’équilibre du temps de parole impose de se poser aussi la question inverse.

L’interrogation qui tourmente fatalement tout Désenchanté est la suivante : comment tous ces gens font-ils pour rester Confiants ? La réponse a de multiples facettes. Ceux qui s’alimentent en informations au travers de la télévision et éventuellement des journaux sportifs ou « people » vivent dans une sorte de monde illusoire tout à fait stable, un vrai Truman Show de masse à l’épreuve des bombes, le Meilleur des Mondes prophétisé par Aldous Huxley voilà plus d’un demi-siècle. Même ceux qui font un pas de plus en avant et lisent les pages non sportives des journaux restent confinés dans une version édulcorée de la réalité. Ils demeurent convaincus que les journaux (du moins, ceux qu’ils lisent) sont plus ou moins libres d’écrire ce qu’ils veulent, puisque nous vivons en démocratie, et non dans une dictature. Et jusque-là, ils ne se trompent pas. Leur erreur monumentale est sur l’estimation du « plus ou moins ». Ce que les journaux leur cachent est d’une portée si vaste que leur perception de la réalité en est déformée de façon catastrophique (la mystification par le silence sur les événements du 11-Septembre en est un exemple emblématique). Cette catégorie de Confiants est généralement plus radicale dans ses opinions erronées que celle des Confiants « simplistes » qui, de fait, ne lisent pas. La conviction d’être correctement informé agit avec force contre la possibilité de découvrir que telle ou telle croyance est infondée et cela renforce la résistance à admettre qu’ils ont gaspillé toutes ces années de leur vie à se faire embobiner sur des thèmes cruciaux, par des médias en qui ils avaient toute confiance. L’humiliation d’admettre avoir été aussi stupide est proprement insupportable pour celui qui se croit intelligent. Et celui qui n’a pas la force d’avaler une telle couleuvre demeure un Confiant indécrottable.

[…] Le foisonnement créatif entre les personnes qui collaborent sur Internet dans le but de comprendre ce qui se passe dans le monde au-delà de ce qu’en rapportent les médias traditionnels est un phénomène extraordinaire qui trouve son équivalent seulement dans les principales révolutions culturelles du passé. Les grands journaux s’opposent à ce processus, mais en continuant de mentir sur les grands événements du monde, ils perdent constamment leur autorité, et de plus en plus de lecteurs Désenchantés les abandonnent. Le tirage des journaux baisse régulièrement et fortement en Occident. Une partie des lecteurs désorientés se rabattent sur les versions en ligne des journaux traditionnels. Mais s’il leur est permis de formuler des commentaires sur les articles, alors que le journal tente d’imposer d’évidentes contre-vérités (surtout à propos de la fictive « guerre contre la terreur »), on retrouve alors la partie « commentaires » pleine d’informations que le journal à censurées ou déformées. On touche ainsi au grotesque sublime : au-delà des apparences, c’est le flux d’informations qui s’inverse, et les lecteurs communiquent à l’auteur de l’article ce qu’il a oublié d’écrire. Jamais dans l’Histoire ne s’était produite une chose pareille.

L’univers d’Internet a donc modifié en profondeur le paradigme de la circulation de l’information. Et beaucoup de « Confiants » ont du mal à s’habituer à ce nouveau paradigme.

Avant l’Internet, les choses étaient plus faciles. Pas la peine de trop réfléchir. Les informations nous parvenaient de sources « d’autorité » comme les télévisions et la presse écrite, et même si les opinions exprimées étaient divergentes, il demeurait une certaine cohérence dans les faits relatés. S’il y avait une guerre, on disait qu’il y avait une guerre. Ou à la limite, une Mission de Paix, le synonyme hypocrite de plus en plus en vogue depuis que l’Occident a adopté la « nov-langue » d’Orwell. Pour rester informé, il suffisait alors de croire ce que l’on entendait ou lisait.

Mais depuis qu’Internet a multiplié à l’infini les « sources » d’information, on a découvert que les faits sont souvent dramatiquement différents de ce que nous en rapportaient les médias traditionnels. Cependant, sur Internet, toutes les sources ne sont pas fiables. Il y en a tout simplement trop pour qu’elles puissent toutes être dignes de foi. Croire ce qu’on entend ou ce qu’on lit ne suffit plus. Il faut réfléchir. Discerner. Extraire. En plus du travail intellectuel, cela nécessite du temps et de l’attention. Pris par les vicissitudes quotidiennes, nombreux sont ceux qui n’en ont pas suffisamment. Et pour éviter de bouleverser leurs certitudes et leurs habitudes, ils restent Confiants envers l’ancien système. À court terme, c’est indubitablement plus pratique.

La tendance à croire les sources réputées « autorisées » ou « d’autorité » est un processus vieux comme la nature humaine. L’origine de cette caractéristique est complexe et il faudrait lui consacrer un livre entier pour tenter de l’expliquer. Mais on peut sans doute en extraire l’essence en prenant un exemple. L’écrivain Giulio Cesare Giaccobe a connu un succès considérable avec ses livres psychologiques destinés au grand public. Le principal problème que rencontrent les gens – illustré par l’exemple de Giacobbe – est l’incapacité à évoluer vers un individu psychologiquement adulte. À l’intérieur de la plupart d’entre nous se cache l’enfant casse-couilles qui exige d’avoir toujours ses parents à disposition pour résoudre ses problèmes. Un enfant, par nature, n’est pas « responsable » (et la Loi le stipule clairement). Une partie de cette « irresponsabilité » perdure toute notre vie et est à l’origine de désastres à n’en plus finir. Dans le cas présent, le désastre qui nous intéresse est celui de la confiance que nous nous obstinons à accorder à une autorité dont il a déjà maintes fois été démontré qu’elle nous mentait. Les parents peuvent nous raconter mille balivernes, si nous sommes un enfant, la confiance envers eux ne disparaît pas (jusqu’au moment où, éventuellement, elle s’écroule totalement, après quoi nous croyons tout le contraire de ce que les « traîtres », parents, journaux, etc. nous communiquent – cette perte totale de confiance nous sert donc bien peu si nous restons psychologiquement des enfants).

De nombreux Confiants ont eu accès, de façon bénéfique, à l’information alternative disponible sur Internet. Ils ont pu vérifier de leurs yeux que les « Journaux et Télévisions faisant Autorité », à certaines occasions et non des moindres, leur ont menti. Mais souvent, leur confiance n’en est pas altérée. Un cas exemplaire est celui de la crise économique en cours. Annoncée depuis plusieurs années déjà par les Cassandres « complotistes » sur Internet, elle a, malgré tout, pris au dépourvu des millions de personnes quand, en septembre 2008, est survenu l’un des pires effondrements des Marchés de mémoire d’homme. Pourtant, jusqu’en juillet 2008, les journaux faisant « autorité » dans lesquels les Confiants puisent leur ration quotidienne de réalité suggéraient que dès septembre on assisterait à une reprise des Marchés. Au même moment, sur Internet, apparaissaient déjà les dates probables de l’effondrement : septembre.

Deux mois plus tard, avec une grande ponctualité, les économies de millions et de millions de personnes se volatilisaient, à la plus grande stupeur des Confiants. Aujourd’hui, un an après les faits, ces mêmes journaux qui mentirent à l’époque nous promettent qu’ « on verra une reprise en 2010 ou 2011 ». Et que font les Confiants, déjà trahis (et donc cocus) par leurs journaux faisant « autorité » en 2008 ? Ils y croient, évidemment ! Cocus et prêts à recommencer au plus vite. Malgré toutes les sottises que nous racontent nos parents, si nous voulons rester des enfants, il faut continuer à croire ce qu’ils nous disent (paradoxalement, on les croit aussi lorsque la confiance trahie se transforme en haine, puisqu’on adhère alors au contraire de ce qu’ils nous disent)

En fin de compte, le vrai problème n’est pas de dépasser la confiance aveugle mise dans l’autorité vue comme un parent, mais bien de devenir psychologiquement adulte de manière à pouvoir se passer de ce substitut institutionnel des parents. Je m’explique : comme vous le savez sans doute, il existe aux États-Unis un mouvement populaire, présent aussi dans d’autres pays occidentaux, qui demande haut et fort une nouvelle enquête sur les événements du 11-Septembre. Mais à qui est-il demandé de conduire cette enquête ? Eh bien aux mêmes qui auraient organisé le 11-Septembre, naturellement (pas exactement aux mêmes individus, mais le sens est celui-là). Comment est-ce possible ? Vous dites que le 11-Septembre a été organisé par le gouvernement et ensuite vous demandez à ce même gouvernement d’investiguer ? C’est comme un enfant qui, une fois convaincu que son père lui a volé de l’argent, demande à ce même père d’ouvrir une commission d’enquête sur le vol, pour enquêter sur lui-même. Qu’espère obtenir l’enfant ? Quelles que soient ses nobles attentes, la seule chose qu’il récoltera sera une gifle magistrale. Le pouvoir n’enquête pas sur lui-même. Ou s’il le fait, il fait semblant. Lui demander de le faire est une réaction puérile exactement comme l’exemple de l’enfant casse-couilles qui embête son père voleur. On voit dans cet exemple comment beaucoup de Confiants devenus Désenchantés restent malgré tout psychologiquement des enfants (et donc intrinsèquement des Confiants) qui demandent à l’autorité malveillante et traîtresse de redevenir celle qu’ils croyaient bonne et honnête – autrement dit, ils demandent à cette autorité d’apprendre à mieux leur mentir, à mieux faire semblant d’être une bonne autorité (les faux procès tristement célèbres contre des boucs-émissaires servent exactement à cela), de façon à ce qu’ils puissent de nouveau revenir dans le monde des Confiants dont ils ont été chassés à grands coups de pieds au cul, et dont ils gardent une grande nostalgie. Tout ceci est plutôt pathétique et risible. Quand tu constates que les choses ne vont pas comme tu voudrais, tu as le choix : soit tu fais en sorte d’exercer toi-même le pouvoir que selon toi d’autres exercent mal (approche « révolutionnaire »), soit tu te satisfais juste du fait de comprendre (approche « philosophique »). Se lamenter est puéril, et si dans la vie civile tu n’es plus un enfant, c’en devient pathétique.

Comme dit plus haut, les raisons pour lesquelles tant de personnes restent des Confiants sont nombreuses. Nos modèles de réalité se réduisent fondamentalement à des narrations que nous avons élaborées pour nous-mêmes, et que nous nous répétons de temps en temps, en fonction des besoins. Plus nous aurons investi de temps et d’énergie à l’élaboration d’une telle narration intérieure, moins nous serons prêts à jeter cet investissement pour une narration alternative, peu importe qu’elle soit meilleure. C’est aussi pour cette raison que plus on vieillit, moins on est disposé à changer d’avis. L’investissement des années durant dans nos propres narrations est tout simplement trop important pour pouvoir y renoncer. On s’attache à ses propres idées comme à ses enfants (par ailleurs, tous deux sont des reproductions, les enfants reproduisent les gènes, les idées imitent les « mêmes » [NdT : attention, « mêmes » est pris ici dans le sens de l’unité culturelle définie par la mémétique – NdT] – lire à ce propos Il Gene Egoista de Dawkins)

Beaucoup de Confiants cheminent au bord de la perte de confiance. J’en ai rencontré un certain nombre qui, face à des arguments forts, vacillent un instant, s’assombrissent, semblent être convaincus et laissent échapper que si je dis la vérité, alors ils ne pourraient plus (ou ne voudraient plus) vivre dans un monde aussi dégoûtant. Et le lendemain, leur esprit est de nouveau débarrassé des doutes et confortablement réfugié dans la placide morgue des Confiants.

Mais on peut aussi décider intentionnellement de rester Confiant, si l’on est assez sage. Durant les dernières années de sa vie, le grand écrivain américain Robert Sheckley fut un de mes proches amis. Ensemble, nous avons parcouru l’Europe de long en large et discuté de beaucoup de choses. En septembre 2004, alors que j’écrivais mon livre “Il Mito dell’11 Settembre“, nous nous rendîmes à un salon du livre à Saint Petersbourg, et je ne résistai pas à la tentation de connaître son opinion sur les événements du 11-Septembre. Pour des raisons évidentes, j’avais ce thème souvent en tête à l’époque. L’opinion de Sheckley se révéla très conventionnelle, ce qui me surprit, car Sheckley disposait d’un esprit bien peu conventionnel. Je formulai quelques phrases dans la direction que vous imaginerez facilement, et tout se passa alors très vite. Il me jeta un regard malicieux et fit une moue amusée et soupçonneuse. Je hasardai encore deux ou trois phrases, et il changea brusquement d’expression et m’interrompit en disant : “Je ne veux pas le savoir. Je connais déjà tout cela. C’est l’histoire habituelle des Hommes et du Monde, c’est toujours la même histoire. Peu importe qui a fait quoi cette fois encore, qui a tué qui et pourquoi. C’est dans tous les cas toujours exactement le même refrain hideux, et cela ne m’intéresse pas. Parce que si je commence à connaître certains détails, alors je veux en connaître d’autres, et à la fin je m’énerverai et je devrai alors perdre mon temps à réfléchir à ces saloperies au lieu de tout ce à quoi j’ai envie de réfléchir, ce qui m’intéresse vraiment ”.

Je me tus. C’était un point de vue sage et tout à fait respectable. Sheckley était intéressé par d’autres mystères de l’existence et c’était son droit le plus légitime que d’utiliser son esprit à des choses qui l‘intéressaient vraiment. Mon intuition me dit qu’avec quelques phrases de plus, son intelligence lui aurait interdit de continuer à ne pas comprendre de quelle illusion il avait été victime. Il avait décidé de rester Confiant sur ce thème, au nom de l’inutilité générale et des dommages personnels qu’entraîne le fait de devenir Désenchanté. Je précise au passage que Sheckley n’a jamais eu peur de sonder les abymes de la réalité et de l’âme humaine ; pour ceux qui ne connaissent pas son œuvre (c’est pas bien !) il suffit de rappeler que dans les années cinquante, à l’aube de la télévision, il prévoyait déjà dans ses récits l’avènement des Reality Shows où les concurrents pourraient être tués ou sauvés par les téléspectateurs – se référer aux films tirés de ses œuvres, comme La decima Vittima et Le prix du Danger). Un an plus tard, à l’âge de 77 ans, Sheckley s’éteignait, après avoir consacré sa dernière année de vie à réfléchir à ce qu’il voulait, lui. Il avait indubitablement pris une sage décision

Une mention spéciale doit être attribuée aux Confiants adeptes de la littérature de science-fiction, et plus particulièrement aux amateurs de Philip K. Dick. Le concept d’une vision illusoire de la réalité qui s’efface et part en lambeaux, révélant ainsi une réalité totalement différente, est un thème habituel de la littérature de science-fiction. On pourrait penser que cette population, habituée à ces scénarios, serait plus sensible que d’autres à identifier les symptômes de mystifications lorsqu’ils en sont les victimes. Mon impression (moi qui fréquente souvent ce monde) est que finalement il n’en est rien. La proportion de Confiants ne me semble pas inférieure à celle présente dans d’autres catégories de population. Être familier de scénarios imaginaires de sociétés folles où règnent des systèmes de mystification totale et systématique ne suffit pas à les identifier lorsqu’ils se manifestent vraiment. Il faut se rendre à l’évidence, l’esprit humain est formé de couches, de compartiments souvent étanches entre eux.

Une âme « cyber-punk », cynique et désenchantée, peut cohabiter dans le cerveau d’une personne croyant aux cartomanciens et autres balivernes.

Maintenant que nous avons passé en revue certaines des raisons pour lesquelles beaucoup de Confiants le restent, prenons quelques minutes pour examiner la façon qu’a le cerveau de conserver ses propres illusions.

La méthode vient d’une erreur systématique que le cerveau humain tend à faire devant une information déstabilisante. Cela s’appelle le « biais de confirmation ». Notre cerveau accepte en général toutes les informations qui confirment nos croyances, et rejette celles qui s’y opposent. Les informations désagréables entrent littéralement par une oreille et ressortent par l’autre. Nous avons tous été confrontés à ce problème. Combien de fois s’est-on exclamé : « c’est comme parler à un mur » ? Ceci explique pourquoi des personnes par ailleurs intelligentes, mises en présence d’informations indéniables sur des faits controversés comme le 11-Septembre, événements en mesure de déstabiliser complètement la confiance que nous avons dans le système qui nous fournit les informations sur l’actualité dans le monde, sont visiblement incapables de les accepter. Si nous voulons comprendre le monde et la réalité, le « biais de confirmation » est très certainement notre ennemi le plus implacable. Mais savoir qu’il existe ne suffit pas à en éliminer les effets. Notre esprit refuse de comprendre ce qui ne lui plait pas. C’est pour cela que confronté à un deuil qui nous touche de près, nous restons longtemps incrédules. Et c’est pour cette raison que les enfants ferment les yeux quand ils ont peur, pensant que le fait de ne pas voir le danger suffit à l’annuler.

L’une des méthodes logiques classiques pour différencier une explication correcte des choses d’une explication fausse est l’utilisation de ce qu’on appelle le « Rasoir d’Occam », crée par William of Ockham, figure du 14e siècle. « À égalité de facteurs, l’explication la plus simple tend à être la bonne. »

Le principe du Rasoir d’Occam est la base de la pensée scientifique moderne, et il est pourtant le plus souvent violé lors des explications faites par les autorités sur certains problèmes cruciaux du Monde.

Sur les faits du 11-Septembre par exemple, la version officielle impose de croire qu’une quantité extraordinaire de choses tout à fait improbables se sont produites les unes à la suite des autres, au mépris de toutes les lois de la probabilité. Nous pourrions en faire la liste ici, mais justement je l’ai faite dans les 500 pages de mon livre Il Mito dell’11 Settembre, et dans cet article je me contenterai donc d’un exemple singulier que j’illustrerai après cette rapide introduction.

En général, la Nature n’aime pas les exceptions et c’est pour cela que la Science a découvert les “lois de cause à effet”. La Nature tend à avoir un comportement régulier, et des effets similaires impliquent généralement des causes similaires. C’est pour cela que les scientifiques n’aiment pas recourir à des causes sans précédent pour expliquer des phénomènes communs. Jusqu’au 11-Septembre, l’écroulement rapide, symétrique et total de gratte-ciels d’acier était un phénomène plutôt normal aux USA. Chaque fois qu’il survenait, sans aucune exception, c’était le résultat d’une démolition contrôlée à l’aide d’explosifs synchronisés. D’un point de vue scientifique, donc, le Rasoir d’Occam s’applique, et l’explication la plus simple et évidente pour les effondrements rapides, symétriques et complets des trois tours du World Trade Center le 11 septembre 2001 est l’hypothèse de la démolition contrôlée. C’est l’explication la plus simple, et qui s’accorde avec la logique du Rasoir d’Occam. C’est donc la première hypothèse à vérifier. Mais officiellement, elle n’a jamais été prise en considération. Et pour parvenir à expliquer les raisons des effondrements des Tours Jumelles, on a au contraire eu recours à la rédaction de milliers et de milliers de pages qui tentent d’expliquer, d’une façon évidemment extrêmement compliquée, ce que la thèse de la démolition contrôlée explique de façon élémentaire; et de surcroît, dans les conclusions, on renonce complètement à fournir une explication à la dynamique de la chute (qui, quod erat demonstrandum [ CQFD – NdT], ne peut s’expliquer que par une démolition contrôlée), la faisant passer de façon laconique et grotesque comme “inévitable”.

Résumons : où que l’on regarde, ça ressemble à une démolition contrôlée. Ça a la dynamique d’une démolition contrôlée, la durée d’une démolition contrôlée, l’apparence esthétique d’une démolition contrôlée. Petite question : ça ne serait pas par hasard une démolition contrôlée ? Non, non ! jurent les scientifiques gouvernementaux, les apparences sont trompeuses, mais on ne sait pas bien expliquer le « pourquoi », c’est pour cela qu’on ne vous l’explique pas, c’est parce qu’il n’y a pas de « pourquoi », la dynamique de la chute a été ce qu’elle a été, parce que c’était inévitable. Inévitable, un point c’est tout.

Oui, oui, euh, enfin non, non ! répètent en cœur les troupes de Confiants arrogants depuis leur refuge hypnotique et tribal, la réalité ne fait aucun doute, quels que soient les faits qu’on nous révèle.

Le vieux truc de la « vérité révélée » fonctionne toujours à merveille. Qui dit que la religion est en crise ?

Nota bene : j’ai parlé avec des Confiants qui, connaissant le principe du Rasoir d’Occam, sont parvenus à en modifier le sens au point de le faire coller à leurs propres convictions. Mais l’exercice n’a pas été inutile. De tout cela, j’ai appris une chose importante, moi. En parler ne sert à rien. Celui qui peut et veut, comprendra, celui qui ne peut pas ou ne veut pas restera sourd à toute logique qui viole ses convictions (même si un beau jour il change tout à coup d’idée et vient te dire : J’avais compris dès le début, moi – c’est ce qu’on appelle l’erreur du jugement rétrospectif, en langage technique le hindsight bias, la conviction erronée d’avoir toujours su ce qu’en réalité on vient à peine de comprendre)

La logique du Rasoir d’Occam s’applique bien à la compréhension de la façon dont les choses se sont passées, que ce soit pour l’énorme attentat du 11-Septembre ou pour le tout petit contre Berlusconi.

En ce qui concerne le méga-attentat du 11/9, l’hypothèse du complot d’al-Qaida telle que soutenue par le gouvernement américain, pour pouvoir se vérifier, nécessite que ce jour-là se soit produite une monstrueuse séquence d’événements jamais survenus auparavant, tous tellement improbables qu’ils étaient virtuellement impossibles. En pratique, c’est comme si l’on gagnait au Loto plusieurs fois de suite. Les obstacles statistiques sont insurmontables (j’invite ceux qui en doutent à lire mon livre sur le sujet). En revanche, l’hypothèse que l’attentat ait été orchestré par une faction “canaille” de l’appareil au pouvoir aux USA, malgré son indubitable complexité, est infiniment plus simple et ne comporte aucune véritable impossibilité. Et ce ne sont pas les précédents historiques qui manquent – l’Histoire du Monde nous enseigne que pour justifier une nouvelle guerre, rien ne vaut de feindre d’avoir été attaqué (inutile de rappeler que celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la répéter). Et donc, c’est l’option la plus logique, selon le Rasoir d’Occam.

« À égalité de facteurs, l’explication la plus simple tend à être la bonne. »

En ce qui concerne le mini-attentat contre Berlusconi le 13 décembre 2009, c’est au contraire l’hypothèse de l’arnaque qui requiert les explications les plus compliquées. Il n’y a pas vraiment d’indication en faveur de cette hypothèse (celles relevées sur le Net sont carrément risibles). Par contre, la thèse qu’il se soit agi du geste d’un crétin qui a réussi grâce à une faute d’inattention du service d’ordre est simple et évidente. Inutile de couper les cheveux en quatre.

Gardez bien à l’esprit le Rasoir d’Occam et vous limiterez les erreurs en cette étrange époque que nous vivons et qui semble en effet tout droit sortie de la plume paranoïaque de Philip K. Dick.

Et pour finir, il reste une catégorie de personnes dont nous n’avons pas parlé. Ils font partie des Confiants, mais de mauvaise foi. Cette catégorie comprend des hommes politiques, des journalistes et des personnes ayant des rôles critiques à l’intérieur du système. Les hommes politiques qui, secrètement, sont Désenchantés et cyniques, sont contraints par les circonstances de se présenter comme Confiants. À la veille d’une crise économique et systémique dont la portée n’a pas d’égale dans le passé, aucun politique (du moins dans notre pays) n’a de baguette magique pour faire disparaître le problème. Mentir, étaler son optimisme afin de retarder la catastrophe est d’une certaine façon le meilleur choix. Il est vrai qu’ainsi, on ne fait que gonfler ultérieurement des bulles qui nous exploseront à la figure en des catastrophes encore plus terribles, mais au moins cela se produira plus tard, et pour le moment on survit. C’est un peu facile de dire que les politiques pourraient résoudre le problème en arrêtant tous les banquiers et en recréant le système monétaire de zéro sur des bases plus réalistes.

C’est facile de le dire. Mais essayez donc de le faire. Comment ferait-on pour gérer la disparition simultanée de toutes les épargnes de tout le monde ? Quelles conséquences pratiques aurait un tel événement ? Le verbe est facile, mais l’action c’est une autre affaire. L’imagination est une chose, la réalité en est une autre.

Les politiques doivent en effet mentir aujourd’hui chaque fois qu’ils le pensent nécessaire. En fin de compte, ce n’est pas de leur faute, c’est la faute de ceux qui veulent croire à leurs mensonges. Même si cela est désagréable à entendre, les mensonges sont imposés à ceux qui préfèrent être trompés plutôt que devoir affronter une vérité indésirable. Les citoyens-enfants qui ne sont jamais parvenus au stade adulte de celui qui est en mesure de regarder en face l’angoissant gouffre de la réalité complexe des choses sans s’évanouir ou faire « dans son froc » ont un constant besoin d’être trompés vis-à-vis de la nature du monde dans lequel ils vivent. La meilleure preuve en est que ce sont les citoyens qui choisissent leurs hommes politiques en les élisant, et c’est donc de leur responsabilité exclusive que d’opter pour des individus qui leur mentent systématiquement. D’abord, ils votent parce qu’ils croient à leurs boniments, et ensuite ils les accusent d’avoir fait ce pour quoi ils les ont choisis : mentir. Et ils revotent pour eux, croyant à nouveau à leurs bobards toujours plus gros. Comme des enfants qui font des caprices devant leurs parents, mais vu qu’ils sont enfants, ne peuvent pas se passer d’eux. On oublie le fait que les politiques (comme une grande partie des êtres humains d’ailleurs) mentent depuis au moins plusieurs milliers d’années, et qu’il est totalement puéril de croire qu’ils s’arrêteraient justement maintenant, pour nous faire plaisir à nous. Dans tous les pays, les politiques mentent à un niveau toléré/demandé par leur peuple. Les politiciens menteurs sont avant tout le symptôme de l’immaturité d’un peuple et non la cause de ses malheurs. (L’Europe du Nord fonctionne mieux que les pays méditerranéens, car les politiques sont en moyenne moins menteurs et malhonnêtes, mais cela se produit parce que les peuples qui les élisent sont beaucoup moins indulgents envers les mensonges et les embrouilles des gouvernants – et cela finit par sélectionner une classe dirigeante plus honnête, ou, en tout cas, moins visiblement malhonnête – avec parfois, malgré tout, des catastrophes là-haut aussi, comme en Islande récemment.

L’autre grande catégorie dans laquelle on retrouve beaucoup de Confiants de mauvaise foi, c’est celle des journalistes. Je parle de ceux des grands médias, avec des salaires élevés et des privilèges. Ces journalistes, bien souvent, mentent à cause de leur conflit d’intérêts personnel : par déontologie professionnelle ils devraient rapporter la vérité, mais leur intérêt personnel est de conserver leur travail, leur salaire et leurs privilèges, et donc ils éviteront soigneusement d’écrire quoi que ce soit qui pourrait les leur faire perdre. Ils ne sont donc pas crédibles pour une question de principe. Pour le devenir, ils devraient décider de travailler sans être rémunérés. Cela dit, il existe aussi une multitude de journalistes réellement Confiants qui croient vraiment aux bobards qu’ils racontent. Les journalistes sont humains, eux aussi, et le « biais de confirmation » fonctionne aussi pour eux. Comme disait le Sage :

« Il est difficile de faire comprendre une chose à quelqu’un quand son salaire dépend du fait qu’il ne la comprend pas »

Si cet article vous a permis de comprendre quelque chose (j’espère que cela ne menacera pas votre salaire), offrez-moi un café, ou une bière, ou une pizza, ou un beau dîner, ou une call-girl (c’est désormais une tradition institutionnelle [en Italie – NdT], qui a valeur d’échange de bons procédés, non assujetti à la TVA et non imposable. Évidemment, ces services seront dévolus aux plus nécessiteux. Etant donné de sombres raisons de comptabilité, nous n’acceptons pas le paiement en « transsexuels » au cas où vous chercheriez sur le Net les taux de change les plus à jour). [NdT : Référence directe aux récentes affaires d’hommes politiques italiens mis en cause dans des affaires de prostituées ou de transsexuels]

En outre, si cet article vous a permis de comprendre quelque chose, dites-le à vos amis. Qu’ils le lisent eux aussi. Ainsi, la prochaine fois que vous discuterez des joyeusetés du monde, vous éviterez les disputes habituelles. Ce qui vous amènera éventuellement à des disputes inhabituelles, mais on ne peut pas tout avoir. Surtout si l’on n’est pas un richissime banquier.
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Roberto Quaglia