"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

11 septembre 2016

11 Septembre 2001 : 15 ans après


Quelque 75.000 personnes souffrent toujours aujourd'hui de troubles mentaux et physiques liés à ces attaques, dont de nombreux urgentistes ayant respiré des particules cancérigènes en tentant de sauver des vies. 
(Dimanche 11 septembre 2016)


Si elles n'ont pas, comme l'espéraient ses instigateurs, mis l'Amérique à genoux, les attaques du 11 septembre 2001 ont ouvert une ère d'instabilité dont les répercussions, surtout au Proche et Moyen Orient, vont encore se faire sentir pendant des années, estiment experts et officiels.

En réagissant avec une «force écrasante» (la doctrine US de «l'overwhelming force»), et surtout en envahissant l'Irak, les États-Unis ont semé les germes du chaos dans lequel une bonne partie de la région est actuellement plongée, assurent-ils.

Le réseau Al Qaïda et le mouvement djihadiste, international, un temps déstabilisé par la perte de son sanctuaire afghan, a depuis fait la preuve de sa résilience et de sa capacité d'adaptation, essaimant dans de nombreux pays et menant des opérations et des attentats qui sèment la terreur.

«Le 11 septembre était en fait l'aboutissement d'un travail de plusieurs années par Al Qaïda pour monter le 'big one', l'attentat majeur», rappelle à l'AFP Didier Le Bret, qui était jusqu'à la semaine dernière le Coordinateur national du renseignement français, avant de démissionner pour se lancer en politique. «Mais c'est surtout le point de départ de la prise de conscience (des Américains) de leur vulnérabilité sur leur sol. Et ça, ils ne peuvent l'accepter.»

«Ils réagissent dans la demi-mesure»

«Ils réagissent à l'Américaine, c'est-à-dire pas dans la demi-mesure», poursuit-il. «C'est leur force et leur faiblesse : ils ne cherchent jamais à maintenir, comme nous pouvons le faire en Europe, les équilibres et la complexité des choses. Eux, c'est : voilà l'ennemi, on va se donner les moyens de l'abattre. Les conséquences, on verra...»

«Et on les a vues, effectivement: c'est l'image atroce qu'ont projetée les Etats-Unis d'eux-mêmes, la prison d'Abou Ghraib, Guantanamo. Cela se termine avec l'erreur tragique de l'Irak. Une guerre inachevée, bâtie sur un mensonge (...) . Ils ont précipité le chaos dans la région, qui a été totalement déstabilisée.»

Pour Jean-Pierre Filiu, professeur des universités à Sciences-Po Paris, «les quinze ans écoulés depuis le 11 septembre 2001 laissent le sentiment d'un effroyable gâchis».

«Les Etats-Unis avaient bénéficié d'une solidarité internationale sans précédent dans la campagne menée contre les talibans et Al-Qaïda», dit-il. «Mais après cette campagne, couronnée de succès en quelques semaines, les néo-conservateurs ont imposé les priorités d'une 'guerre globale contre la terreur' qui a relancé le jihad global et lui a ouvert les portes de l'Irak, et donc du Moyen-Orient, voire de l'Europe».

«Daech, le bien mal-nommé 'Etat islamique', est né de cette alliance entre deux totalitarismes, celui d'Al-Qaïda et celui du régime déchu de Saddam Hussein. Au lieu de prendre la mesure de cette menace inédite, Barack Obama l'a trop longtemps niée, permettant l'émergence d'un 'califat de la terreur' qui a essaimé dans le monde entier», ajoute-t-il.

Venir faire les Américains en Afghanistan

Avec le recul, il est apparu clairement que l'espoir secret d'Oussama ben Laden était d'attirer la grande Amérique sur son terrain pour une confrontation qui ne pouvait, selon lui, que tourner à son avantage, comme il était persuadé (à tort, assurent tous les experts) d'avoir avec ses combattants arabes chassé l'armée rouge d'Afghanistan.

«Le rêve de mon père était de faire venir les Américains en Afghanistan», a déclaré en 2010 au magazine Rolling Stone, Omar ben Laden, l'un des onze fils du fondateur d'Al Qaïda. «Il voulait leur faire la même chose qu'aux Russes. J'ai été surpris qu'ils mordent à l'appât».

En forçant Washington à sortir de son isolement outre-atlantique et à envoyer des milliers de soldats au Moyen-Orient, où quinze ans plus tard ils sont encore, ben Laden a utilisé ce que l'historien Yuval Noah Harari, auteur du bestseller «Sapiens», appelle «la méthode du maître de taï-chi».

«Les terroristes espèrent que, même s'ils ne peuvent qu'à peine entamer la puissance de leur ennemi, la peur et la confusion va amener cet ennemi à faire un mauvais usage de sa force», écrit-il dans une récente tribune.

«Ils calculent que quand leur ennemi, fou de rage, va utiliser sa puissance massive contre eux, cela fera se lever une tempête militaire et politique beaucoup plus violente que tout ce qu'ils pourraient provoquer eux-mêmes. Et pendant une tempête, bien des choses inattendues arrivent».

Malaise de H. Clinton



La candidate démocrate Hillary Clinton a été victime dimanche d'un malaise. Celui-ci a été "provoqué par la chaleur" selon la version officielle alors qu'elle assistait aux commémorations.

Hillary Clinton a été contrainte de quitter les cérémonies à pieds, a précisé son équipe de campagne dans un communiqué, afin d'aller se reposer dans l'appartement de sa fille.

Toujours selon la chaîne conservatrice américaine Fox News, la candidate démocrate aurait même chancelé et trébuché en tentant de rejoindre son véhicule. Elle aurait perdu une chaussure au passage, son équipe de campagne se pressant de la transporter d'urgence dans sa voiture.

La candidate démocrate se «sent beaucoup mieux» désormais, précise le communiqué.

La cérémonie à Ground Zero

L'ambiance est lourde ce dimanche dans la Big Apple. Les États-Unis marquent dans le recueillement le quinzième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, traumatisme encore présent dans tous les esprits. À 8 h 46, heure locale (12 h 46 GMT), l'heure précise du premier choc d'un avion détourné par Al-Qaïda contre une tour du World Trade Center quinze ans auparavant, la foule massée pour une cérémonie au mémorial des attentats à New York a observé une première minute de silence.
Les noms des quelque 3 000 victimes ont ensuite commencé à être égrenés, en présence notamment d'Hillary Clinton et de Donald Trump, les deux candidats à la présidentielle américaine engagés dans une campagne électorale particulièrement acrimonieuse. Hillary Clinton était sénatrice de New York au moment des attentats. Donald Trump est l'un des magnats de l'immobilier de Manhattan. Au même moment, le président Barack Obama a observé une minute de silence dans l'intimité familiale à la Maison-Blanche, avant de se rendre au Pentagone pour une autre cérémonie.
Guerre mondiale contre le terrorisme

Le 11 septembre 2001, 19 pirates de l'air d'Al-Qaïda avaient détourné quatre avions pour les précipiter sur les tours du World Trade Center à New York, sur le Pentagone près de Washington et dans la campagne de Pennsylvanie à Shanksville. Ces attentats marquaient la première attaque étrangère sur le sol métropolitain des États-Unis depuis près de 200 ans. Les États-Unis répondraient en lançant une « guerre mondiale contre le terrorisme » qui fait rage encore aujourd'hui. Quelque 75 000 personnes souffrent toujours aujourd'hui de troubles mentaux et physiques liés à ces attaques, dont de nombreux urgentistes ayant respiré des particules cancérigènes en tentant de sauver des vies.

À New York, le silence doit se faire au total six fois pendant la cérémonie à Ground Zero, pour rappeler le déroulement des attaques meurtrières : les deux impacts des avions sur les tours jumelles, les effondrements respectifs de celles-ci, et les impacts des avions au Pentagone et en Pennsylvanie. Les cloches des lieux de culte de New York ont également sonné. « Le 11 Septembre 2001 a touché chaque New-Yorkais, mais les terroristes n'ont pas gagné, parce que quinze ans plus tard nous sommes forts, et nous sommes unis », a écrit le maire de New York Bill de Blasio sur Twitter.

Rester fidèles aux valeurs de l'Amérique

Au Pentagone, le président Barack Obama s'exprimera au côté notamment du secrétaire à la Défense Ashton Carter. Samedi, dans son allocution hebdomadaire à la radio, le président américain a rappelé aux Américains que le monde entier regardait la façon dont les États-Unis réagissaient au terrorisme, et a mis en garde contre les réponses simplistes, dans une allusion à Donald Trump. « C'est notre diversité, notre façon d'accueillir tous les talents, de traiter tout le monde de la même manière, quels que soient sa race, son sexe, ou sa religion, qui contribue à faire de notre pays un grand pays », a-t-il déclaré. « Et si nous restons fidèles à ces valeurs, nous honorerons la mémoire de ceux que nous avons perdus et nous garderons notre pays libre et fort. »

Le président américain n'en a pas moins promis que les États-Unis continueraient de « combattre sans relâche les organisations terroristes comme Al-Qaïda et le groupe Daech ». « Nous les détruirons et nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger notre pays », a-t-il encore dit.

Le témoignage poignant d'un reporter

Le journaliste Michel Moutot faisait partie de l'équipe de l'Agence France-Presse à New York le 11 septembre 2001. Voici son témoignage sur cette journée historique. À 8 h 40, ce 11 septembre 2001. Belle matinée d'été indien sur New York. J'allume la télé : le logo bleu et blanc de la chaîne d'info en continu New York One. « On nous signale un incendie en hauteur dans l'une des tours du World Trade Center », annonce le présentateur.

Sur la foi des images (nous n'avons pas de vue directe du bureau sur les tours jumelles), je commence à rédiger une dépêche. Titre : « Incendie au sommet de l'une des tours du World Trade Center ». Le trou béant provoqué par le Boeing dans la façade est caché par la fumée. Sur le fil Agence France-Presse, à 8 h 58, l'histoire change brutalement : « Un avion s'est écrasé mardi matin au sommet de l'une des tours du World Trade Center à New York, ont indiqué les chaînes de télévision américaines. »
Un avion de ligne ? Je pense à « l'opération Bojinka », un complot monté en 1995 par des islamistes radicaux qui avaient imaginé détourner des avions de ligne au-dessus du Pacifique pour les fracasser contre des bâtiments... 9 h 3 : en direct sur CNN, le vol 175 de la United Airlines s'encastre dans la tour nord. Nouvelle dépêche urgente. La journée va être longue, la nuit aussi. Nos correspondants à l'ONU, Michel Leclercq et Robert Holloway, sautent dans le dernier métro avant l'arrêt du trafic pour le sud de Manhattan. Les yeux rivés à la télé, j'enchaîne les dépêches.

29 minutes plus tard, la deuxième tour s'effondre

Une minute avant 10 heures, après avoir brûlé pendant 56 minutes, la tour sud vacille, puis s'effondre sur elle-même, laissant dans le ciel son fantôme de poussière. Ahurissant. Vingt-neuf minutes plus tard, la tour nord disparait à son tour. À 9 h 37, un autre avion de ligne s'écrase sur le Pentagone à Washington. Combien d'appareils détournés sont encore dans le ciel ? Combien de cibles ? La Maison-Blanche ? Le Congrès ? Le projet Bojinka envisageait le détournement de onze avions de ligne...

À Manhattan, la circulation cesse ou presque. Obéissant aux consignes, la population du Sud remonte vers le nord. Une foule silencieuse, hébétée, parfois recouverte d'une épaisse couche de poussière grise. Le réseau cellulaire est saturé, plus moyen de joindre Robert, Michel ou notre photographe Stan Honda. Leurs épouses appellent régulièrement, je ne sais que leur dire, incapable de leur assurer que, non, ils n'étaient pas à l'intérieur des tours quand elles se sont effondrées. Ils mettront plusieurs heures à remonter, à pied eux aussi, jusqu'à la 46e Rue et le bureau de l'Agence France-Presse, où nous les accueillons en héros.

« Bombardez le Moyen-Orient »

Je prends la relève sur le terrain. Seuls quelques véhicules de pompiers ou de police, sirènes hurlantes, descendent la 3e Avenue. Les trottoirs sont bondés de piétons. Je gare ma moto sur Canal Street, continue à pied. Dans un silence de cathédrale, qu'on ne connaît à New York que les jours de tempête de neige, je marche vers le nuage noir, les reflets d'incendie, qu'on devine là, au-dessus des toits. Ce n'est pas de la neige qui s'accumule sur la chaussée et les trottoirs, mais une étrange matière, un mélange de cendres, de poussière et de feuilles de papier.

Au coin des rues Greenwich et Harrison, la couche s'épaissit, recouvre tout. La rue, les voitures, les panneaux, les boîtes aux lettres, bouches d'incendie, poubelles, feux rouges, échafaudages, un chien qui devait être brun et s'ébroue sans succès, tout disparaît sous quinze centimètres de talc grisâtre, d'où émergent des millions de feuilles. Ce « manteau » étouffe les sons, les pas. Partout des chaussures, surtout de femmes, hauts talons abandonnés pour courir plus vite. Sur un pare-brise, un doigt a écrit dans la poussière « Bombardez le Moyen-Orient ! »

Le plein d'images

Au centre de Barclay Street, un agent de police transformé en spectre blafard avance à pas minuscules. Il regarde devant lui, mais semble ne plus rien voir, les épaules tombantes, le pas traînant, bouche ouverte, mains le long du corps. L'étui de son arme est vide, sa matraque pend à l'envers dans son dos. Il s'assied, enlève sa casquette qu'il tape contre sa cuisse, éclate en sanglots. Les éclairages d'urgence illuminent par en dessous d'immenses colonnes de fumée. Des flammes s'échappent de l'enchevêtrement de métal, poutres tordues, pans de murs effondrés, structures broyées, monceaux de gravats. Ça fait quelle hauteur ? Je compte les étages d'un immeuble adjacent, étrangement intact. Cent dix étages compactés sur six. Les feux sortent de partout.

Les jets d'eau géants des pompiers tombent en pluie. Un camion rouge a été aplati, transformé en crêpe de métal de quatre-vingt-dix centimètres d'épaisseur. Des voitures de police ont comme fondu. Faire le plein d'images, de sensations. Quelques phrases, un geste, une odeur, une scène, un mot. Le papier se met en place dans ma tête, s'écrit presque tout seul. Simple, faire simple. L'histoire est tellement énorme, au-delà de tout, nul besoin d'en rajouter. Il est temps de rentrer au bureau. Ambiance grave, tendue, mes amis et collègues sont soulagés de me voir arriver. Inutile de relire mes notes. « Blessée, bouleversée, hébétée, New York s'apprête à vivre mardi soir, au terme d'une journée d'épouvante, la pire nuit de son histoire ».

TF121