"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

20 novembre 2015

Rescapé du 11/9, il a cru mourir au Bataclan


Secouru par Daniel Psenny, le journaliste du«Monde» qui a réalisé une vidéo effarante de l'attaque au Bataclan, Matthew avait déjà vécu l'enfer à Manhattan en 2001.

Ils se sont embrassés comme deux vieux amis et se sont promis de se revoir d’ici quelques jours pour « boire un coup ensemble », voire « toute une bouteille ». Daniel Psenny, journaliste au Monde, et Matthew (il préfère ne pas donner son nom de famille), un Américain installé à Paris depuis juillet, se sont rencontrés vendredi 13 novembre.

Il était aux alentours de 22 heures. Matthew gisait, face contre terre, le mollet en sang, à bout de forces, dans le passage Saint-Pierre-Amelot, sur lequel donnent les sorties de secours du Bataclan. Daniel était descendu de son appartement donnant sur le passage pour ouvrir la porte du hall de son immeuble et permettre à des rescapés de la tuerie d’y trouver refuge.

Pensant que la fusillade est terminée, le journaliste hasarde un regard vers l’extérieur. Il repère Matthew, allongé à quelques mètres sur la droite. Un autre homme, vêtu de noir, qui disparaîtra immédiatement après, s’en approche. « Je n’ai pas réfléchi, j’ai agi instinctivement », se souvient Daniel. Il se dirige vers Matthew et aide l’homme en noir à transporter celui-ci.



« Je faisais le mort, raconte Matthew dans un bon français. Quand j’ai senti qu’on me tirait par les bras, je n’ai même pas regardé. J’ai dit – ou bien pensé dans ma tête, je ne sais plus – : “Je t’aime, mon ange”. »

Matthew à l’abri dans le hall de l’immeuble, Daniel Psenny s’apprête à refermer la porte d’entrée. C’est alors qu’une balle, probablement tirée depuis le premier étage du Bataclan, lui traverse le bras gauche. La douleur est fulgurante, le sang jaillit. « J’ai senti quelque chose de chaud couler sur moi, reprend Matthew. Puis j’ai entendu des gros mots et, de nouveau, des tirs. »

Avec une chemise qu’il enroule autour de son bras, le journaliste tente d’arrêter les saignements. Des voisins le font monter chez eux, au dernier étage de l’immeuble, puis reviennent chercher l’Américain.

Dans l’appartement du quatrième, commence une interminable attente. « C’était très angoissant de se dire qu’on était en plein Paris, qu’on se vidait de notre sang et que personne ne pouvait nous venir en aide », témoigne le journaliste.

Une petite victoire de la vie sur la barbarie

Matthew, allongé sur un canapé, est livide et vomit à plusieurs reprises. Il a perdu son téléphone portable au Bataclan et n’arrive plus à se souvenir du numéro de sa femme, qui se trouve avec leurs deux jeunes enfants dans leur appartement parisien. Il lui faudra plus de deux heures pour se remémorer son numéro et l’avertir qu’il est en vie. A 1 heure du matin, samedi 14 novembre, après l’assaut, les blessés sont évacués.

Samedi, dans sa chambre d’hôpital, dans l’attente d’être opéré, Daniel s’inquiète du sort de l’Américain. Comment le retrouver ? Le téléphone de la voisine du quatrième a gardé en mémoire le numéro de l’épouse de Matthew. L’Américain se remet doucement… trois chambres plus loin. Les retrouvailles auront lieu le lundi 16 novembre. « Je n’arrivais pas à dire les mots, reprend Matthew. Je lui ai encore dit qu’il était mon ange. »



L’Américain raconte comment sa femme a renoncé à l’accompagner au concert des Eagles of Death Metal parce qu’ils n’avaient pas trouvé de baby-sitter ce soir-là. Comment il a reconnu instantanément, à la différence de la majorité des spectateurs, « le son des flingues » et s’est dirigé aussitôt vers la sortie. « Peut-être ma culture américaine… »
Comment il rampait vers l’issue de secours à chaque fois que les terroristes cessaient de tirer pour recharger leurs armes et s’est retrouvé « à trois-quatre mètres de la sortie avec deux ou trois personnes sur [lui] ». « J’avançais centimètre par centimètre. A un moment, j’ai vu le rebord de la sortie au bout de ma main. J’ai pu m’y agripper avec un doigt, puis un autre… »
Epuisé, il s’écroule sur le trottoir. C’est là que Daniel et l’homme en noir viendront le chercher. « J’ai eu ce réflexe humain de ne pas laisser mourir quelqu’un qui était devant moi, mais ce sont les circonstances qui l’ont permis, modère le journaliste. Sous la mitraille, je ne serai sans doute pas allé chercher Matthew. »
Leur histoire est une petite victoire de la vie sur la barbarie, conviennent les deux hommes. « On verra si je retourne un jour au Bataclan », glisse Matthew.
A 36 ans, le voici doublement miraculé. Le 11 septembre 2001, il se trouve au pied de la tour sud du World Trade Center, sur la route d’un rendez-vous professionnel, quand l’avion d’United Airlines s’y encastre. « J’ai traversé presque la moitié de Manhattan en courant. Mais ce que j’ai vécu au Bataclan était mille fois pire. »