"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

20 juin 2015

Un agent du FBI affirme que la CIA aurait pu empêcher le 11-Septembre


Mark Rossini, un ancien agent spécial du FBI au centre d’un mystère tenace lié aux attentats terroristes du 11 septembre 2001, se dit « consterné » par les déclarations récemment déclassifiées de l’ancien directeur de la CIA, George Tenet, défendant les efforts de l’agence de renseignement pour stopper le complot.

Rossini, qui était assigné au Centre du contre-terrorisme (CTC) de la CIA au moment des attentats, soutient depuis longtemps que le gouvernement américain a dissimulé des relations secrètes entre l’agence de renseignement et des Saoudiens qui pourraient avoir contribué au complot. Quinze des 19 pirates qui ont dirigé des vols commerciaux dans les tours du World Trade Center, le Pentagone, et une tentative avortée de s’écraser contre le Capitole américain, étaient saoudiens.

Un rapport de l’inspecteur général de la CIA datant de 2005 et dont certaines parties avaient été publiées auparavant, a en outre été déclassifié plus tôt ce mois-ci après avoir été lourdement expurgé. Il constate que les enquêteurs de l’agence « n’ont trouvé aucune preuve » indiquant que le gouvernement d’Arabie Saoudite ait « sciemment ou volontairement soutenu » des terroristes d’Al-Qaïda. Il ajoute que plusieurs officiers de la CIA ont « spéculé » sur le fait que des « sympathisants dissidents au sein du gouvernement » aient pu soutenir Oussama ben Laden mais que « les informations étaient insuffisantes pour déterminer avec exactitude un tel soutien. »

Plus de 30 pages relatives à l’Arabie Saoudite ont été censurées dans le rapport. Le gouvernement Obama a également refusé de déclassifier 28 pages traitant des liens saoudiens avec les pirates dans une enquête conjointe du Congrès sur les attentats.

Comme nous l’avons déjà rapporté, Rossini et un autre agent du FBI assigné au CTC, Doug Miller, ont appris en janvier 2000 que l’un des futurs pirates de l’air, un agent d’Al-Qaïda nommé Khalid Al-Mihdhar, avait un visa à entrées multiples pour les États-Unis. A l’époque, la CIA avait plusieurs fois prévenu le président George W. Bush et d’autres officiels à la Maison Blanche, de l’imminence d’un attentat d’Al-Qaïda. Mais lorsque Miller et Rossini ont tenté d’avertir le FBI qu’Al-Mihdhar pouvait être en vadrouille aux États-Unis, un responsable de la CIA leur a ordonné de se taire.

Rossini se dit « très préoccupé » de la manière dont l’agence continue de supprimer des informations liées aux contacts entre la CIA et l’Arabie Saoudite, en particulier lorsque l’agence de renseignement déclassifie d’autres parties du document pour montrer qu’ils ont fait tout leur possible pour contrecarrer le complot du 11 septembre 2001.

« Il n’y aurait pas eu de 11-Septembre si le CIR [rapport du renseignement central] de Doug sur Al-Mihdhar avait été envoyé, » a-t-il déclaré par email à Newsweek. « Point. Fin de l’histoire. »

« Le manque total de responsabilisation, ou de volonté à creuser pour savoir pourquoi le mémo de Doug n’a pas été envoyé, » a-t-il ajouté, « est la raison pour laquelle les 28 pages concernant les Saoudiens ont été interdites » de publication.

En 2005, Tenet, le directeur de la CIA au moment des attentats, avait furieusement démenti l’avis de l’inspecteur général de l’époque, John Helgerson, qui affirmait que Tenet n’avait pas suffisamment fait pour empêcher le complot d’Al-Qaïda.

« Votre rapport remet en doute mon professionnalisme, mon efficacité et ma capacité à diriger les hommes et femmes du renseignement américain dans la lutte contre le terrorisme, » écrivait Tenet à l’attention de Helgerson dans un autre document largement expurgé et publié le 12 juin. « J’ai fait tout ce que je pouvais pour informer, alerter et motiver une action afin d’empêcher tout préjudice. Votre rapport ne décrit pas avec honnêteté et précision mes actions ou le travail héroïque des hommes et femmes de la communauté du renseignement. »

Rossini prétend que des documents toujours classifiés pourrait « démontrer un faisceau d’assistance financière, et en outre, le rôle de la CIA dans la tentative de recruter Al-Mihdhar. » Il dit qu’il en est « convaincu » et qu’ « il n’y a pas d’autre explication » justifiant le refus par la CIA de publier de plus amples informations.

Un ancien agent opérationnel de la CIA qui travaillait au CTC en 2001, a raconté à Newsweek en début d’année que la théorie de Rossini était pertinente. « Je trouve ça plutôt difficile à croire, que [Al-Mihdhar] puisse être une source valide, » déclare l’ancien agent, qui passa 25 ans à s’occuper d’espions dans certains des endroits les plus dangereux au monde, y compris au Moyen-Orient. « Mais là encore, les gens qui passaient beaucoup d’appels là-bas à l’époque n’étaient que des analystes subalternes, qui n’avaient aucune expérience en général et aucune expérience sur le terrain, ou aucune sorte d’entraînement opérationnel. »

Les analystes ont commencé à prendre des initiatives allant au-delà de leur niveau de compétence dans la collecte de renseignements, généralement en développant leurs propres « sources » confidentielles dans les services d’espionnage au Moyen-Orient, raconte l’ancien agent, qui parlait sous couvert d’anonymat pour pouvoir discuter librement d’un sujet aussi sensible. Donc il est parfaitement raisonnable, raconte l’ancien agent, de penser qu’un analyste du CTC ait essayé de recruter Al-Mihdhar comme source par l’intermédiaire de contacts saoudiens.

« Je ne pense pas qu’ils aient parlé directement à quelqu’un » sur le terrain, a ajouté l’ancien agent. « Ils ont probablement obtenu une source grâce à un intermédiaire. Donc leur source [sur les pirates de l'air] pourrait avoir été quelqu’un des services saoudiens qui prétendait qu’ils parlaient à quelqu’un, ou une personne des services jordaniens qui disait parler à quelqu’un. En ce qui me concerne, ils étaient un sacré paquet d’enfoirés de menteurs. Donc ils auraient pu faire ça. »

Rossini et son collègue Miller, se conformant aux règles strictes du CTC sur le secret, ont gardé le silence pendant des années au sujet de leur tentative avortée de prévenir le FBI à propos d’Al-Mihdhar, alimentant ainsi les critiques pour mettre en doute leur histoire. Mais lors d’une interview à Newsweek, un ancien collègue du FBI s’est avancé aujourd’hui publiquement, et pour la première fois, afin d’étayer leur version des faits.

James Bernazzani, qui peu de temps après les attentats du 11-Septembre, a pris en charge le contingent du FBI au CTC à Langley, en Virginie, s’est rappelé une rencontre avec Rossini. « Mark est entré un jour dans mon bureau à Langley et m’a dit, "Quelque chose me tracasse vraiment." Il me raconte toute l’histoire » sur comment lui et Miller avaient été interdits de parler à qui que ce soit de la présence probable d’au moins un terroriste d’Al-Qaïda, Al-Mihdhar, aux États-Unis le mois de juillet précédent, raconte Bernazzani.

« J’ai dit, Mark, si ça n’est pas sur papier, ça ne s’est jamais produit. Il a dit, "Je l’ai." Au bout de quelques minutes, il est revenu et me l’a montré. » Miller, comme il s’est avéré, avait fait une copie du message d’avertissement qu’il avait préparé à l’attention du siège du FBI.

« J’ai regardé ça et j’ai dit, "Bon dieu de bordel de merde," » se souvient Bernazzani. « J’ai dit, "Ça aurait pu tout arrêter." J’ai appelé le directeur adjoint Pat D’Armuro, » qui était chargé de l’enquête du FBI sur les attentats du 11-Septembre. « J’ai dit que j’avais besoin de le voir immédiatement. Il a dit, "J’espère que ça vaut le coup." Je lui ai certifié que oui. Je suis directement allé au quartier général du FBI. Ça ne m’a pris que 15 minutes pour y aller. J’ai probablement établi un record de vitesse. »

Bernazzani, qui a pris sa retraite en 2008 avec une récompense présidentielle pour bons et loyaux services, raconte que D’Armuro « y a jeté un coup d’oeil, il m’a regardé, et il a dit, "Je vais m’en occuper." »

Bernazzani est retourné au siège de la CIA. « J’ai dit à Mark que c’était bon, que c’était dans de bonnes mains, » raconte Bernazzani. Plus tard, lorque les enquêteurs du Congrès sont venus chercher des documents liés aux attentats du 11-Septembre, « le FBI n’a pas pu le retrouver dans ses ordinateurs, » dit-il. « S’ils l’ont trouvé, ils ne m’ont rien dit. »

D’Armuro, aujourd’hui directeur général de 930 Capital Management à New York, n’a pas immédiatement répondu à nos demandes de commentaire.

Après toutes ces années, « Ce que Mark dit est la vérité, » affirme Bernazzani. « C’est ce qui s’est passé, » comme disait Rossini.

Quant à savoir pourquoi les analystes de la CIA, au CTC, ont ordonné à Rossini et Miller de ne rien dire au FBI sur les terroristes d’Al-Qaïda se baladant aux États-Unis, Bernazzani ne peut qu’émettre une théorie. « C’était un exemple classique d’analystes qui possèdent une information, » dit-il. « Les opérateurs partagent l’information. Certains analystes avaient tendance à considérer que les informations ne vous regard pas. »

Rossini est plus tranchant. « Ils ont mené une opération clandestine aux États-Unis, et ils ne voulaient pas que le FBI s’en mêle. »

Jeff Stein