"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

20 mai 2015

Washington déclassifie une centaine de documents sur Ben Laden


Cette déclassification intervient alors que l’administration Obama est accusée d’avoir donné une fausse histoire du déroulement de l’opération qui a conduit à la mort du chef d’Al-Qaeda.
 
Les Etats-Unis ont déclassifié et publié ce mercredi de nombreux documents, notes et autres correspondances, qu’ils affirment avoir récupérés dans le raid sur la maison de Ben Laden à Abbottabad, au Pakistan, en mai 2011. Ces révélations interviennent alors que la version officielle de la mort du chef islamiste est remise en cause. Qu’y a-t-il dans ces documents ?

• Les Etats-Unis

Sur un plan stratégique, Ben Laden estime qu’Al-Qaeda doit monter des attaques spectaculaires contre les Etats-Unis, à l’image des attentats du 11 Septembre, et non contre les régimes du Moyen-Orient. «Nous devrions arrêter les opérations contre l’armée et la police dans toutes les régions, spécialement au Yémen», écrit-il dans une lettre. La priorité doit être de «frapper l’Amérique pour la forcer à lâcher» les régimes du Moyen-Orient, «et laisser les musulmans tranquilles», ajoute-t-il.

Le chef d’Al-Qaeda redoutait «que la désunion dans le mouvement jihadiste entraîne sa perte», a souligné un responsable américain du renseignement en commentant les documents sous couvert d’anonymat. «La priorité doit être de tuer et de combattre les Américains et leurs représentants», écrit Ben Laden dans l’un d’eux.

• Les loups solitaires

Des responsables d’Al-Qaeda «pensaient que des petites opérations, comme des attaques de type loup solitaire, pourraient affaiblir l’Ouest économiquement», selon les services de renseignement américains. Ben Laden ne se laissera pas convaincre. Mais après sa mort, Al-Qaeda appellera à des attaques de type «loup solitaire», et le «jihad individuel» défendu par l’un de ses proches, Abou Moussab al-Souri, l’emportera.

• L’Irak

Al-Qaeda en Irak, qui évoluera pour devenir le groupe Etat islamique, est source de conflits au sein de la mouvance extrémiste. En 2007, des jihadistes irakiens écrivent ainsi à Ben Laden pour dénoncer en termes virulents les actions meurtrières d’Al-Qaeda en Irak, des «scandales commis en votre nom».

• Les otages français

En 2010, le chef d’Al-Qaeda donne des directives sur les négociations à mener sur les Français enlevés par Al-Qaeda au Maghreb Islamique (Aqmi), ou deux journalistes français en Afghanistan. Dans les deux cas, il insiste sur la nécessité d’obtenir de la France un engagement de retrait d’Afghanistan – et une rançon pour le cas des otages d’Aqmi.

• La France

Depuis sa maison d’Abbottabad, Ben Laden avait amassé de la documentation sur la France, parce qu’il caressait l’idée d’une attaque pour mettre à genoux son économie, affirment les services de renseignement américains.

Ben Laden s’était ainsi procuré plusieurs rapports d’évaluations de l’économie française, comme une synthèse de la banque néerlandaise Rabobank publiée en janvier 2011. Il s’était aussi procuré un ouvrage intitulé la France économique et sociale au XVIIIe siècle (Henri Sée, 1925) et une étude américaine intitulée la France a-t-elle causé la Grande Dépression ? de 1929.

Le dossier «France» de Ben Laden, fort au total d’une vingtaine de documents, comprenait aussi une étude sur les déchets nucléaires, une liste des compagnies de transport maritimes hexagonales, une étude américaine sur les achats d’armement par le ministère français de la Défense…

La liste de livres et rapports, un peu hétéroclite, montre que Ben Laden a probablement été intéressé par l’idée «d’une attaque sur l’économie française, dans l’espoir de provoquer un effondrement économique» contagieux pour le reste du monde occidental, selon Jeffrey Anchukaitis, porte-parole de la direction du renseignement américain (DNI).

• Marquer l’anniversaire du 11 Septembre

Oussama ben Laden voulait marquer avec éclat le dixième anniversaire des attentats du 11 Septembre, en 2011, en lançant une grande campagne médiatique, selon des documents déclassifiés récupérés lors du raid américain qui a tué le dirigeant d’Al-Qaeda. «Nous attendons le dixième anniversaire des attaques bénies sur New York et Washington qui sera dans neuf mois», écrit Oussama ben Laden dans une lettre non datée mais qui, vu la référence, aurait été rédigée en décembre 2010.

«Vous êtes bien conscient de son importance et de l’importance qu’il y a à tirer avantage de l’anniversaire dans les médias afin d’honorer les victoires des musulmans et afin de communiquer aux gens ce que nous voulons communiquer», poursuit-il dans ce courrier, dont le destinataire n’est pas clairement précisé.

Dans un autre document daté du 5 avril 2011, soit moins d’un mois avant sa mort, un certain «Mahmoud» écrit à Ben Laden et lui fait des recommandations sur le message qu’il devrait adresser à l’occasion du dixième anniversaire. Le message «devrait contenir des instructions et des rappels à la jeunesse et au pays entier. Il devrait être générique et ne pas s’attarder aux détails […] et appeler à la poursuite du jihad», écrit-il à Ben Laden.

• Gérer Al-Qaeda

Conscient du risque que les frappes de drones américaines font peser sur ses cadres, Ben Laden demande dans ces documents de ne pas communiquer par mail, de ne pas se rassembler en groupes importants, et s’inquiète du risque de trouver des puces électroniques cachées dans les vêtements de sa femme. Il se préoccupe aussi du renouvellement des cadres.

«Nous enverrons quelques frères brillants […] étudier à l’université», indique une note, promettant de créer une nouvelle génération de moudjahidin, diplômés en sciences politiques, économie ou ingénierie. Des chimistes également, pour la «fabrication d’explosifs, ce pour quoi nous avons un besoin urgent».

Egalement retrouvé, le formulaire de recrutement de la nébuleuse commence par les habituelles questions d’état civil, mais dérape vite : «Qui devons-nous contacter si vous devenez un martyr ?» «S’il vous plaît, remplissez les informations requises précisément et honnêtement. Ecrivez de manière claire et lisible. Nom, âge, situation maritale. Voulez-vous commettre un attentat suicide ?»

Les documents, pour la plupart des notes internes ou des brouillons de discours jamais prononcés, donnent à voir un Ben Laden obsédé par l’administration. «L’une des spécialités dont nous avons besoin et que nous ne devons pas négliger est la science de l’administration», peut-on lire dans une note qui appelle à des formations professionnelles.

Il appelle à l’entraînement des plus motivés, avec les plus fortes convictions religieuses et surtout les diplômés, dans des lieux sûrs au Pakistan. «Il faut être pieux et patient», insiste une note d’organisation, qui rend hommage à la discrétion de ceux ayant commis les attentats de 1998 contre l’ambassade américaine à Nairobi. «Toute personne qui manifeste de l’ennui, qui ne finit pas les tâches qui lui sont assignées et qui s’énerve vite, nous devons la retirer des missions extérieures, prévient-il. Au Kenya, les frères sont restés dans la maison pendant neuf mois.»

Le chef d’Al-Qaeda explique ne pas avoir besoin de connaître les détails de ces «missions extérieures», titre donné aux attaques contre les intérêts occidentaux. «Mais quand les missions extérieures étaient retardées, j’étais obligé de m’intéresser à la question», déplore-t-il dans une autre note.

• Faire de son fils Hamza son successeur

Brûlant de devenir jihadiste, Hamza, fils d’Oussama ben Laden, écrivait à son père pour l’assurer de sa volonté de rejoindre le combat et le réseau responsable des attentats du 11 Septembre. A 22 ans (aujourd’hui 27), il était le fils préféré d’Oussama ben Laden, qui voulait faire de lui son héritier à la tête d’Al-Qaeda.

Les documents montrent un jeune homme qui se décrit lui-même comme «forgé dans l’acier», prêt à rejoindre son père dans un voyage «vers la victoire ou le martyr». Ils montrent également comment les responsables d’Al-Qaeda voulaient arriver à le faire passer dans la cache de son père. «Ce qui me rend vraiment triste, c’est que les légions de moudjahidin marchent et que je ne les ai pas rejointes», écrit Hamza en juillet 2009, alors assigné à domicile en Iran, selon une traduction en anglais de sa lettre.

Il n’était pas possible de vérifier de façon indépendante l’origine des documents et l’exactitude de la traduction. «J’ai peur de passer ma jeunesse derrière des barreaux de fer, ajoute-t-il. Mon cher père, je t’annonce que moi comme chacun, que Dieu soit loué, nous suivons le même chemin, le chemin du jihad.» «Vous nous avez dit au revoir, on est partis, et c’est comme si on nous avait arraché le foie et qu’on l’avait laissé sur place», écrit-il encore à propos de l’absence de son père.

Un des lieutenants d’Al-Qaeda, Atiyah Abd al-Rahman, écrit à Ben Laden le 5 avril, un mois avant sa mort, en lui présentant trois possibilités concernant Hamza qui vient d’être autorisé à quitter son domicile en Iran. La «moins dangereuse et la plus facile» est de le faire passer par la province pakistanaise du Baloutchistan qui borde l’Iran, écrit Al-Rahman sous le pseudonyme de Mahmud. En attendant, Al-Rahman s’est débrouillé pour que Hamza «étudie le maniement des explosifs», écrit-il. Il promet de l’entraîner au maniement de différentes armes, ajoutant que le jeune homme est «adorable et bon».

Le plan s’élaborant, Khalid, le frère de Hamza, écrit pour sa part que Hamza allait utiliser une fausse carte d’identité et un faux permis de conduire pour faire la route à travers le Baloutchistan.

• Une bibliothèque fournie

Le chef d’Al-Qaeda avait amassé une grande quantité de documentation sur la guerre, le terrorisme, la politique internationale, voire les théories conspirationnistes. Il était grand consommateur des multiples rapports gouvernementaux, parlementaires, administratifs, militaires, judiciaires que la démocratie américaine met en ligne.

Ainsi avait-il téléchargé le rapport final de la commission d’enquête américaine sur le 11 Septembre, les actes d’accusation contre des suspects de terrorisme, un rapport du Sénat sur l’activité sur Internet des groupes extrémistes ou encore la loi post 11 Septembre créant le ministère américain de la Sécurité intérieure.

Ben Laden avait aussi en sa possession les Guerres d’Obama, le livre du journaliste américain Bob Woodward racontant comment le sénateur pacifiste de l’Illinois avait dû se transformer en chef de guerre à son arrivée à la Maison Blanche. Et, dans un autre genre, le livre du conspirationniste David Ray Griffin le Nouveau Pearl Harbour, qui cherche à instiller le doute sur le déroulé des événements des attentats du 11 Septembre.