"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

10 novembre 2013

Elle a croqué le visage du cerveau du 11 Septembre


Seule Janet Hamlin, dessinatrice de Guantánamo, peut faire sortir l'image de Khaled Cheikh Mohammed du tribunal secret.

Khaled Cheikh Mohammed, le cerveau du 11 Septembre, emprisonné à Guantánamo. © Janet Hamlin / POOL/AFP 


À Guantánamo, Janet Hamlin, armée de ses pastels et fusains, croque le nez et la barbe de Khaled Cheikh Mohammed, le cerveau du 11 Septembre. Elle est la seule à pouvoir faire sortir son image du tribunal secret. La croqueuse d'audience est assise, avec journalistes et familles des victimes, derrière une épaisse paroi vitrée qui la sépare des accusés, du juge militaire, des avocats et procureurs. Munie de ses lunettes grossissantes, et de sa planche à dessin, elle "capte visuellement un instant de l'audience" que nul autre n'a jamais pu photographier ni dessiner depuis 2006.

À la suspension d'audience, les cinq accusés des attentats du 11 septembre 2001 déroulent leur tapis de prière et s'agenouillent en direction de La Mecque, sous les yeux des soldats et des familles circonspectes.

Janet Hamlin croque, à toute vitesse, brosse à grands traits de crayon, "saisit l'instant historique", les dossiers qui s'empilent sur les tables des avocats, autant de petits détails qu'elle "peaufinera" plus tard.

Au cours de ses 25 voyages à Guantánamo, la jeune femme n'a jamais obtenu la permission de pénétrer dans la salle, d'approcher les accusés. Mais pour saisir les traits du visage, elle a décroché un "compromis" des autorités militaires : l'autorisation de travailler depuis un écran dans l'ancienne salle d'audience, qui s'élève sur la colline, à quelques centaines de mètres du nouveau tribunal ultra-sécurisé. "C'est la seule manière de voir les visages", assure-t-elle. "Il y a de plus en plus de documents dans la salle du tribunal, c'est de plus en plus difficile de voir vraiment" les accusés, explique-t-elle.

"Un document historique"

"D'une certaine manière, c'est un document historique collectif, c'est une grande responsabilité", explique la New-Yorkaise, qui a rassemblé ses dessins dans Sketching Guantánamo, qui vient de paraître aux États-Unis.

Derrière la paroi vitrée, si elle n'entend les débats qu'avec un différé de 40 secondes, pour permettre à la censure de brouiller les débats top secret, elle "voit toute la scène et les impressions, ce qui se passe vraiment dans la salle".

C'est ainsi qu'elle a pu dessiner la tenue de camouflage qu'après force débats Khaled Cheikh Mohammed a été autorisé à porter à l'audience. C'est ainsi qu'elle a capté toutes les nuances d'orange de l'épaisse barbe de l'architecte présumé du 11 Septembre, qu'il teint avec des épices et des jus de fruits.

Une histoire de nez 

En 2008, l'accusé avait refusé le dessin qu'elle avait fait de lui. Son nez ne lui convenait pas. "Il s'était tourné, m'avait fait face, en tenant (le dessin) et en secouant la tête". Et à la suspension d'audience, ses avocats lui avaient fait savoir qu'il fallait revoir sa copie, en se référant à une vieille photo du FBI.

Devant le refus du modèle, le militaire chargé de contrôler les dessins et de les tamponner a gardé le croquis dans la salle d'audience, le temps que l'artiste "corrige, sous des couches de pastel" les traits du fameux nez.

"Il y a des moments difficiles", se souvient-elle, comme en 2012, quand le Pakistanais Majid Khan a plaidé coupable en costume occidental, et accepté de livrer des informations sur Khaled Cheikh Mohammed en échange d'une remise de peine. "Il était très en colère, il n'avait pas réalisé qu'il y aurait des dessins de lui et refusait qu'ils soient publiés".

Au bout de quatre heures de bras de fer, Janet Hamlin avait eu gain de cause. "J'ai dit (aux militaires) Si vous laissez le détenu être le censeur, vous établirez un précédent."

"Une vraie proximité"

Avant 2008, quand le nouveau tribunal, spécialement conçu pour les accusés du 11 Septembre, a été ouvert, l'artiste travaillait dans l'ancienne salle d'audience, étroite et vétuste, où elle pouvait s'asseoir non loin des accusés. "C'était tellement mieux, on avait une vraie proximité."

C'est ainsi qu'elle a dessiné le plus jeune détenu de Guantánamo, Omar Khadr, aujourd'hui incarcéré au Canada après dix ans dans les geôles de cette enclave américaine à Cuba. Mais aussi une douzaine d'accusés au total, croqués sur 185 dessins.

Avant elle, c'est le dessinateur Art Lien qui avait l'exclusivité des croquis de Guantánamo. Mais à l'époque les autorités américaines interdisaient de dessiner les visages des accusés.