"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

2 octobre 2013

Les nombreux visages de Omar Said Cheikh


ISI: "Le Gouvernement Invisible"


Saïd Cheikh jeune

Ainsi que le London Times l'a décrit, Saïd Cheikh "n'est pas un terroriste ordinaire, mais un homme qui a des connexions qui remontent très haut au sein de l'élite militaire et des renseignements du Pakistan, ainsi que dans les cercles les plus intimes d'Oussama ben Laden et d'al-Qaïda". Afin de saisir pourquoi Saïd est si important pour comprendre le 11/9, il est nécessaire de connaître d'abord l'agence de renseignements pakistanaise, l'ISI (Inter-Services Intelligence). L'ISI joue un rôle bien plus significatif dans le gouvernement pakistanais que ses équivalents dans les autres pays. Time Magazine a fait remarquer : "Même selon les standards flous des agences d'espionnage, l'ISI est peu recommandable. Ce service est communément désigné comme étant 'un état dans l'état' ou le 'gouvernement invisible' du Pakistan". L'ISI a évolué jusqu'à sa forme actuelle durant la guerre entre l'Union Soviétique et les guérillas moudjahidin en Afghanistan, dans les années 80. La CIA pensait que la guerre afghane pourrait être une "guerre du Vietnam" coûteuse pour la Russie, et ils ont débloqué des milliards de dollars pour la résistance moudjahidin afin qu'elle demeure une épine dans le flanc de la Russie. Cette stratégie a marché : les soldats soviétiques se sont retirés d'Afghanistan en 1989, et l'Union Soviétique s'est effondrée deux ans plus tard, en partie à cause des coûts de la guerre.

Mais les coûts pour maintenir les Moudjahidin au combat étaient étourdissants et l'on estime qu'ils se situaient dans une fourchette allant de 6 à 40 Mds de dollars. Alors qu'une partie substantielle de ces sommes provenait de la CIA et du gouvernement saoudien, qui faisait passer l'argent par l'ISI, la plus grande partie des coûts fut reportée sur le commerce de l'opium afghan. Le Sydney Morning Herald a fait remarquer : "La culture de l'opium et la production d'héroïne dans la ceinture tribale du nord du Pakistan et de la partie adjacente de l'Afghanistan constituaient une ramification vitale de la coopération entre la CIA et l'ISI. Elle a réussi à plonger quelques soldats soviétiques dans l'addiction. Les ventes d'héroïne en Europe et aux Etats-Unis, effectuées au travers d'un réseau frauduleux élaboré de transport, de passeurs et de commissions, a compensé le coût d'une guerre qui a duré dix années en Afghanistan". La production d'opium afghan a gonflé de 250 tonnes en 1982, au début de la guerre, à 2.000 tonnes en 1991, juste après la fin de la guerre. Le Minneapolis Star Tribune a fait observer, "Si leurs alliés locaux étaient impliqués dans le trafic de drogue" — l'ISI et leurs alliés en Afghanistan — "cela n'a pas dérangé la CIA".

Bien que la guerre afghane fut terminée, l'ISI continua de faire du profit avec l'opium. En 1999, le Programme des Nations-Unies de la Surveillance de la Drogue a estimé que l'ISI se faisait environ 2 milliards de dollars par an avec la vente de drogues illicites. Le commerce de la drogue a contribué à lier l'ISI à Oussama ben Laden, dont on dit qu'il prenait 15% de commission en échange de la protection des passeurs et du blanchiment de leurs profits.

A partir de 1994, les Taliban, un groupe de Musulmans radicaux qui étudiaient au Pakistan, commencèrent à conquérir l'Afghanistan. Les Taliban avaient été recrutés par l'ISI et s'étaient façonnés en une force fanatique qui conquit la capitale afghane dès 1996. CNN a rapporté : "Les Taliban sont très largement accusés d'être la création des services de renseignements militaires du Pakistan [l'ISI]. Les experts disent que cela explique les succès militaires rapides des Talibans". Ce soutien s'est poursuivi. Par exemple, au début de 2001, un des plus grands experts américains sur l'Asie du Sud a soutenu que les Taliban étaient toujours "payés par l'ISI". L'ISI n'a pas seulement créé les Talibans pour des raisons stratégiques ; ils partageaient la vision radicale extrêmiste des Taliban. Ainsi que le Wall Street Journal le faisait remarquer en novembre 2001, "Malgré leurs mentons rasés et leurs uniformes repassés, les hommes de l'ISI sont aussi fondamentalistes que tous les barbus fanatiques ; l'ISI a créé les Taliban pour qu'ils soient leur instrument et il les soutient toujours".

Le parcours de Saïd

Saïd Cheikh finira par être profondément impliqué dans le monde de l'ISI, ainsi que dans celui d'al-Qaïda. Mais au départ, il semblait être un candidat improbable pour faire une carrière dans l'espionnage et le terrorisme. Il est né en Grande-Bretagne sous le nom de Ahmed Omar Saïd Cheikh, fils d'un riche fabriquant de vêtements pakistanais. Il grandit à Londres et fréquenta les meilleures écoles privées où il fut un brillant étudiant. Il étudia les mathématiques et les statistiques à l'école des Sciences Economiques de Londres. Alors qu'il était encore étudiant, il démarra avec succès une affaire de placements financiers et était aussi champion d'échec, champion de bras de fer de classe internationale et expert en arts martiaux — une combinaison rare de prouesses physiques et mentales.

Sa vie a pris un tournant lorsqu'il s'est porté volontaire pour un travail de charité en Bosnie à la fin de 1992. La guerre bosniaque faisait rage et il fut témoin des atrocités commises par les Serbes et les Musulmans bosniaques. Il retourna en Grande-Bretagne comme Musulman radical engagé. Grâce à ses capacités impressionnantes en économie et en mathématiques, à son aisance en anglais et à sa parfaite compréhension de la société occidentale, il constituait un agent de grande valeur pour n'importe quel groupe terroriste.

En 1993, il apparut au Pakistan en tant que membre d'un groupe militant combattant pour libérer le Cachemire des mains de l'Inde. Le Pakistan combattait l'Inde depuis des années pour le contrôle du Cachemire et il semble que Saïd, à cette époque, était rémunéré par l'ISI pour aider la cause pakistanaise au Cachemire. En 1994, Saïd commença son entraînement dans un camp en Afghanistan. Très vite, c'est lui qui enseigna aux autres. Tandis qu'il s'entraînait là-bas, il développa des liens étroits avec al-Qaïda. A la fin de l'année il était connu pour être le "fils préféré" d'Oussama ben Laden ou "mon fils spécial".

La prison et la fuite


Saïd dans un hôpital indien, peu de temps après avoir été arrêté en 1994. Il fut blessé par balle lors de sa capture [Indian Express]

Saïd Cheikh fut arrêté en Inde en 1994 alors qu'il était en mission d'enlèvement dans le but d'échanger des touristes occidentaux contre des séparatistes cachemiris. L'ISI paya ses frais de justice, mais il fut quand même condamné à servir une longue peine dans une prison indienne. Alors qu'il était en prison, ses capacités naturelles lui permirent de devenir le leader de la vaste population musulmane qui y était enfermée. Selon ses propres termes, il "y vécut pratiquement comme un parrain de la Mafia". Il a été affirmé qu'en 1999 les services de renseignements britanniques ont offert en secret l'amnistie à Saïd et la possibilité de "vivre à Londres en homme libre" s'il acceptait de révéler ses liens avec al-Qaïda. Apparemment, il a refusé. Encore plus curieux, la Pittsburgh Tribune-Review a suggéré en mars 2002 qu'il "y en a beaucoup dans le gouvernement Musharraf à penser que le pouvoir de Saïd Cheikh ne provient pas de l'ISI, mais de ses connections avec la CIA. La théorie est que … Saïd Cheikh a été acheté et qu'il l'a payé".

En décembre 1999, des terroristes ont détourné un avion commercial indien sur Kandahar, en Afghanistan. Après une impasse qui dura huit jours, les 155 otages furent relâchés en échange de Saïd et de trois autres terroristes pakistanais détenus par l'Inde. Il devait déjà être d'une grande valeur pour al-Qaïda, parce que le détournement apparaît avoir été largement financé et mené par eux. Saïd est resté plusieurs jours dans une pension de famille de Kandahar, s'entretenant avec le dirigeant Taliban, le Mollah Muhammad Omar, et Oussama ben Laden. Ensuite, un colonel de l'ISI l'a escorté jusqu'à une résidence sûre au Pakistan.

Saïd trouve de quoi s'occuper


Les pirates de l’air quittent l’avion d’Indian Airlines sous la supervision des Taliban. On leur a donné 8 heures pour quitter le pays. [BBC]

Pendant environ deux années de liberté avant le 11 septembre, Saïd était un terroriste très occupé. Selon Newsweek, Saïd, une fois au Pakistan, "vécut au grand jour — et dans l'opulence — dans un quartier riche de Lahore. Des sources américaines disent qu'il n'a pas fait grand chose pour cacher ses liens avec les organisations terroristes et qu'il a même participé à des réceptions luxueuses en compagnie d'officiels du gouvernement pakistanais". Le gouvernement des Etats-Unis en a déduit qu'il était un "agent protégé" de l'ISI. En fait, sa maison lui avait été donnée par l'ISI. Encore plus étonnant, les médias ont rapporté que Saïd pouvait retourner librement en Grande-Bretagne, exactement comme s'il avait accepté l'offre secrète d'amnistie des britanniques. Il rendit visite à ses parents en Grande-Bretagne en 2000 et une autre fois au début de 2001. Les citoyens britanniques, kidnappés par Saïd en 1994, ont déclaré que la décision du gouvernement de ne pas le traduire en justice était une "honte" et un "scandale".

Il a été rapporté que Saïd a aidé à entraîner les pirates de l'air. C'est sans doute en Afghanistan qu'il a entraîné les autres, puisqu'il s'y rendait régulièrement. Il a aussi été rapporté qu'il a aidé à concevoir pour al-Qaïda un système de communications sécurisées, basées sur un réseau Internet crypté. "Son avenir dans le réseau semblait sans limite ; il y a même eu des pourparlers pour qu'il succède un jour à ben Laden".

Mais en même temps, il passait une grande partie de son temps à travailler pour l'ISI. Il travaillait pour Ijaz Shah, un ancien fonctionnaire de l'ISI qui s'occupait de deux groupes terroristes, pour le général de corps d'armée Mohammed Aziz Khan, lui aussi un ancien chef-adjoint de l'ISI en charge des relations avec le Jaish-e-Mohammed, et pour le général de Brigade Abdulhah, un ancien officier de l'ISI. Les autres officiers supérieurs de l'ISI le connaissaient bien. On ne sait pas quelle quantité de travail pour al-Qaïda a été exécuté sur les ordres de l'ISI.

Le rôle de Saïd dans les attaques du 11/9 est révélé pour la première fois

À partir de là, le complot du 11/9 d'al-Qaïda s'est mis en marche. Quelqu'un, dans les Emirats Arabes Unis, utilisant un faux nom, a transféré périodiquement des sommes d'argent, entre juin 2000 et la veille du 11/9, aux pirates de l'air Mohammed Atta et Marwan Alshehhi. L'identité de cette personne a été un sujet hautement controversé. Le 23 septembre 2001, il fut rapporté pour la première fois que les autorités recherchaient (finalement) Saïd Cheikh, sans autre explication. Le lendemain, il fut rapporté que le "commanditaire" avait été retrouvé et qu'il utilisait l'alias de "Mustapha Ahmed". Le 1er octobre 2001, le Guardian rapportait : "On pense que l'homme situé au centre du réseau financier est Cheikh Saïd, connu aussi sous le nom de Mustapha Mohammed Ahmed", mais on n'était pas sûr à ce moment-là de qui il s'agissait vraiment. Le 6 octobre, CNN révéla que "les enquêteurs américains pensent à présent que Cheikh Saïd, utilisant l'alias de Mustapha Mohammed Ahmed, a envoyé plus de 100.000 dollars à Mohammed Atta à partir du Pakistan". Encore plus important : CNN a confirmé qu'il s'agissait du même Saïd Cheikh qui avait été libéré d'une prison indienne en 1999.

le Général Mahmoud et l'ISI entrent dans la danse


Le Président Musharraf serre la main du Directeur de l’ISI, le Général de Corps d’Armée Mahmoud [AFP]

Le 7 octobre 2001, le Président pakistanais Musharraf licencia le chef de l'ISI — le Général de Corps d'Armée Mahmoud Ahmed. Le lendemain, des quotidiens, surtout en Inde mais aussi au Pakistan, ont dit qu'il avait été licencié pour son rôle dans les attaques du 11/9, ce qui a créé un véritable scandale. Par exemple, un quotidien pakistanais a déclaré : "Le Général de Corps d'Armée, Mahmoud Ahmed, a été remplacé après que les enquêteurs du FBI ont montré qu'il avait des liens crédibles entre lui et Omar Sheikh, l'un des trois militants libérés en échange des passagers de l'avion d'Indian Airlines qui avait été détourné en 1999… Des sources bien informées ont déclaré qu'il y avait suffisamment d'indices récoltés par les agences de renseignements américaines selon lesquelles c'était le Général Mahmoud qui avait donné l'instruction à Cheikh de transférer 100.000 dollars vers le compte de Mohammed Atta…" Des journaux indiens ont soutenu que les services secrets indiens avaient contribué à établir le lien. Pourtant, cette histoire explosive n'a pratiquement pas été mentionnée en Occident. Aux Etats-Unis, aussi surprenant que cela paraisse, la seule mention se trouvait dans une brève du Wall Street Journal, "Les autorités américaines … confirment (ont confirmé) que 100.000 dollars ont été transférés au pirate de l'air du WTC, Mohammed Atta, à partir du Pakistan par Ahmed Omar Cheikh sur l'instruction du Général Mahmoud". La plupart des autres comptes-rendus occidentaux expliquaient simplement que Mahmoud avait été licencié parce qu'il était trop proche des Taliban.

Si elle est véridique, cette histoire suggérerait fortement que l'ISI a joué un très grand rôle dans les attaques du 11/9. Pourquoi un tel silence sur une histoire de cette importance ? On pourrait mettre sur le compte du scepticisme le fait que cette histoire était simplement de la propagande indienne. Mais une description plus large, détaillée ci-dessous, suggère qu'il y a quelque chose de plus dans l'attitude des médias : une forte réticence à imprimer toute preuve suggérant que le Pakistan se trouvait derrière les attaques du 11/9.

La disparition soudaine et complète de Mahmoud semble aussi étrange. Il est rapporté qu'il vit "virtuellement en résidence surveillée" , et qu'il a refusé de parler aux journalistes depuis son licenciement. D'autres anciens directeurs de l'ISI qui vivent au Pakistan et qui semblent soutenir encore plus les Taliban continuent de se faire entendre très fort (comme le Général de Corps d'Armée, Hamid Gul ), et de nombreux autres officiers de l'ISI ont soutenu les Taliban d'une façon qui ressemble à une défiance des souhaits de Musharraf et ils ne sont pas menacés de résidence surveillée.

On a détourné l'attention de Saïd

Non seulement Mahmoud est soudainement devenu persona non grata, mais maintenant qu'il est impliqué dans l'histoire de ce dernier, c'est vrai aussi de Saïd Cheikh. On le mentionna une nouvelle fois comme mandataire du 11/9, la veille du jour où l'histoire de Mahmoud fut révélée, et puis soudainement, toute mention de son nom a disparu (à une seule exception ). A partir de cet instant, le FBI a mis en avant une flopée d'autres noms pour l'identité de celui qui a tenu le rôle de commanditaire du 11/9. Cette histoire est trop complexe pour en donner ici tous les détails, mais le FBI et les médias, à tour de rôle, ont fait prendre la place de Saïd Cheikh par un Egyptien nommé Shaykh Saiid, un Saoudien nommé Sa'd Al-Sharif, que l'on dit être le beau-frère de ben Laden , un Kenyan nommé Cheikh Sayyid el Masry, un Mustapha Ahmed al-Hawsawi ou al-Hisawi (suggérant qu'aucun faux nom n'était utilisé), un Saïd Cheikh al-Sharif , un Ali Abdul Aziz Ali (pour quelques-uns des transferts d'argent), etc. Plus récemment, le FBI a déclaré que le candidat le plus connu, Shaikh Saiid al-Sharif, n'existe pas, mais est probablement un mélange de Mustapha Ahmed al-Hisawi, Shaikh Saiid al-Masri et Saad al-Sharif. Newsweek, en donnant encore une autre variante de ce nom, Mustapha Ahmed Adin al-Husawi, déclare que cette personne "reste pratiquement un mystère total" et personne n'est sûr de son nom ou même s'il s'agit d'une seule personne. (Notez que Saïd apparaît être un maître dans l'art du déguisement, comme on peut le voir à travers le nombre déconcertant de noms qui lui sont attribués par les médias : Cheikh Syed, Ahmed Omar Cheikh, Omar Cheikh, Cheikh Omar Saïd, Omar Saiid Cheikh, Cheikh Omar, etc. Il a ouvert des comptes en banque en utilisant beaucoup de variantes de son nom, ou même des noms sans aucune relation.)

Tandis que le FBI et les médias ont mis en avant une série de noms à consonance remarquablement similaire à Saïd Cheikh ou aux faux noms qu'il utilisait, ils ont ignoré ou oublié les preuves solides qui lient Saïd Cheikh au 11/9. Examiner ces preuves signifie confronter les liens entre Saïd et l'ISI, et la possibilité qu'il agissait sous les ordres de Mahmoud, ou même du Président Musharraf.

Saïd, qui travaillait avec des gens du milieu de la pègre, remet de l'argent à Mohammed Atta


Aftab Ansari. [Press Trust of India]

Pendant les cinq années que Saïd a passé dans une prison indienne, il a développé des amitiés avec quelques personnes assez répugnantes. Une de ces personnes était Aftab Ansari. Ansari est un gangster indien qui fut libéré sous caution vers la fin de l'année 1999 et qui a ensuite filé du pays. De plus, Saïd a rencontré un prisonnier prénommé Asif Raza Khan, lui aussi libéré en 1999 . Ansari a emménagé à Dubaï, aux Emirats Arabes Unis (E.A.U.), et a commencé à étendre son réseau criminel basé en Inde avec Asif Raza Khan et d'autres. Dès le début de 2001, ils avaient mis sur pied un réseau d'enlèvements. Ils kidnapperaient de riches hommes d'affaires indiens et utiliseraient l'argent pour financer d'autres activités illégales. Leur nouvel ami Saïd, puisant dans son ancienne expertise en entraînement de terroristes, fournissait l'entraînement et les armes aux kidnappeurs en échange d'un pourcentage sur les bénéfices. Le réseau criminel souterrain d'Ansari assisterait aussi l'ISI dans le déroulement d'attaques terroristes en territoire indien.

À la fin de juillet 2001, un riche fabricant indien de chaussures fut kidnappé à Calcutta, en Inde. Au début du mois d'août, sa rançon fut payée au groupe d'Ansari et la victime fut libérée. Ansari a donné à Saïd, qui les a envoyés au pirate de l'air Mohammed Atta, environ 100.000 $ sur les quelques 830.000 $ de la rançon collectée. Une série de courriels récupérés montre que cet argent a été envoyé juste après le 11 août 2001.

Remarquez que ces 100.000 $ représentent la même somme que celle que le Directeur de l'ISI, Mahmoud, est supposé avoir dit à Saïd d'envoyer à Atta. Toutefois, le timing de l'exécution de l'ordre de Mahmoud n'est pas connu. Il pourrait se rapporter à cette transaction de début août 2001 ou il pourrait se rapporter aux quelques 100.000 $ envoyés à Atta de Dubaï, entre juin et septembre 2000. Il y a probablement eu d'autres transactions, puisque l'on pense que les pirates de l'air ont dépensé entre 500.000 $ et 600.000 $ aux Etats-Unis. Au moins 325.000 $ provenaient de la personne qui utilisait le pseudo de "Moustafa Ahmed" et des variantes de ce nom. L'absence de régulations bancaires dans les Emirats Arabes Unis et le secret qui entoure le système moyen-oriental "hawala" de transferts d'argent a apparemment dissimulé les détails de ces autres transferts d'argent. Mais cela peut expliquer que Saïd n'aurait pas envoyé seulement un transfert d'argent sur les ordres de Mahmoud et le reste de sa propre initiative. Il est probable que Saïd a utilisé l'argent d'Ansari pour laisser encore moins de traces qu'avec de l'argent d'un compte en banque régulier.

Le FBI a rapporté qu'un grand nombre des pirates de l'air sont passés par Dubaï et ont rencontré le commanditaire du 11/9. Ils auraient reçu des cartes Visa, des chèques de voyage et de l'aide pour ouvrir des comptes en banque. Cela suggère de plus que le commanditaire était Saïd, puisqu'il faisait de fréquents voyages à Dubaï à cette période.

Le Soutien du Pakistan au Terrorisme


Maulana Massoud Azhar.

Pourquoi les services secrets pakistanais auraient-ils financé ouvertement quelqu'un comme Saïd ? La population du Pakistan ne représente qu'une fraction de son grand-rival, l'Inde, et dans une guerre conventionnelle, ils risqueraient de s'en tirer très mal. Les deux pays se sont livrés plusieurs guerres pour le territoire du Cachemire qu'ils se disputent. C'est parce que l'armée pakistanaise ne peut pas rivaliser avec l'Inde au Cachemire qu'il a eu recours à des attaques de guérilla en utilisant des terroristes musulmans radicaux pour compenser la faiblesse de ses rangs. L'ISI dirige les groupes terroristes qui combattent au Cachemire, mais il essaye de garder un certain niveau de distance et des arguments plausibles pour le nier.

On soutient généralement que les groupes terroristes qui combattent au Cachemire n'ont rien à voir avec les autres groupes terroristes qui combattent d'autres ennemis de l'Islam à travers le monde. Cependant, cette distinction n'existe pas dans la réalité. Par exemple, le chef terroriste Maulana Massoud Azhar a été libéré avec l'aide d'al-Qaïda lors du même piratage de l'air et échange qui a libéré Saïd. Azhar est rapidement retourné au Pakistan en janvier 2000, mais n'a pas fait l'objet d'une arrestation. Au lieu de cela, quelques jours après avoir été libéré, il a déclaré devant une foule pakistanaise de 10.000 supporteurs acquis à sa cause : "Je suis venu ici parce que c'est mon devoir de vous dire que les Musulmans ne devraient pas rester en paix tant que nous n'avons pas détruit l'Amérique et l'Inde". Puis il a fait une tournée au Pakistan pendant des semaines sous la protection de l'ISI. Saïd était devenu proche d'Azhar dans la prison indienne. Au début de l'année 2000, Saïd et l'ISI ont aidé Azhar à former un groupe terroriste, le Jaish-e-Mohammed, et Azhar se retrouva rapidement derrière des actes terroristes, essentiellement au Cachemire. Lors de ses nombreuses attaques, le Jaish-e-Mohammed a travaillé avec l'ISI, Saïd et Azhar. Par exemple, peu après l'attentat à la bombe d'octobre 2001 au Cachemire, les services de renseignements indiens ont soutenu que le président pakistanais Musharraf avait reçu un enregistrement d'un appel téléphonique entre le chef du Jaish-e-Mohammed, Maulana Massoud Azhar et le Directeur Mahmoud, dans lequel Azhar rapportait que l'attaque à la bombe avait été un "succès". Au début de janvier 2002, alors que le FBI cherchait à questionner Azhar, un officiel pakistanais fit remarquer que "Les Américains sont conscients qu'Azhar a souvent rencontré ben Laden et ils sont convaincus qu'il peut leur donner des informations importantes sur les allées-venues actuelles de ben Laden et même sur les attaques du 11 septembre".

L'ISI, surtout par l'intermédiaire de ces groupes terroristes agissant par procuration, a des liens profonds avec al-Qaïda. En 1993, ce même Azhar a aidé à entraîner al-Qaïda et a financé en Somalie les forces constituées de "seigneurs de la guerre" pour qu'elles puissent tuer les soldats américains stationnés en Somalie. Ces attaques forcèrent les Etats-Unis à se retirer de ce pays. Pendant des années, l'ISI a fait s'entraîner des groupes terroristes cachemiris, comme le Jaish-e-Mohammed, dans les mêmes camps d'entraînement en Afghanistan que ceux utilisés par ben Laden. En fait, en août 1998, lorsque Clinton envoya des missiles pour tuer ben Laden dans l'un de ses camps d'entraînement, les missiles tuèrent accidentellement cinq officiers de l'ISI et quelques 20 de leurs stagiaires.

Protéger ben Laden

Le gouvernement pakistanais a non seulement assisté al-Qaïda, il a contribué à garder ben Laden en vie. Il a largement été dit que ben Laden souffre de sévères problèmes médicaux. Le 2 juillet 2001, un quotidien indien rapportait que "ben Laden, qui souffre de déficience rénale, a régulièrement été placé sous dialyse dans un hôpital militaire de Peshawar alors que l'Inter-Services-Intelligence (ISI) en avait connaissance et l'approuvait, voire avec l'accord [du président pakistanais] Musharraf lui-même". [SARPA, 2 juillet 2001] La très respectée lettre d'information d'Intelligence, Jane's Intelligence Digest, rapporta plus tard la même histoire et n'était pas loin de la confirmer : "Aucuns [de ces détails] ne seront inhabituels pour les agents des services de renseignements américains qui ont compilé des rapports détaillés sur ces activités présumées". CBS rapporta plus tard que ben Laden a reçu un traitement médical d'urgence au Pakistan la veille du 11 septembre. Il est entré dans un hôpital militaire à Rawalpindi pour une dialys et en est sorti discrètement. Les forces militaires pakistanaises veillaient sur lui. Elles ont aussi remplacé tout le personnel médical habituel du service d'urologie et envoyé une équipe secrète pour les remplacer. L'article de Jane's ajoutait : "Il devient clair que les Taliban et al-Qaïda auraient trouvé qu'il était difficile de continuer à fonctionner ensemble — notamment à cause des activités terroristes de ces derniers — sans une aide et un soutien substantiels du [Pakistan]".

Sans aucun doute, le refuge sûr de ben Laden en Afghanistan n'aurait pu exister sans l'ISI. Deux jours avant le 11/9, les Taliban ont anticipé une réaction violente post-11/9 en éliminant leur principal ennemi. Deux hommes se faisant passer pour des journalistes assassinèrent le chef de l'Alliance du Nord, le [commandant] Ahmed Shah Massoud, le chef numéro un de l'opposition qui disposait d'un large soutient populaire en Afghanistan. Ses assassins entretenaient des liens tant avec al-Qaïda qu'avec l'ISI. L'armée des Taliban s'était amassée depuis des semaines en vue d'une attaque contre l'Alliance du Nord, mais n'attaqua pas avant plusieurs heures après l'assassinat de Massoud. Une grande partie de cette force était en fait constituée de soldats pakistanais. Lorsque les Etats-Unis attaquèrent l'Afghanistan après le 11/9, l'ISI a soutenu en secret les Taliban avec des conseillers militaires et des chargements d'armes, malgré leur promesse faite aux Etats-Unis de ne pas le faire.

Un diplomate occidental anonyme a fait remarquer plus tard : "Nous n'avons pas compris totalement la signification du rôle du Pakistan lorsqu'il a soutenu les Taliban, jusqu'à ce que leurs hommes se retirent et que les choses deviennent infernales pour les Taliban". Mais la raison pour laquelle on ne l'a pas compris reste un mystère. En juin 2001, des journalistes de l'UPI ont fait remarquer : "Malgré le démenti officiel du Pakistan, les Taliban sont entièrement dépendants de l'aide pakistanaise. Ceci a été vérifié sur le terrain par l'UPI. Tout, de l'eau en bouteille au pétrole, de l'essence au kérosène, et des équipements téléphoniques aux fournitures militaires, vient du Pakistan".

Une visite curieuse

Les relations entre les Etats-Unis et l'ISI sont difficiles à sonder. Le 4 septembre 2001, le Directeur de l'ISI, Mahmoud Ahmed, est arrivé à Washington DC. Le 10 septembre, un journal pakistanais rapportait cette visite, déclarant qu'elle avait "déclenché des spéculations sur l'ordre du jour de ses rencontres mystérieuses, qui se tenaient au Pentagone et à la NSA [National Security Agency]". Ce journal a aussi rapporté ses rencontres avec George Tenet (le Directeur de la CIA), des hauts fonctionnaires non spécifiés de la Maison Blanche et du Pentagone, ainsi que la "rencontre la plus importante" du Général Mahmoud avec Mark Grossman, le sous-Secrétaire d'Etat en charge des Affaires Politiques. Cet article suggérait que "bien sûr, Oussama ben Laden" fût au centre de certaines discussions. D'une façon prophétique, l'article ajoutait : "Ce qu'il y a de plus intéressant avec la visite de Mahmoud, c'est l'historique de telles visites. La dernière fois que [son] prédécesseur était à Washington, la politique intérieure [pakistanaise] fut chamboulée en quelques jours. Le fait que ce ne soit pas la première visite de Mahmoud de ces trois derniers mois montre l'urgence des pourparlers en cours". En mai 2001, George Tenet et Richard Armitage (le Secrétaire d'Etat adjoint) s'étaient rendus en Asie du Sud. On ne sait pas s'ils y ont rencontré Mahmoud ou qui que ce soit d'autre à l'ISI, mais selon des comptes-rendus de presse fiables, Tenet a eu des entretiens "exceptionnellement longs" avec le Président Musharraf. Il est aussi intéressant de noter qu'Armitage est connu pour son "large cercle d'amis dans l'armée pakistanaise et dans l'ISI" , de même que pour ses liens avec l'affaire "Iran-Contra".


Bob Graham, John Kyl et Porter Goss. De quoi discutaient-ils avec le Général Mahmoud ?


Bien sûr, tout le monde sait que la politique s'est retrouvée "sans dessus dessous" le lendemain de la publication de l'article du Karachi News (10 septembre 2001). Mais ce que peu de gens savent, c'est que le matin du 11 septembre, le Général Mahmoud était présent à un petit-déjeuner de discussion au Capitole en compagnie des présidents des Comités de Renseignements de la Chambre et du Sénat, le Sénateur Bob Graham (D) et le Député Porter Goss (R). On a dit que cette rencontre a duré au moins jusqu'à ce que le deuxième avion touche le World Trade Center. Goss a admis lui-même avoir été pendant dix ans un vétéran de la branche 'opérations clandestines' de la CIA. Goss et Graham seraient plus tard les chefs des enquêtes conjointes Chambre-Sénat sur les attaques du 11 septembre. Et Goss, en particulier, fit les gros titres pour avoir déclaré qu'il n'y avait pas de "preuve encore fumante" indiquant que le gouvernement était suffisamment au courant pour éviter les attaques du 11 septembre. Etaient aussi présent à cette rencontre le Sénateur John Kyl (R) et l'ambassadeur du Pakistan aux Etats-Unis, Maleeha Lodhi (remarquez que toutes ou pratiquement toutes les personnes qui étaient présentes à cette rencontre avaient aussi rencontré le Général Mahmoud au Pakistan quelques semaines auparavant ). Voici ce que le Sénateur Graham a dit plus tard de cette rencontre : "Nous parlions du terrorisme, spécifiquement du terrorisme généré en Afghanistan", et le New York Times a mentionné que la discussion tournait spécifiquement autour de Ben Laden. Le fait que ces personnes se soient rencontrées au moment des attaques est pour le moins une étrange coïncidence — et ceci sans parler du sujet de leur conversation !

Les 12 et 13 septembre, le Général Mahmoud a rencontré le Secrétaire d'Etat adjoint Richard Armitage, le Sénateur Joseph Biden, le Président du Comité des Relations Etrangères du Sénat et le Secrétaire d'Etat Colin Powell. Un accord sur la collaboration du Pakistan dans la toute nouvelle "guerre contre le terrorisme" fut négocié entre Mahmoud et Armitage. Toutes ces rencontres ont coordonné la réponse du Pakistan au 11 septembre. N'est-il pas étrange que les termes des engagements du Pakistan à combattre al-Qaïda furent négociés avec l'homme qui aurait pu donner l'ordre d'envoyer 100.000 dollars aux pirates de l'air du 11 septembre ?

Qu'arriverait-il si Saïd racontait tout ce qu'il savait ?

Saïd Vit Toujours au Grand Jour au Pakistan


Cette photo de Saïd a été prise en novembre 2001. Il se trouve à une fête en compagnie d'officiels du gouvernement alors que ces derniers prétendent ne pas savoir où il se trouve. [AP]

Dans les jours qui ont précédé le 11 septembre, une vague de transferts de fonds s'est opérée entre le commanditaire du 11/09 dans les Emirats — sans doute Saïd — et les pirates de l'air. Entre le 6 et le 10 septembre, 26.315 dollars furent renvoyés par les pirates de l'air vers les Emirats — l'argent non-utilisé du complot du 11 septembre. Le 11 septembre, dans les heures qui ont précédé les attaques, le commanditaire a transféré 40.871 dollars de son compte en banque aux Emirats vers le compte de sa carte Visa, et attrapa un vol le conduisant des Emirats vers le Pakistan. Il y a des enregistrements de ses retraits DAB à Karachi le 13 septembre et ensuite on perd sa trace. Saïd a déclaré plus tard qu'il avait rencontré Oussama ben Laden en Afghanistan quelques jours après le 11 septembre (mais n'a rien dit sur un quelconque rôle dans le 11/9).

Ensuite, Saïd continua de vivre au grand jour dans sa maison de l'ISI à Lahore, au Pakistan. On le "voyait fréquemment" à des fêtes locales organisées par des dirigeants du gouvernement et "ne faisait pas mystère" de ses allées et venues. En janvier 2002, il célébra la naissance de son enfant lors d'une fête qu'il donna en ville. Cela semble indiquer qu'après le 11 septembre, il a servi d'intermédiaire entre ben Laden et l'ISI, ce qui est parfaitement plausible étant donné son implication dans ces deux groupes. Qui plus est, "On pense qu'il a aidé à préparer la dernière interview enregistrée de Ben Laden" au début de 2002.


Un terroriste est étendu mort près de l'entrée de l'immeuble du parlement indien. [R. V. Moorthy]

Pendant ce temps, les partenariats entre Saïd et l'ISI, d'un côté, et entre Ansari et son mouvement clandestin criminel indien, de l'autre, ont continué de prouver qu'ils étaient profitables et productifs. Le 1er octobre 2001, une attaque suicide au camion piégé contre l'assemblée parlementaire provinciale du Cachemire, contrôlée par les Indiens, tua 36 personnes. Le 13 décembre 2001, l'immeuble du parlement à New Delhi fut attaqué par des terroristes. Quatorze personnes, dont cinq assaillants, y trouvèrent la mort. Le 22 janvier 2002, un groupe de policiers indiens pour la plupart non-armés qui se trouvaient à proximité de l'immeuble du Service Américain d'Information à Calcutta, fut attaqué par des bandits armés ; quatre policiers furent tués et 21 personnes blessées. Il apparaît que Saïd et Ansari se trouvaient derrière toutes ces attaques. Ansari a même appelé de Dubaï pour revendiquer l'attaque de Calcutta. Le Jaish-e-Mohammed, le groupe de Maulana Massoud Azhar, est aussi impliqué dans ces attaques.

Une Justice Lente

Comme il a déjà été dit, il a d'abord été rapporté que les autorités recherchaient Saïd le 23 septembre 2001. En fait, il semble que les services de renseignements britanniques ont commencé quelque part en août 2001 à demander une assistance légale pour attraper Saïd Cheikh. Il n'est pas clair s'ils allaient commencer enfin à le punir pour l'enlèvement de Britanniques en 1994 ou s'ils étaient motivés à cause de quelque nouvelle activité. Le rôle de Saïd dans le 11/9 commença à être rapporté à la fin de septembre et au début d'octobre, mais un magazine indien aurait noté : "Curieusement, il semble qu'il y ait eu peu de pression internationale sur le Pakistan pour qu'ils le remettent".

L'étrange lenteur à attraper Saïd s'est poursuivie. En novembre 2001, un grand jury américain a finalement inculpé secrètement Saïd Cheikh pour l'enlèvement de citoyens américains sept ans auparavant. Les Etats-Unis ont soutenu par la suite qu'ils avaient demandé en novembre 2001 de l'aide au Pakistan pour retrouver Saïd. Cependant, cela a pris jusqu'au 9 janvier 2002 à Wendy Chamberlin, l'ambassadeur des Etats-Unis au Pakistan, pour demander officiellement au gouvernement pakistanais son assistance dans l'arrestation et l'extradition de Saïd. On a vu encore Saïd dans les fêtes des officiels du gouvernement pakistanais pendant une bonne partie de janvier 2002. Le Los Angeles Times rapporta plus tard que Saïd "s'était installé [en février] au Pakistan sans que les autorités ne l'en empêchent". Le London Times a déclaré : "Il est inconcevable que les autorités pakistanaises ne savaient pas où il se trouvait" avant. Il a fallu les événements relatifs à Daniel Pearl pour que le Pakistan "découvre" enfin l'endroit où se trouvait Saïd.

Daniel Pearl … et Robert Mueller entrent en scène


Le journaliste du Wall Street Journal, Daniel Pearl.

Pendant ce temps, Saïd, toujours très occupé, prenait part à un nouvel enlèvement. La cible était le journaliste du Wall Street Journal, Daniel Pearl. Pearl était devenu fasciné par une quantité d'histoires impliquant l'ISI. Le 4 décembre 2001, il rapporta des liens entre l'ISI et une organisation pakistanaise qui travaillait à livrer à Ben Laden des secrets nucléaires avant le 11/9. Quelques jours plus tard, il rapporta que le Jaish-e-Mohammed avait toujours des bureaux et un compte en banque qui fonctionnaient, même après que le Président Musharraf prétende qu'il avait interdit ce groupe. Il commença à mener des investigations sur les liens entre le terroriste aux chaussures, Richard Reid, et les militants pakistanais liés à l'ISI, enquêtant sur Dawood Ibrahim, un terroriste et gangster puissant protégé par l'ISI , et a peut-être aussi enquêté sur le soutien et l'entraînement de l'ISI par les Etats-Unis. L'ex-agent de la CIA, Robert Baer, a soutenu plus tard qu'il travaillait avec Pearl sur l'enquête du cerveau du 11/9, Khaled Cheik Mohammed. On a dit plus tard que Mohammed était le cerveau derrière la tentative d'explosion à la chaussure par Reid et qu'il avait des connexions tant avec des gangsters pakistanais qu'avec l'ISI, donc certaines des explications pourraient concorder. Saïd, le kidnappeur, disait de Pearl : "C'est son hyperactivité qui a éveillé notre intérêt".

La tentative d'amener Pearl à se trouver dans une situation où il pourrait être kidnappé démarra le 11 janvier 2002. Le 22 janvier, le Directeur du FBI, Robert Mueller, se rendit en Inde et des enquêteurs indiens lui dirent que Saïd Cheikh avait envoyé aux Etats-Unis au pirate de l'air Mohammed Atta de l'argent provenant de rançons. Cette histoire perçait à présent dans la presse, étant même rapportée aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Le 23 janvier, Saïd a aidé à kidnapper le journaliste Daniel Pearl. Toujours le 23 janvier, le partenaire criminel de Saïd, Aftab Ansari fut placé sous surveillance à Dubaï, aux Emirats Arabes Unis. Le lendemain, Mueller se rendit au Pakistan et discuta de Saïd lors d'une rencontre programmée précédemment avec le Président Musharraf. Apparemment, le rôle de Saïd dans l'enlèvement de Pearl n'était pas encore connu. Ensuite, Mueller s'est envolé pour Dubaï, afin de faire pression sur le gouvernement des Emirats pour qu'ils arrêtent Ansari et l'extrade vers l'Inde, avant de retourner aux Etats-Unis . Ansari fut arrêté le 5 février et extradé quatre jours plus tard.


Aftab Ansari menotté.

Le président pakistanais Musharraf doit avoir décidé que Saïd en savait trop et qu'il devait mourir avant qu'il puisse être extradé vers les Etats-Unis. Vers le 31 janvier 2002, Daniel Pearl fut assassiné par ses kidnappeurs. Selon les enquêteurs de la police, "il y avait au moins huit à dix personnes présentes sur la scène du crime" et au moins 15 personnes qui ont participé à cet enlèvement et à ce meurtre. "Malgré toute la série de demandes politiques, peu après l'enlèvement de Pearl qui a eu lieu il y a quatre semaines, il semble à présent que les kidnappeurs aient planifié depuis le début de tuer Pearl". Musharraf a même déclaré de façon éhontée : "Peut-être Daniel Pearl a-t-il été trop curieux ? Une personne des médias devrait avoir conscience des dangers qu'il y a à s'embarquer dans des zones dangereuses. Malheureusement, il s'est trop impliqué" dans les "jeux des services secrets". En même temps qu'il pouvait éliminer le trop curieux Pearl, Musharraf pouvait punir Saïd pour être sûr qu'il resterait silencieux sur les liens entre l'ISI et le 11/9.

Le moment choisi par Mueller pour effectuer ses visites est tout à fait curieux. Après des mois passés à ne pas faire grand-chose pour attraper Saïd, Mueller voyage soudain dans toute l'Asie et Saïd et Ansari sont tous deux arrêtés en quelques jours ! Mueller a-t-il agi de concert avec Musharraf pour réduire Saïd au silence afin que les reportages indiens sur l'implication de Saïd dans le 11/9 puissent être broyés ? Comme il est démontré ci-dessous, le gouvernement des Etats-Unis a agi depuis comme si cela avait toujours été le cas.

Le Piège se Referme


Daniel Pearl avant son exécution.

Pour capturer Saïd, il semble que la police ait rassemblé tous les membres de sa famille et qu'elle ait probablement menacé de les tuer ou de leur faire du mal à moins qu'il ne se rende. Le 5 février, Saïd s'est livré, non pas à la police, mais à son chef à l'ISI, Ijaz Shah. Pendant la semaine qui a suivi, Saïd et l'ISI ont travaillé à mettre au point "un accord sur le minimum qu'il dirait sur le soutien que l'ISI apporte aux groupes terroristes au Cachemire et au Pakistan, en échange de sa non-extradition vers les Etats-Unis. Ni la police pakistanaise, ni l'ambassade américaine, ni le FBI (qui se trouvait à Islamabad et qui enquêtait sur cet enlèvement) n'ont été informés du fait que Saïd étaient "retenu" par l'ISI durant cette période". Le Président Musharraf, lui, voyageait pendant ce temps-là aux Etats-Unis. Le journaliste Seymour Hersh soutient que Musharraf savait que Saïd était retenu par l'ISI, mais qu'il avait soutenu publiquement qu'il n'en savait rien.

"Une fois l'accord passé, c'est un Saïd Cheik plein d'audace qui s'est rendu à la police, leur parlant de la capture de Pearl mais en leur mentant sur tous les faits possibles — y compris son lien avec l'ISI". Quand le FBI le questionna sur ses liens avec l'ISI, Saïd répondit : "Je ne discuterai pas de ce sujet… Je ne veux pas que ma famille soit tuée". Il a ajouté en termes sibyllins : "Je connais des gens au gouvernement et ils me connaissent et ils savent quel est mon travail". Il a admis ses liens avec Ansari, exactement comme Ansari a admis plus tard ses liens avec Saïd et l'ISI, mais tous deux ont refusé de discuter du 11/9.

La reddition de Saïd fut rendue publique le 13 février. Ensuite, il confessa le meurtre de Daniel Pearl. Pourtant, ainsi que le rapporte Newsweek, il est resté "confiant et même impudent". Il a déclaré à ses interrogateurs qu'il était "certain" de ne pas être extradé vers les Etats-Unis et il a déclaré qu'il ne servirait pas plus de "trois ou quatre années" dans une prison pakistanaise. Plusieurs autres personnes furent arrêtées pour leur participation dans le meurtre de Pearl. Comme Saïd, la plupart avaient des liens à la fois avec l'ISI et al-Qaïda. Il y en a même eu qui s'est vanter d'avoir volé une fois à bord de l'avion personnel de ben Laden.

Trahison

Mais Saïd et les autres se firent avoir. Musharraf n'avait pas l'intention d'extrader Saïd vers les Etats-Unis. L'ambassadeur américain au Pakistan a même rapporté que Musharraf avait dit en privé : "Je préfèrerais le pendre moi-même" que de l'extrader. Il était tout simplement trop risqué de le garder en vie ; ses liens à la fois avec l'ISI et les pirates du 11 septembre étaient trop évidents. Ainsi que le Washington Post l'a exprimé, "[L'ISI] est une maison des horreurs qui ne demande qu'à être dévoilée. Saïd a des choses à raconter". Donc, l'accusation cherchait la peine de mort pour Saïd, pas une petite peine. Saïd revint sur sa confession. Le 5 avril, dans un article intitulé "A Certain Outcome for Pearl Trial: Death Sentences Expected, Despite Lack of Evidence", NBC a rapporté: "Certains aussi dans le gouvernement pakistanais sont très inquiets de ce que Saïd pourrait dire devant le tribunal. Son organisation et les autres groupes militants ont ici des liens avec l'agence des service secrets pakistanais [l'ISI]. Il y a des inquiétudes qu'il pourrait essayer d'impliquer cette agence gouvernementale dans l'affaire Pearl, ou autres affaires douteuses qui pourraient être pour le moins embarrassantes."

Le 3 mars, le Secrétaire d'Etat Colin Powell a exclu tout lien entre "des éléments de l'ISI" et les meurtriers du journaliste Daniel Pearl. Le Guardian a été l'une des rares voix à interpeller Powell sur ce mensonge évident et à dire que le commentaire de Powell était "choquant", étant donné les preuves accablantes montrant que le suspect principal, Saïd Cheikh, travaillait pour l'ISI : "S'il était extradé vers Washington et qu'il était décidé à parler, toute cette histoire serait dévoilée. Sa famille a peur. Ils pensent que Saïd pourrait être traduit devant une cour d'exception et exécuté pour empêcher que l'identité de ses commanditaires ne soit révélée". Une semaine avant que Powell ne fasse son commentaire, même son collègue à la Défense, Donald Rumsfeld "a reconnu que des rapports montraient qu'Omar Cheikh pouvait avoir été un "agent" de l'ISI.

Amnésie Collective

Etant donné tous les éléments ci-dessus, on pourrait penser que l'histoire des meurtriers de Daniel Pearl ayant des liens à la fois avec l'ISI et les pirates de l'air du 11/9 auraient fait l'objet des gros titres à la une de la presse. Mais, en dehors de l'Inde et du Pakistan, les médias ont généralement réagi comme Colin Powell. La plupart des compte-rendus dans la presse ont décliné à mentionner les liens entre Saïd, l'ISI, al-Qaïda et le 11/9. Même ce qui est encore plus étrange, sont les compte-rendus qui ne rapportent que l'un des rôles de Saïd et pas les autres, comme si les différents rôles de Saïd avaient été mené par des personnes complètement différentes. Dans les quelques mois qui suivirent, au moins 12 articles américains ou britanniques mentionnèrent les liens entre Saïd et al-Qaïda, y compris son financement du 11/9 , et au moins 16 articles mentionnaient ses liens avec l'ISI. Mais seuls, 3 articles suggéraient que Saïd aurait pu avoir été lié au deux groupes en même temps, et un seul mentionnait qu'il pourrait être impliqué dans l'ISI, al-Qaïda et le financement du 11/9 en même temps.

Le Procès


2,000 soldats paramilitaires cernent le tribunal de Hyderadad où le verdict de Saïd est prononcé.

Les efforts pour éliminer Saïd et faire table rase sur le passé ont fait un nouveau pas en avant. Fin février, le Time rapporta que le deuxième plus haut fonctionnaire Taliban en détention aux Etats-Unis, le Mollah Haji Abdul Samat Khaksar, a attendu pendant des mois d'être interrogé par la CIA. Même deux semaines après que Time eut informé les fonctionnaires américains qu'il voulait parler, personne ne s'est préoccupé de procéder à un véritable interrogatoire. Time a fait remarquer que "Samat Khaksar prétend avoir une information sur les liens entre al-Qaïda et l'ISI". En mars, le rédacteur en chef d'un quotidien pakistanais important a dû s'enfuir de son pays après avoir été menacé par l'ISI. Son article rapportait les liens entre Saïd, l'ISI et les attaques récentes au Cachemire et contre le parlement indien à Delhi.

Le procès de Saïd a débuté en avril. Cela fut décidé par un tribunal secret "antiterroriste" connu pour ses juges triés sur le volet, et s'est déroulé dans un bunker situé sous la prison de Hyderadad. De plus, aucun journaliste n'a été autorisé à y assister. "La peur plane lourdement sur le tribunal", a rapporté un journal. Le lieu du tribunal a dû changer trois fois à cause de menaces d'attentats à la bombe et de préoccupations de sécurité. Les juges ont aussi changé trois fois. Le procès, selon la loi, devait se terminer dans les sept jours et il a pourtant duré trois mois. "Les experts en médecine-légale ont initialement refusé d'assister à l'exhumation ordonnée par le tribunal" de peur d'être assassinés. Saïd lui-même a menacé le juge : "Je vais faire en sorte que celui qui veut me tuer, me tue en premier ou soit tué lui-même". Le témoin clé était censé être un chauffeur de taxi, mais il s'est avéré qu'il était en fait un gradé de la police. Immédiatement après le procès, le gouvernement annonça que de nouveaux suspects et de nouvelles preuves contredisaient la sentence de Saïd. La police pakistanaise et les fonctionnaires des renseignements ont déclaré que l'un de ces nouveaux suspects était le véritable cerveau du meurtre de Pearl (le rôle de Saïd ayant été d'attirer Pearl dans le piège). Mais les "arrestations se produisirent une fois le procès arrivé dans sa phase terminale et la confirmation officielle de ces arrestations cruciales aurait complètement fait dérailler le procès d'accusation", a déclaré un haut fonctionnaire de la police. Lorsque le verdict fut prononcé le 15 juillet, Saïd, en tant que "cerveau" supposé, fut bien sûr condamné à mort et trois autres personnes furent condamnées à la prison à vie. Saïd a fait appel de la condamnation mais la date d'un deuxième procès doit encore être fixée.

Les réactions


Saïd: "Les Américains devraient désormais avoir compris qu'ils méritaient tout ce qui leur est arrivé le 11 septembre".

Les gouvernements américain et britannique ont approuvé les sentences. Le porte-parole de la Maison-Blanche, Ari Fleisher, a déclaré : "l'administration Bush approuve le verdict pakistanais dans cette affaire… Daniel Pearl fut exécuté brutalement, et le système judiciaire … du Pakistan a désormais tranché. Ceci constitue un nouvel exemple prouvant que le leadership du Pakistan dans la guerre contre le terrorisme".

En fait, "le procès orchestré par le gouvernement reposait lourdement sur les preuves techniques du FBI". Le 16 mai, le corps de Pearl fut retrouvé et identifié, mais le FBI n'a pas publié les résultats ADN parce que la confirmation officielle selon laquelle il s'agissait bien de son corps aurait impliqué un nouveau procès. Les officiels pakistanais admettent qu'ils attendaient la publication de ces résultats encore après le verdict. Il semble donc que les Etats-Unis furent les complices d'une sentence rapide dans un tribunal irrégulier.

Les médias du courant dominant ont glissé un peu plus vers l'amnésie en ce qui concerne les liens de Saïd. L'histoire de la culpabilité a fait les gros titres de la presse et il y avait de la place pour donner des informations exhaustives sur l'origine de cette affaire, et même pour publier des articles spéciaux sur le CV de Saïd. Toutefois, aucun article aux Etats-Unis n'a mentionné ses liens avec al-Qaïda ou l'ISI, et encore moins sur ses liens avec le 11 septembre. En comparaison, en Grande-Bretagne, les articles liant Saïd à l'ISI , à al-Qaïda , ou certaines combinaisons des trois (avec une exception : l'article de la BBC du 16 juillet 2002). De nombreux journaux britanniques ont aussi fermement mis en doute la justice dans ce verdict, tandis que seul le Washington Post l'a fait aux Etats-Unis. Comme leWall Street Journal l'a dit avec délicatesse : "L'accusation a surmonté certaines faiblesses significatives dans le procès pour obtenir la condamnation".

Un mois après le verdict, un article remarquable dans Vanity Fair a exploré tous les liens de Saïd, mais l'article n'a semblé avoir aucun impact. Dans les mois suivants, les liens de Saïd semblent avoir été oubliés par les médias britanniques. Tout récemment, il a été suggéré que le cerveau du 11 septembre Khaled Cheikh Mohammed était aussi le cerveau du meurtre de Daniel Pearl et même qu'il avait pu égorger Pearl lui-même. Cela ne montre pas seulement qu'al-Qaïda a travaillé pour le compte de l'ISI pour réduire Pearl au silence, mais aide aussi à confirmer la théorie selon laquelle Mohammed était soutenu par l'ISI. Etant donné que Mohammed a été "lié à pratiquement toutes les attaques contre les Etats-Unis depuis l'attentat à la bombe contre le World Trade Center en 1993, cela soulève en retour la possibilité que l'ISI ait aussi été impliqué dans toutes ces attaques, au minimum en ne contribuant pas à arrêter Mohammed.

L'ISI a-t-elle été muselée ? — Non !

Musharraf a été salué pour avoir viré le Directeur de l'ISI, Mahmoud, et il a été régulièrement présenté comme une personnalité pro-occidentale essayant de déloger les factions pro-terroristes de l'ISI. Mais l'Observer a déclaré que ceci est "Le mythe du bon général Musharraf". Le 12 janvier 2002, face à la pression américaine, Musharraf a prononcé un discours forcé condamnant l'extrémisme musulman et arrêta environ 2.000 extrémistes pendant cette période. Pourtant, à la fin du mois de janvier, au moins 800 d'entre eux avaient été discrètement libérés. Depuis lors, "presque tous" ceux qui avaient été arrêtés furent libérés. Même les plus importants chefs terroristes, comme Maulana Masoud Azhar, le chef du Jaïsh-e-Mohammed, ont été libérés. Il est à remarquer que les Etats-Unis ne protestèrent pas malgré le rôle d'Azhar dans l'assassinat de soldats américains en Somalie et autres actes terroristes. D'anciennes organisations terroristes sont à nouveau en pleine activité, souvent sous de nouveaux noms. Les réformes ont été abandonnées. Ainsi qu'un expert américain de cette région le dit : "Ce n'est plus une question de savoir si le Pakistan avance ou recule. La question est à quelle vitesse le Pakistan retourne-t-il en arrière ?".

Tant d'autres pays — l'Argentine, la Grande-Bretagne, les Iles Caïmans, l'Egypte, la France, l'Allemagne, Israël, l'Italie, La Jordanie, le Maroc, la Russie et même un ministre Taliban — avaient mis en garde les Etats-Unis contre une attaque imminente (voir l'essai "Ils ont essayé de nous mettre en garde"). Comment est-il possible que le Pakistan, à la meilleure position pour être au courant, n'ait pas fait de mise en garde ? Si Musharraf contrôle l'ISI, alors comment n'aurait-il pas été au courant de l'attaque du 11/9 ? Et s'il ne le contrôle pas et ne savait pas, alors quel est l'intérêt à ce qu'il dirige le Pakistan ?


Le président pakistanais Pervez Musharraf a pris le pouvoir en 1999 à la suite d'un coup d'état.

Le gouvernement et les médias américains ont eu une capacité étonnante à fermer les yeux dès lors que le Pakistan était en cause. Par exemple, fin septembre 2001, des officiels pakistanais se rendirent en Afghanistan et conseillèrent secrètement aux Taliban de ne pas livrer ben Laden et au contraire de se dresser contre les Etats-Unis et de les combattre. En novembre 2001, il a été rapporté que les Etats-Unis se reposaient essentiellement sur l'ISI et les informations de ses services de renseignements dans la guerre contre les Taliban, alors même que l'ISI soutenait en secret les Taliban en leur fournissant des armes et des conseillers militaires. Ce même mois, les Etats-Unis autorisèrent le Pakistan à extraire par voie aérienne des milliers de ses soldats, qui avaient combattu aux côtés des Taliban autour de la ville afghane assiégée, Kunduz. Du même coup, un grand nombre de Taliban et de chefs d'al-Qaïda profitèrent "accidentellement" de cette extraction. Selon le commentaire d'un officiel américain, les Etats-Unis étaient supposés pouvoir interroger les chefs Taliban lorsqu'ils arriveraient au Pakistan, mais il ne le purent pas. Cela laisse supposer que même des membres de la famille immédiate de ben Laden furent extraits.

Un édito de l'United Press International>UPI déclarait : "Les terroristes d'al-Qaïda se sont répandu depuis longtemps en profondeur à l'intérieur du Pakistan et du Cachemire sous contrôle pakistanais où ils bénéficient de la protection de [l'ISI] … Ce qui laisse sans voix, c'est que le Pakistan est le nouvel Afghanistan, un sanctuaire privilégié pour des centaines de combattants d'al-Qaïda et d'agents Taliban. Certaines estimations évoquent le chiffre de 5.000 personnes … La connexion Pakistan-al-Qaïda est visible de tous, sauf de ceux qui sont défiés sur le terrain géopolitique". Des dirigeants Taliban importants dont la tête était mise à pris par les Etats-Unis ont vécu au grand jour dans les villes pakistanaises et pourtant les Etats-Unis ne font rien contre eux. L'avis est à présent largement partagé qu'Oussama ben Laden, Khaled Cheik Mohammed et la plupart des chefs importants d'al-Qaïda vivent au Pakistan, parfois au grand jour et dans le luxe, avec la protection de l'ISI. Les efforts que le Pakistan fournit à les rechercher sont souvent considérés comme une pure comédie. Mais pourtant, la situation ne change pas. Voici un exemple de réponse que Bush a donnée et qui semble inexplicable : le groupe d'Azhar, le Jaish-e-Mohammed a vu ses actifs gelés peu après le 11/9, mais le groupe a simplement changé de nom et, une année plus tard, les Etats-Unis n'ont pas gelé les actifs de ce "nouveau" groupe.

Le Pakistan détient l'arme atomique. Depuis 1997, le Pakistan a fourni secrètement la Corée du Nord en technologie nucléaire, en échange de technologie sur les missiles à longue portée. Seymour Hersh a suggéré qu'il est possible que le Pakistan fournisse aussi d'autres pays en technologie nucléaire. Même à la fin de l'administration Clinton, ce lien entre le Pakistan et la Corée du Nord était connu, mais ni Clinton, ni Bush n "y ont mis fin. Selon les termes du Guardian : "Si la 'guerre contre le terrorisme' de George Bush était un tant soit peu rationnelle, voire même grossièrement raisonnée, alors sa prochaine cible pourrait être le Pakistan, pas l'Irak. Il devrait être dit que les Etats-Unis n'ont pas de justification pour une attaque préventive et unilatérale contre tout pays — ou tout autre Etat souverain dans cette affaire. Mais au moins, sur la base des propres critères de l'"axe du mal" de M. Bush, le Pakistan se trouve en plein milieu de la ligne de mire théorique".

Il n'y a aucune preuve que les Etats-Unis aient interrogé Saïd sur le 11/9. Des journaux indiens ont fait remarquer que si les Etats-Unis voulaient faire pression sur son allié pakistanais pour que Saïd puisse être interrogé dans sa prison pakistanaise, ils pourraient non seulement en apprendre plus sur le financement des attaques du 11/9, mais aussi obtenir des informations de valeur sur la structure des cellules d'al-Qaïda au Pakistan. Il est inutile de dire qu'il n'y a aucune preuve non plus que le Général Mahmoud ait été interrogé.

Quel est le coupable ? Nous ne pouvons pas le dire

Il y a eu beaucoup de spéculation pour dire que les attaques du 11 septembre ont dû recevoir le soutien d'une agence d'Etat de renseignements. Un officiel de la CIA a déclaré : ben Laden "est assis au fond d'une cave en Afghanistan et il aurait monté toute cette opération ? C'est trop énorme ! Il ne pouvait pas l'avoir fait seul". En décembre 2002, le Sénateur Bob Graham, coprésident de l'enquête du Congrès sur le 11/9 et qui avait connaissance des documents frappés de censure pour le grand public, a déclaré qu'il était "surpris par les preuves que des gouvernements étrangers étaient impliqués dans l'aide aux activités d'au moins quelques-uns des terroristes [du 11/9] aux Etats-Unis. … Pour moi, c'est une question extrêmement significative et la plus grande partie de cette information est classifiée, voire sur-classifiée. Je pense que le peuple américain devrait connaître l'étendue du défi auquel nous sommes confrontés en termes d'implication de gouvernements étrangers. Je pense qu'il y a une preuve très convaincante qu'au moins quelques-uns des terroristes n'étaient pas seulement assistés dans le financement — bien que cela en fasse partie — par un gouvernement étranger souverain et que nous avons failli à notre devoir de débusquer tout cela … Cela sera rendu public un jour ou l'autre lorsque le dossier sera déclassé, mais ce sera dans 20 ou 30 ans".

Le plus comique, ce n'est pas seulement la rencontre de Graham avec le général Mahmoud Ahmed lorsque les attaques débutèrent, le plus comique, c'est que son bureau a aussi reconnu que Graham avait reçu une mise en garde avant le 11/9 de la part un informateur du gouvernement américain. Une mise en garde selon laquelle un agent de l'ISI, s'appelant R. G. Abbas, trafiquait illégalement de l'héroïne dans la ville de New York en échange de missiles Stinger et avait indiqué le World Trade Center en disant "Ces tours vont tomber". Cet agent avait fait d'autres références à propos d'une attaque contre le World Trade Center. Cet informateur a transmis ces mises en garde, mais voici ce qu'il affirme : "Il fut ordonné par les plus hautes instances du gouvernement d'expurger ces plaintes". Les transcriptions du procès qui en a découlé et qui a condamné plusieurs associés d'Abbas, basés aux Etats-Unis, furent censurées pour éliminer toute référence au Pakistan. Un journaliste de NBC a pu téléphoner facilement à Abbas au Pakistan, mais apparemment, le FBI n'est pas intéressé pour l'interroger ou l'extrader.

Des Questions Embarrassantes


Saïd Cheikh, la tête recouverte, reste un grand danger pour Musharraf tant qu'il n'est pas mort.

Il est inutile d'attendre 20 ou 30 ans pour déduire que l'ISI a assisté al-Qaïda dans les attaques du 11/9. La question est : Pourquoi le gouvernement des Etats-Unis semble-t-il ignorer l'évidence et décourage-t-il activement les médias de suivre ces idées ? Peu après le 11/9, Bush a déclaré : "À partir de ce jour, toute nation qui continue d'abriter ou de soutenir le terrorisme sera considérée par les Etats-Unis comme un régime hostile". Qu'en est-il alors du soutien du Pakistan au terrorisme — à défaut du 11/9 — et des autres attaques terroristes commises depuis contre l'Inde ? Si c'est ainsi, qu'est-ce qui empêchera l'ISI de planifier à l'avenir des attaques similaires en toute impunité et contre n'importe quel pays ?

Peut-être que les Etats-Unis ont planifié de s'occuper tôt ou tard du Pakistan. En janvier 2003, Musharraf a mis en garde sur un "danger imminent" selon lequel le Pakistan deviendrait la cible d'une guerre pour les "forces occidentales" après la crise irakienne. "Il va nous falloir nous en occuper nous-mêmes pour écarter le danger. Personne ne viendra à notre rescousse, même pas le monde islamique. Nous devrons compter sur nos muscles". Se référant à "de nombreux 'briefing sur les origines de la situation' et à des 'fuites'" du gouvernement américain, "les officiels pakistanais craignent que l'administration Bush n'ait l'intention de changer son refrain radicalement une fois la guerre d'Irak hors du champ". Et si c'était le cas, cela pourrait-il conduire à une guerre nucléaire ?

Est-ce parce qu'il est possible que cela soit un écheveau qui pourrait se dénouer vers d'autres directions embarrassantes que les Etats-Unis ignorent la complicité pakistanaise dans le 11/9? Par exemple, il y a eu des reportages sur des accords secrets entre de riches Saoudiens, l'ISI et ben Laden. L'Arabie Saoudite a soutenu les Taliban en finançant l'ISI. Avant le 11/9, lAsia Times a rapporté que le Prince Héritier Abdallah, le dirigeant de facto de l'Arabie Saoudite, soutient en secret ben Laden. De plus, il s'est rendu secrètement en Afghanistan, durant l'été 2001, avec le général Mahmoud Ahmed pour conférer avec les Taliban sur la meilleure façon d'éviter que les Etats-Unis ne fassent du mal à ben Laden. Une autre rencontre secrète entre Mahmoud et le Prince Héritier Abdallah aurait pu avoir lieu peu après le 11/9. Alors que de tels reportages sont très fragmentaires et spéculatifs, il est intéressant de noter que le Sénateur Graham a déclaré que des "gouvernements étrangers" — au pluriel, et non pas au singulier — se trouvaient derrière le 11/9. Newsweek a rapporté un lien possible entre le gouvernement saoudien et certains pirates de l'air. Depuis, Newsweek a rapporté que "La possibilité d'un lien saoudien avec le 11/9 se renforce".

L'écheveau pourrait-il aussi bien se démêler dans d'autres directions ? Par exemple, que dire de l'hypothèse selon laquelle Saïd était un agent de la CIA ? Un expert de longue date de cette région, qui entretient de nombreux liens avec la CIA, a déclaré publiquement en mars 2001 que "la CIA entretient toujours des liens étroits avec l'ISI", et il a réitéré son affirmation sur CNN en février 2002. Un ancien dirigeant de l'ISI, qui a voulu rester anonyme, a déclaré : "Le plus gros problème auquel nous sommes confronté [au Pakistan] sont les éléments pourris dans les services secrets, surtout ceux qui ont été impliqués à un moment avec la CIA". Au strict minimum, l'ISI pourrait connaître des faits très embarrassants sur les Etats-Unis. Par exemple, l'ISI pourrait savoir une chose ou deux sur les implications de la CIA dans le trafic de drogue et/ou le soutien à ben Laden dans les années 80. Malheureusement, Daniel Pearl a été tué avant de pouvoir enquêter sur les liens entre les Etats-Unis et l'ISI et, depuis sa mort, aucun journaliste ne semble vouloir explorer des sujets aussi dangereux.

Que penserait le public américain des motivations pour la guerre en Irak s'ils savaient qu'un pays qui entretient des liens plus profonds avec al-Qaïda et qui participe aussi à la prolifération des armes de destruction massive était ignoré à ce point ?




Paul Thompson