"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

28 septembre 2012

Adnan Latif a souffert entre les mains du gouvernement US à un point que la plupart des gens ne peuvent même pas imaginer.





Adnan Latif a été retrouvé mort dans sa cellule le 10 septembre 2012, un jour à peine avant le 11ème anniversaire du 11/9. Il avait 32 ans.

Latif, citoyen yéménite, était détenu à Guantanamo Bay depuis plus de 10 ans, en dépit de la décision du tribunal qui avait ordonné en 2010 que l’administration Obama "prenne toutes les mesures diplomatiques nécessaires et appropriées pour faciliter la libération immédiate de Latif", en raison de l’absence de preuves qu’il ait commis un quelconque crime.

Il a souffert entre les mains du gouvernement US à un point que la plupart des gens ne peuvent même pas imaginer, et sa mort doit servir à rappeler que la honte nationale qu’est Guantanamo perdure et bénéficie actuellement du soutien des deux partis.

En relisant la lettre (version intégrale ici) qu’il a écrite à son avocat, David Remes, en décembre 2010, on comprend la profondeur de son désespoir près de la fin de sa vie.

Sa lettre commence simplement. Le premier paragraphe n’est constitué que d’une seule phrase bouleversante : "faites ce que bon vous semble, il n’y a plus rien à faire".

Il décrit ensuite le camp de Guantanamo, le qualifiant de "prison qui ne connait pas l’humanité, mais ne connait que le langage du pouvoir, de l’oppression et de l’humiliation envers tous ceux qui y entrent".
"Celui qui pourra mourir", écrit Latif, "atteindra le bonheur, il n’a aucun espoir en dehors de cela".

Il poursuit :
Ce qu’il faut … c’est quitter cette vie, qui n’est plus ce qu’on appelle une vie, mais qui est devenue la mort et la torture incessante. En finir avec la vie, c’est une chance et un bonheur. Je ne vais pas en endurer davantage et je vais mettre fin à mes jours.

Latif avait fait une tentative de suicide en 2009 en s’ouvrant les veines, et son avocat, David Remes, avait, alors, déclaré qu’il avait déjà tenté de se suicider à plusieurs reprises.

A la suite d’un accident de voiture en 1994, Latif souffrait de lésions à la tête, et il se rendait en Afghanistan dans l’espoir de se faire soigner quand il avait été capturé près de la frontière par les autorités pakistanaises. En janvier 2002, il était transféré à Guantanamo, ayant le triste privilège d’être un des premiers à y être détenu.

Selon l’ACLU (The American Civil Liberties Union), Latif avait été déclaré libérable en 2004, 2007, 2009, et à nouveau en 2010 par le juge de la cour fédérale US, Henry Kennedy.

Mais le Département de la Justice d’Obama avait fait appel du jugement de 2010, en partie à cause de la décision qui avait été prise de ne pas transférer les prisonniers au Yémen, et, donc, Latif était resté en prison – non pas à cause de ce qu’il avait fait (c’est-à-dire rien), mais à cause du lieu où il était né.

La décision qui avait été prise de faire appel du jugement de relaxe n’était pas un vestige de l’ère Bush. C’était une décision qui avait été prise par l’administration Obama volontairement, et tous ses partisans qui pensaient qu’Obama allait fermer Guantanamo doivent en avoir conscience.

Latif est loin d’être le seul prisonnier encore détenu à Guantanamo malgré la relaxe prononcée par la justice. "Plus de la moitié des personnes qui restent à Guantanamo ont été déclarées innocentes depuis des années", indique Cori Crider, directrice du service juridique à Reprieve, responsable de la gestion des litiges sur les prisons secrètes, et qui a représenté des clients détenus à Guantanamo. Crider poursuit, disant que, bien que les conditions se soient améliorées par rapport à ce qu’elles étaient en 2002, la détention illimitée suffit à détruire les gens.

"Ce jeune homme, qui avait, disons, vingt ans quand il a été capturé, en a trente aujourd’hui. Il voit la vie lui échapper sans savoir s’il va être libéré. Le désespoir tue à Guantanamo aujourd’hui".

Il y a également, comme on peut s’y attendre, des implications judiciaires au niveau international liées à la mort de Latif.

"Quand un gouvernement prive quelqu’un de liberté et le garde en détention, il exerce un contrôle quasiment complet sur la sécurité et le bien-être de cette personne. A cause de ce contrôle, si une personne meurt en détention, il y a, selon les lois internationales, présomption de responsabilité du gouvernement", explique la professeure Sarah Knuckey, ancienne conseillère du rapporteur spécial de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires.

"Et, donc, quand une personne meurt en détention, le gouvernement doit reconnaitre sa responsabilité pénale, ou démontrer clairement qu’il n’était pas responsable de sa mort".

La réaction compréhensible qu’il ne s’agit que d’un exemple parmi d’autres sur une liste déjà scandaleusement longue de crimes internationaux commis depuis le 11/9 ne fait que souligner à quel point la sécurité nationale et la politique étrangère des Etats-Unis sont devenues radicales et perverties.

"Une puissance mondiale n’a pas su préserver la paix et les droits humains et n’a pas su me préserver non plus. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour me débarrasser de cette mort qui m’est imposée à chaque instant dans cette prison".


John Knefel
animateur à Radio Dispatch et écrivain indépendant qui vit à Brooklyn



Source : LeGrandSoir

Article original : ArticleGuantanamo prisoner’s tragic letter, Alternet.org

Traduction emcee : Des bassines et du zèle

Lettre originale datée du 26 décembre 2010 : To David Remes, do whatever you wish, the issue is over