"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

19 mars 2011

Le 11 Septembre, Rumsfeld bricolait pendant que Cheney dirigeait le pays

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Hier soir, lors de son entretien avec l’ancien Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, Diane Sawyer, l’auteur d’une nouvelle autobiographie, aborda la décision pénible que celui-ci avait dû prendre le matin du 11 Septembre. "N’a-t-il pas été difficile, demanda-t-elle, d’ordonner aux pilotes militaires d’abattre des avions civils dont le gouvernement pensait qu’ils étaient détournés, et qui se dirigeaient vers des cibles à Washington – peut-être la Maison Blanche, peut-être le Capitole ?" L’espace d’un instant, Rumsfeld baissa son regard habituellement arrogant, et à la place, feignit la tristesse à l’évocation de la douleur qui l’avait traversé lorsqu’il avait eu à prendre cette décision.

L’instant aurait pu être poignant, mais il ne le fut pas, car Rumsfeld n’a pas pris la décision. C’est le Vice-président Dick Cheney qui l’a prise. Et c’est Cheney qui dirigeait le pays ce matin-là, avec, en coulisse un Rumsfeld embarrassé.

Quand la nation est en danger, il incombe au Président, le Commandant en chef des Armées, de prendre la décision d’engager l’armée. En vertu de la loi, il ordonne au Secrétaire à la Défense d’exécuter ses ordres en respectant la chaîne de commandement militaire. Pendant que l’on transportait le président Bush de bunker en bunker le matin du 11 septembre 2001, le laissant soi-disant hors de portée de toute couverture de téléphonie mobile, Rumsfeld était le suivant dans la chaîne. Mais le rôle de Rumsfeld lors des événements du 11-Septembre est toujours resté un mystère. Dans son nouveau livre, en page 339, l’ancien Secrétaire à la Défense lève un peu le voile sur ses agissements ce matin-là.

Sentant le Pentagone trembler lorsque le Vol 77 d’American Airlines le frappa à 9 h 38, et apercevant la fumée, Rumsfeld, selon son propre rapport, se précipita sur le parking du Pentagone qui était alors en plein chaos, [et où l'on essayait] frénétiquement de sauver et de soigner les personnes blessées. Puis il retourna à son bureau. Il conversa brièvement avec Bush, qui se trouvait à bord d’Air Force One quelque part dans le sud-est, et qui voulait des informations sur l’étendue des dégâts au Pentagone. De là, Rumsfeld se rendit au poste de commandement militaire situé dans les sous-sols. Une fois là, écrit-il, et après avoir consulté le Général Dick Meyers, adjoint au chef d’état-major interarmes qui était également présent dans la pièce, il releva le niveau de menace à l’état d’"alerte", et envoya les avions de chasse protéger Air Force One. Rumsfeld devait être emmené vers un lieu secret, mais il déclara qu’il "ne voulait pas être injoignable pendant le temps de son transfert en lieu sûr".

"Peu de temps après, écrit-il, le Vice-président m’a joint par téléphone." Cheney aurait dit à Rumsfeld, "il y a eu au moins trois cas faisant état d’appareils s’approchant de Washington…il est confirmé que certains ont été détournés. Et conformément aux instructions du Président j’ai donné l’autorisation de les intercepter".

En fait, des doutes sérieux subsistent sur le moment [exact] où Cheney a reçu "les instructions du Président’, et les preuves selon lesquelles il aurait agi de son propre chef sont considérables, à commencer par le "timide" rapport de la Commission d’enquête sur le 11-Septembre. Dans tous les cas, ses ordres ont formellement transgressé la chaîne du commandement militaire – point que Rumsfeld a omis de signaler dans son propre compte-rendu de la conversation suivante :

‘Oui, je comprends,’ répondis-je. ‘A qui avez-vous transmis cet ordre ?’

‘Il a été transmis d’ici au centre des Opérations de la Maison Blanche,’ répondit Cheney.

‘Cette directive a-t-elle été transmise aux appareils ?’

‘Oui,’ répondit Cheney

‘Nous avons donc des appareils qui ont reçu ces instructions en ce moment ?’ demandai-je

‘C’est exact,’ répondit Cheney.’ Puis il ajouta, ‘je crois comprendre qu’ils ont intercepté quelques avions.’

‘Nous ne pouvons pas le confirmer,’ lui dis-je. Nous n’avions pas reçu de témoignage de pilotes américains ayant même envisagé de s’engager et de tirer sur un appareil détourné.

‘On nous a dit qu’un appareil a été abattu,’ ajoutai-je, ‘mais nous n’avons reçu aucun rapport des pilotes…’

Il s’avère que le seul autre appareil qui s’est écrasé n’a [en fait] pas été abattu. Il s’agissait du Vol 93 d’United Airlines, un avion détourné qui s’est écrasé dans un champ près de Shankville, en Pennsylvanie.

Tout ceci [écrit par] la personne directement responsable devant la loi de mettre en oeuvre les ordres émanant du Commandant en chef. Le Vice-président n’est cité nulle part dans la chaîne de commandement et n’a aucune autorité pour cette mise en oeuvre. Dans le passage ci-dessus, Rumsfeld lui-même décrit la manière dont il est resté spectateur ce matin-là, avec peu, voire pas d’informations sur la crise. Notre Département de la Défense, dont le budget se chiffre en milliards de dollars, et son cher, ont été pris au dépourvu, ont été incompétents, et ont ignoré l’instant où Cheney a pris les rênes et dirigé le pays.

Plus tard, devant la Commission sur le 11-Septembre, Rumsfeld a fourni une explication assez étonnante pour justifier son comportement :

Le Département de la Défense…n’était pas responsable des frontières. Il n’était pas responsable des aéroports…Et le fait de ne pas avoir été au courant de quelque chose ne doit pas être considéré comme inhabituel. Notre tâche était de regarder à l’extérieur du pays…et de le défendre contre des attaques venant de l’étranger. Et un appareil civil relevait du domaine de la mise en application de la loi, administrée par les autorités en charge de l’application de la loi et par les autorités aéronavales. Voilà comment le gouvernement a été organisé et structuré. Donc les questions que vous posez sont les bonnes. Et elles sont légitimes et doivent être posées. Mais elles doivent être posées aux personnes qui avaient la responsabilité statutaire de ces affaires.

Dans son livre, Rumsfeld déplore de n’avoir pas démissionné après [l'affaire d'] Abu Ghraib. En vérité, il aurait dû démissionner ou être viré pour son incapacité à protéger la nation contre la pire attaque depuis Pearl Harbor.

James Ridgeway