"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

13 septembre 2010

LE TRAUMATISME DE 2001 HANTE TOUJOURS NEW YORK

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Les manifestations entourant la commémoration des attentats du 11 septembre 2001, ce week-end à New York, ont montré de profondes divisions au sein de la société américaine. A New York, la ligne de fracture se cristallise sur le projet de construction d'un centre culturel musulman près de Ground Zero. En revanche, le pasteur intégriste qui menaçait de brûler le coran a dû finalement renoncer à son projet après d'innombrables appels et pressions. Reportage de nos envoyés spéciaux.

Noyée dans la foule, Eileen Tallon s'accroche à la photo de son fils Sean, mort il y a neuf ans dans les attentats du World Trade Center. «Mon unique fils a été assassiné par des terroristes musulmans extrémistes», raconte la mère du pompier de New York, décédé à même pas trente ans. «Il a été tué au nom de l'islam. C'est pour ça que je ne veux pas qu'on construise une mosquée ici, juste à côté de ground zero.» Ses petites mains se cramponnent au cadre qu'elle tient devant sa poitrine, à mesure que les larmes lui montent aux yeux. «Aujourd'hui, c'est le pire 11 septembre que j'ai connu depuis 2001. J'ai bien plus pleuré que les autres années.»

Au nom de la liberté

Car l'heure n'est plus à l'union dans la commémoration des attentats perpétrés par al-Qaïda, qui ont fait près de 3000 morts au cœur de New York. Cette année, les cérémonies du souvenir déchirent l'Amérique. D'un côté, ceux qui soutiennent le projet Park51, soit la construction d'un centre islamique à quelques blocs de Ground Zero (lire ci-dessous). De l'autre, ceux qui ne peuvent envisager l'érection (ou plutôt l'agrandissement) d'un centre musulman à ce point proche du lieu où culminaient autrefois les Twin Towers.C'est pour ça qu'Eileen Tallon est là, à deux pas du lieu des attentats, en ce doux samedi de septembre. Pour crier sa révolte et pour écouter ceux qui la soutiennent. Autour d'elle, parqués dans l'enclos de métal dressé par la police, quelque 2000 personnes (selon AFP) scandent à tue-tête leur refus du projet culturel Park51, qu'ils réduisent à la construction d'une mosquée. «No mosque here!», martèlent-ils comme un seul homme, brandissant des centaines de drapeaux américains. Les manifestants, surtout des blancs de 7 à 77 ans, répondent à l'appel des mouvements SIOA (Halte à l'islamisation de l'Amérique) et FDI (Initiative pour la défense de la liberté américaine).A la tribune dressée devant eux, une dizaine d'orateurs se succèdent pour faire vibrer la corde du patriotisme. Maîtresse de cérémonie, Pamela Geller introduit les stars du jour: des proches de victimes, un sauveteur héros du drame, un prêtre, un rabbin, l'ancien ambassadeur John Bolton, un ex-militaire en campagne et, clou de la manifestation, le leader de l'extrême droite néerlandaise Geert Wilders. Tour à tour ils serinent le même discours: l'Amérique est une patrie de liberté, tolérante. Rien à voir avec le monde islamique. Voilà pourquoi il convient d'empêcher cette provocation de fondamentalistes qu'est la mosquée de Park51.

«Tuons-les tous»

Qu'importe les sophismes, ils croulent sous les applaudissements. Chacune de leurs envolées est ponctuée d'un tonitruant «Dieu bénisse l'Amérique!». Et à chaque fois, la foule hurle de joie, frappe des mains, brandit ses fanions étoilés. Emportée par le discours de Geert Wilders, Anne O'Donnell, 58 ans, saute dans la cohue comme une groupie dans un concert. «L'islam est une religion doublée d'une idéologie en quête de suprématie», s'énerve l'Américaine du Massachussetts. «C'est dans leur tradition de construire des mosquées sur les lieux qu'ils ont attaqués.»

«Incompatible»

Impossible de capter son attention plus longtemps, Geert Wilders vient de déclarer New York incompatible avec la charia, la loi islamique. Elle lui crie son approbation. «
Au nom de la liberté

, pas de mosquée ici», conclut le politicien hollandais, sous les hourras de l'assemblée. L'intensité continue de monter au fil des interventions. Candidat conservateur au Congrès en Caroline du Nord, Ilario Pantano électrise l'audience. Si l'imam Feisal Abdul-Rauf et les musulmans à la base de Park51 cherchent, comme ils le prétendent, à jeter des ponts, ils feront marche arrière, défend-il. Sinon c'est que ce sont des guerriers. Comme les Américains.A ces mots, un homme paré de l'uniforme des pompiers de la ville explose: «Tuons-les! Tuons-les tous! Tuons l'imam!», s'époumone-t-il. Jusqu'à ce que son voisin de devant se retourne en criant plus fort que lui: «Vous avez raison, tuons-les tous!»

Linda BOURGET
Alain WICHT